Parmi les nouvelles parutions de l’année 2009, voici un sympathique petit livre venu de la Belgique francophone. L’auteur, Benoît Lobet, est prêtre du diocèse de Tournai et enseigne la théologie à l’Université de Louvain-la-Neuve. On lui doit de nombreux essais de spiritualité, dont les Lettres à un ami prêtre, avec l’écrivain Hector Bianciotti (Gallimard, 2006). L’homme de la nuit, du titre, c’est Nicodème qui vint voir Jésus, de nuit, « inquiet, se demandant et espérant qu’il y ait peut-être, de ce côté-là, de la lumière ». Comme le dit fort justement la quatrième de couverture: « Cet homme, dans la nuit, représente chacun de nous marchant dans les ténèbres du monde. » Et après avoir lu le livre, on ne peut que souscrire au résumé qu’on trouve aussi en quatrième de couverture: « À travers cette belle méditation contemporaine, l’auteur cherche à nous dire comment la foi peut être vécue. Et à nous faire goûter la beauté de la vie chrétienne. »
La préface de Mgr Jozef De Kesel, évêque auxiliaire de Malines et Bruxelles, offre une porte d’entrée au lecteur. Le préfacier commence par faire remarquer que « c’est le propre de la philosophie de poser des questions », que « là où tout le monde croit savoir, le philosophe continue à s’interroger », y compris en posant la question ultime de savoir ce qu’est la philosophie elle-même: « Être philosophe, c’est quoi au juste? » Et Mgr De Kesel donne le ton, en ajoutant aussitôt: « On pourrait dire la même chose du chrétien. La foi ne nous apporte pas toujours des réponses. Elle nous fait poser aussi beaucoup de questions. […] Le croyant est un être en recherche. […] Et pour lui aussi il y a une question à laquelle, finalement, il ne peut échapper. C’est celle de savoir ce qu’est la foi elle-même. Croire et être chrétien, c’est quoi au juste? » Certes, durant plusieurs siècles, le monde occidental a été chrétien; mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et c’est pourquoi la question se pose à nouveau, insistante: « Croire et être chrétien, c’est quoi au juste? »
C’est la question posée dans le livre de Benoît Lobet. Mais il ne s’agit pas d’une réflexion théorique; l’auteur cherche à dire, plutôt, comment la foi peut être vécue aujourd’hui. Comme le dit encore Mgr De Kesel: « On cherchera en vain dans ce livre une lecture spiritualisante de la foi. […] La façon dont l’auteur y parle de la vie chrétienne ouvre constamment notre regard vers la richesse de la foi, de la tradition biblique, de la vie liturgique et sacramentelle de l’Église, de la vie intérieure et de la prière, de l’engagement du chrétien au coeur du monde. » L’originalité du livre, selon le préfacier, c’est qu’il parle de la vie chrétienne comme d’une nouvelle naissance. Comme Jésus le dit à Nicodème: « Veux-tu entrer dans mon Royaume? Alors tu dois renaître. » Or, comme dit l’auteur au chapitre VIII (Autour de la Croix), « en christianisme on ne renaît pas seul, on renaît peuple, [et] déjà c’est en peuple qu’Israël fut mis au jour de la liberté, expulsé au travers des eaux de la mer Rouge comme un prodigieux accouchement, au travers d’une gigantesque matrice, quand Dieu se révéla pour le sauver ».
Autour de la croix du Christ, il y a la Mère et le disciple aimé (Jean 19, 25-27), et regardant de loin, Nicodème: « Jésus incline [la tête] pour remettre l’Esprit, pour souffler l’Esprit sur ceux et celles qui comme Nicodème, même de loin, regardent la Croix ». Le disciple aimé, explique l’auteur, « c’est aussi Nicodème et c’est chacun de nous ». Les chrétiens ont d’ailleurs pu être désignés par ces mots: « les aimés ». Ils forment le peuple des aimés: « La Vie en son surgissement telle que Dieu seul la rend possible [est] un amour que l’humain ne saurait de lui-même se fabriquer, un amour qu’il reçoit pour le partager. » Nicodème représente celui qui entend la parole qu’adresse le disciple aimé à tout disciple: « Aimés, aimons-nous les uns les autres. Car l’amour est de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jean 4,7). Voilà donc comment, selon l’auteur, « il s’agit de renaître, de naître une nouvelle fois, de naître d’en haut, de naître de Dieu. » Et chaque chrétien, dans cette nouvelle naissance, est convié à vivre une expérience à la fois unique et solidaire, conclut l’auteur: « C’est en peuple qu’il ressuscite avec le Christ, qu’il sort de la tombe avec lui, [même si] cette vie neuve est pour chacun [accueillie] dans son lieu le plus intime, le plus secret ».
Dans le chapitre XVI (Éthique et spiritualité), un chapitre particulièrement remarquable et représentatif de la manière de l’auteur, celui-ci constate et déplore que les termes « éthique » et « spiritualité » se soient substitués à « morale » et « religion », jugés passéistes, diviseurs et ennuyeux. Et pourtant: « Nous avons vu renaître Nicodème. Et nous ne doutons pas que cette renaissance bouleverse en lui le rapport à la Loi, à l’observance, à l’éthique. Elle élargit plutôt sa conscience morale, elle l’éclaire d’un jour neuf… » L’occasion est belle de rappeler l’enseignement du Concile: « Grâce à la vie spirituelle, la conscience morale du chrétien se découvre peu à peu investie par la présence aimante et agissante de Dieu. […] C’est du reste le motif pour lequel la Tradition chrétienne unanime affirme la nécessité de toujours obéir à sa conscience morale éclairée, même si elle se trompe, puisqu’en elle, de façon sans doute imparfaite et fût-ce comme un souffle ténu, c’est « la voix de Dieu qui se fait entendre » [Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps]. Aussi, dans l’accompagnement des personnes, […] il est essentiel de recadrer avec patience l’évolution éthique dans l’évolution spirituelle. »
Et dans ce même chapitre, Benoît Lobet ne manque pas non plus de faire une mise au point essentielle. Dans la lecture croyante (lectio), l’Écriture devient Parole de Dieu et nourrit le désir du coeur priant, dit-il: « Ceci nous dégage évidemment et, espérons-le, une fois pour toutes, d’une instrumentalisation éthique du Texte sacré. […] Le fondamentalisme devrait partout perdre droit de cité, sans bien sûr que la Bible soit privée de pertinence pour l’élaboration d’une éthique chrétienne aujourd’hui audible dans le concert des propositions et des jugements »! Et audible, il n’est pas facile de l’être en cette période trouble. Dans la même ligne de pensée que l’auteur, on peut citer le frère Timothy Radcliffe, ancien maître de l’Ordre des Prêcheurs, qui déclarait au quotidien La Croix en avril 2009:
« Nous restons [dans l’Église catholique] parce que nous sommes des disciples de Jésus. Croire en Jésus, ce n’est pas adopter une spiritualité privée ou un code moral. C’est accepter d’appartenir à une communauté. Ceux qu’il a appelés marchent ensemble. […] Mais pourquoi ne pourrais-je pas rejoindre une autre communauté chrétienne dont les positions officielles ou les manières d’agir seraient moins embarrassantes? Nous touchons là au coeur même d’une compréhension catholique de l’Église. Dès l’origine, Jésus a appelé dans sa communauté les saints et les pécheurs, les sages et les fous. […] Et il continue à le faire, sinon il n’y aurait pas de place pour quelqu’un comme moi. Une communauté admirable de personnes merveilleuses et vertueuses, qui ne feraient jamais d’erreurs, ne serait pas un signe du Royaume de Dieu. » Signe ou parabole, comme dit l’Évangile: entende qui a des oreilles!