L’Église entre dans la semaine sainte. Elle aurait sans doute souhaité y pénétrer dans un grand silence, toute occupée à méditer la passion et la résurrection de son Seigneur. Mais les scandales des prêtres et religieux pédophiles bousculent le recueillement qui convient à la mémoire du Christ.
D’un bout à l’autre des continents de l’hémisphère nord résonnent les mauvaises nouvelles. Comme la grippe, il ne suffit que d’un cas pour révéler l’épidémie. Les victimes exposent leur lourd secret et dénoncent. Honteux, des agresseurs avouent leurs crimes. Les autorités de l’Église, embarrassées, reconnaissent, condamnent ou défendent. Certains démissionnent et demandent pardon. On cherche maladroitement la transparence.
Les agressions de toute sorte – et pas seulement sexuelles – il en existe depuis les tout premiers soubresauts de vie sur la terre. Même dans les civilisations les plus raffinées, le mal fait des ravages. L’être humain a beau rêver à la perfection, le cauchemar du mal l’atteint jusqu’en ses zones les plus intimes.
Mais comment se fait-il qu’on retrouve des dépravés dans une classe de gens qui placent le respect à un haut niveau comme dans le christianisme? dans une religion qui accorde la première place aux enfants dans le royaume? dans une institution qui a une sainte horreur du mensonge?
Qui faut-il accuser? Qui est coupable? Le célibat? Mais on rencontre des criminels sexuels parmi les gens mariés. Ceux-là sont peut-être plus nombreux encore que parmi les célibataires. La loi du silence est lourde dans les familles. On ose difficilement étaler sur la place publique la honte familiale.
Les délinquants prêtres ou religieux sont peut-être plus conscients qu’on pense de leur déviance. Peut-être ont-ils cru la dépasser en choisissant un état de vie qui a donné des saints, des grands saints. Peut-être croient-ils se guérir ou, du moins, se protéger en choisissant un idéal de perfection qui a fait ses preuves. Peut-être pensent-ils qu’ils pourront arriver à sublimer leur sexualité par une vie spirituelle intense.
Dans ce drame, nous avons plus de questions que de réponses. Chaque situation est unique. Elle doit être traitée personnellement. Chaque victime a droit à sa guérison personnelle. Chaque agresseur, en toute justice, doit faire face à la situation réelle qu’est la sienne.
En cette grande semaine, l’Église prend le relai du Christ. Elle vit à son tour la passion. Comme son Seigneur, elle doit consentir à épouser les traits du serviteur souffrant en Isaïe : «Devant Dieu, le serviteur a poussé comme une plante chétive, enracinée dans une terre aride. Il n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour nous plaire. Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne; nous l’avons méprisé, compter pour rien.» (Isaïe 53, 2-3)
C’est toute l’Église qui souffre dans les victimes d’agression sexuelle. C’est toute l’Église qui est blessée dans ces gestes abominables commis sur des faibles. C’est toute l’Église qui porte l’odieux de ces crimes : les victimes, les agresseurs, les autorités, tous les membres du peuple de Dieu, tous nous sommes appelés à vivre un processus de guérison, nous engager dans une démarche de justice réparatrice, et ultimement à parvenir au pardon. La solidarité avec le Christ nous appelle à la solidarité avec nos frères et nos sœurs en humanité.
Plus que de retrouver sa crédibilité, l’Église a besoin de guérison pour être fidèle à son Seigneur et être sa présence au sein de l’humanité.