Cathédrale Notre-Dame de Paris – mercredi 31 mars 2009
Chers Frères et Sœurs,
Au moment où nous entrons dans la célébration du Triduum Pascal, notre Église est mise en accusation à la face des hommes. Elle est chargée des péchés du monde. Au mépris de la réalité des faits, dont nul ne conteste l’horreur et le scandale qu’ils ont pu causer, on s’emploie à faire endosser à notre Église, -et en particulier à ses prêtres- la responsabilité morale des actes de pédophilie qui ont été commis depuis plusieurs dizaines d’années.
Imputer la pédophilie au statut du prêtre engagé dans le célibat évite opportunément de regarder la réalité de ce fléau social dont chacun peut savoir qu’il frappe principalement à l’intérieur des relations familiales et dans les réseaux de proximité familiale. Ressortir des faits anciens et connus depuis longtemps comme des révélations nouvelles donne beaucoup à penser sur l’honnêteté intellectuelle des informateurs et suffit à dévoiler leur véritable objectif : faire peser le doute sur la légitimité morale de l’Église.
Loin de moi l’idée de nier la réalité des actes de pédophilie ni d’oublier la souffrance, souvent irréparable, des victimes. Oui, comme je l’ai dit à l’occasion de l’Assemblée plénière des évêques à Lourdes, nous sommes plongés dans la honte et le désarroi. Nous nous joignons aux regrets exprimés par le Pape dans sa lettre aux catholiques irlandais. Mais nous ne sommes pas prêts à laisser jeter l’opprobre sur l’ensemble des vingt mille prêtres et religieux de France. De ceux-ci, une trentaine de prêtres et de religieux purgent la peine à laquelle ils ont été condamnés, conformément à la loi. C’est beaucoup trop, mais ce n’est pas un phénomène massif. L’immense majorité des prêtres et des religieux de notre pays vivent avec joie leur engagement au service de l’Évangile. Je n’en doute pas. Nous n’en doutons pas et nous avons confiance en leur fidélité.
L’offensive qui vise à déstabiliser le Pape, et à travers lui l’Église, ne doit cependant pas nous masquer nos faiblesses et nos fautes éventuelles. Notre société qui vit dans l’exhibition du sexe sans limite nous oblige à être plus que jamais vigilants et modestes dans nos manières de vivre. Chers frères et sœurs, prêtres, diacres, religieux, religieuses et laïcs, nous ne sommes que des êtres humains et nous ne devons jamais vivre dans la présomption que nous sommes au-dessus des tentations ordinaires. Mais cette prudence ne doit pas nous transformer en coupables potentiels dans toutes nos relations.
Parmi les épreuves que nous traversons, nous devons aussi relever l’offensive des médias audiovisuels qui célèbrent Pâques à leur manière en concentrant sur les soirées de la Semaine Sainte leurs capacités critiques sur l’Église et la foi chrétienne. Celles et ceux d’entre nous qui célébreront les liturgies dans leurs communautés n’en seront pas affectés. Mais tous ceux qui sont les moins informés et les moins impliqués dans la vie de notre Église seront bombardés d’émissions qui se présentent comme « critiques » et qui ne sont que des opérations de propagande, et même de propagande grossière. Dans notre pays démocratique, les chrétiens sont encore des citoyens à part entière, il n’est pas certain qu’ils le soient dans le traitement de l’information.
Si j’ai voulu d’abord évoquer ces sujets douloureux, c’est évidemment parce qu’ils sont présents à nos esprits et qu’ils provoquent trouble et tristesse parmi les membres de notre communauté. Mais, sans se lancer dans une spiritualisation excessive, nous sommes préparés à assumer de telles situations. Nous y avons été préparés par le Seigneur lui-même : « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur, etc. » (Mt 10, 24).
Aujourd’hui encore la parole du Seigneur s’accomplit à nos yeux dans notre Église, comme elle était accomplie dans la synagogue de Nazareth. L’onction du Messie continue son œuvre en notre temps. Elle continue son œuvre dans la vie sacramentelle de notre Église. Chaque année des adultes et des jeunes écoliers, collégiens et lycéens, de plus en plus nombreux, s’approchent du baptême. Pratiquement chacune des paroisses du diocèse accompagne ainsi plusieurs catéchumènes vers les sacrements. Grâce à l’huile des catéchumènes, ils reçoivent de Dieu la force du combat pour leur conversion. De même, des adultes et des jeunes nombreux reçoivent la Confirmation de leur baptême pour une vie plénière dans la communauté ecclésiale. Le Saint-Chrême que nous allons consacrer imprimera à chacune et à chacun d’entre eux la marque divine sur leur existence. De même, les séminaristes se préparent avec confiance à s’engager au service du corps ecclésial par l’onction de l’ordination. Ils seront marqués du même Saint-Chrême pour le service du Peuple de Dieu. Et les malades et les personnes souffrantes reçoivent de l’onction de l’huile sainte la force et l’endurance pour vivre leur épreuve dans la communion au Christ et en se joignant à l’offrande qu’il fait de sa vie.
Pour cette vitalité de l’Evangile nous rendons grâce à Dieu qui continue d’ouvrir « aux païens la porte de la foi. » (Act. 14, 27). Cette grâce des sacrements, nous le savons, ne nous est pas donnée simplement pour notre confort spirituel. Elle nous associe directement à l’œuvre de Dieu dans le Christ. Avec lui, nous sommes envoyés pour annoncer une année de bienfaits et de miséricorde, pour être les témoins de son amour pour les hommes, pour tous les hommes.
C’est pour nous impliquer plus étroitement dans ce dynamisme missionnaire que j’ai appelé le diocèse de Paris à vivre pendant trois années le programme : « Paroisses en mission ». L’objectif est précisément de nous entraîner à ne pas dissocier notre vie sacramentelle, dont l’Eucharistie dominicale est le centre, de la mission globale de l’Église en ce monde. C’est la finalité de cette première année que nous vivons en ce moment : passer « de l’Eucharistie à la mission » ; puiser dans le dynamisme de nos assemblées paroissiales la motivation et les moyens de rendre témoignage au Christ ressuscité dans tous les domaines de notre existence comme c’est la mission de tous les chrétiens. Déjà, vous avez pu mesurer les premiers fruits de ce travail. Vous avez pu entendre la joie des chrétiens quand ils partagent entre eux ce qu’ils reçoivent dans leur communauté et leur plus grande agilité à le partager hors de la communauté.
Pour nous, l’heure est venue de comprendre réellement que l’on ne peut pas être chrétien sans l’Église, et moins encore contre l’Église. L’heure est venue de comprendre que l’on ne peut pas être chrétien sans le choisir et le vouloir de quelque manière et sans assumer ce choix devant le monde. D’une certaine façon, comme Pierre à l’heure du procès de Jésus, nous sommes provoqués à nous déclarer pour lui ou à enfouir notre relation avec lui dans le secret et, finalement, à le renier. « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses…Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux. » (Mt 10, 26…32).
Frères et Sœurs, c’est cette mission de l’Église à laquelle nous sommes appelés à participer. Ne laissons pas enfermer la grâce que nous recevons ; partageons-la. N’enfouissons pas les talents qui nous sont confiés ; faisons-les fructifier. Ne laissons pas la pusillanimité ou la honte empoisonner notre vie. Nous sommes les membres d’un corps qui vit de la foi, qui partage sa foi, qui annonce sa foi. Chaque dimanche, en passant célébrer dans les paroisses, je suis témoin de cette vitalité de nos communautés, de leur joie de célébrer le Jour du Seigneur, de leur disponibilité à prendre leur part des combats de ce monde pour plus de justice et de fraternité. Je suis fier de ces chrétiens, souvent modestes et inconnus, par qui la parole du Christ prend chair dans l’expérience humaine commune. Je suis fier de l’engagement de beaucoup d’entre nous au service des pauvres et de ceux que notre société rejette. Je suis fier de ces jeunes familles qui assument avec joie et amour leur fidélité conjugale et leur responsabilité de parents.
Pour terminer, en cette année sacerdotale, vous me permettrez d’adresser un message particulier à nos prêtres si nombreux ce soir. Un message d’amitié d’abord et un message d’encouragement. La semaine prochaine plus de deux cents quatre-vingt d’entre nous iront en pèlerinage à Ars pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la mort du saint Curé. Nous n’avons pas l’illusion de reproduire la vie et la pastorale du curé d’Ars à Paris au XXIème siècle. Mais nous avons l’espérance que l’exemple de sa sainteté nous fortifiera dans notre responsabilité présente au service de l’Église. Je sais, par expérience, qu’il n’est pas facile tous les jours d’être prêtre à Paris. Mais je sais aussi que notre ministère est source de grandes joies. Et je pense avec une affection particulière à ceux d’entre nous qui sont atteints par l’âge ou la maladie et à ceux qui ont accepté de partir en mission hors du diocèse.
Je profite de l’occasion pour vous associer à l’action de grâce de deux prêtres qui sont présents dans cette cathédrale, et qui ont été ordonnés il y a juste soixante et soixante-cinq ans ! Je suis également heureux que Mgr Jacques Benoit-Gonnin célèbre cette messe chrismale avec nous. Il vient d’être nommé évêque de Beauvais, Noyons et Senlis, et est encore pour quelques jours curé de la paroisse de La Trinité.
Pour marquer plus sensiblement la célébration de l’année sacerdotale, nous avons prévu de faire des ordinations du 26 juin ici même un grand rassemblement diocésain auquel je suis sûr que les parisiens seront nombreux à participer pour manifester leur attachement et leur amitié à leurs prêtres et tout particulièrement aux nouveaux ordonnés. Pour cela le parvis sera équipé d’écrans géants, pour que l’on puisse suivre la célébration, et les jardins attenants serviront pour que le fête se poursuive autour des nouveaux prêtres. Ce rassemblement sera précédée d’une semaine de manifestations, de prière et de réflexion dans différents lieux du diocèse. Tout à l’heure, à la fin de la prière d’intercession, je vous demanderai de dire avec moi la prière que vous avez entre les mains et qui pourra être le support de votre prière pour les prêtres dans les semaines et les mois qui viennent.
Pour terminer, il me reste à vous dire qu’un certain nombre de jeunes se posent la question de devenir prêtre. Ils sont parfois, trop souvent, empêchés d’étudier cette éventualité par les réserves ou les réticences de leur entourage, voire de leur famille. Nous prions donc, non seulement pour que Dieu appelle, mais surtout pour que nous soutenions vraiment ceux qui souhaitent répondre à son appel. Alors nous pouvons espérer que la parole du prophète s’accomplira pour nous aussi : « Tous ceux qui pleurent, je les consolerai. Au lieu de la cendre de pénitence, je mettrai sur leur tête un diadème ; ils étaient en deuil, je les parfumerai avec l’huile de la joie ; ils étaient dans le désespoir, je leur donnerai des habits de fête. » (Is 61, 3). Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris