Il y a beaucoup de monde sur le bord du lac de Génésareth (Cf. Luc 5, 1-11). La foule est dense. Elle vient de partout pour écouter un prédicateur qui a pour nom Jésus. Il y a tellement de monde que Jésus est obligé de monter dans une barque, de s’éloigner un peu du rivage et, de là, d’annoncer la Parole de Dieu.
Le succès de Jésus fait contraste avec la tristesse de Simon-Pierre. Le pauvre a lancé les filets toute la nuit avec ses compagnons. Et ils n’ont rien pris. Rien pour nourrir la famille! Rien à vendre au marché! Une nuit perdue!
Dans ce décor de désastre, Jésus se tourne vers Simon et lui dit : «Avance au large et jetez les filets pour prendre du poisson.» C’est le monde à l’envers. Qu’est-ce qu’il connaît de la pêche, ce menuisier devenu prédicateur, pour ordonner de lancer les filets de nouveau?
Malgré la fatigue, malgré la tristesse et le découragement, malgré l’échec de la nuit, malgré l’apparent manque de réalisme de Jésus, Simon-Pierre relève le défi : «Sur ton ordre, je vais jeter les filets.» Résultat: un coup de filet exceptionnel: «Ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient.»
La scène a toutes les allures d’une parabole de la vie. Il nous arrive à nous aussi de connaître l’échec, de traverser des nuits stériles, de lancer les filets sans rien prendre. Depuis quelques semaines, nos yeux sont tournés vers Haïti où la catastrophe est plus désastreuse encore qu’une nuit de mauvaise pêche. Combien de pays comme Haïti ont connu des cataclysmes jusqu’à tout perdre? Combien de pays vivent des conflits à première vue sans issue? Combien d’hommes et de femmes traversent des nuits stériles? Combien d’échecs dans notre propre vie personnelle?
Au cœur de la défaite, quand la nuit est désastreuse, quand les filets de nos projets sont vides, quand le courage veut disparaître, quand la résignation se montre le bout du nez, le témoignage de Jésus peut laisser jaillir la lumière dans l’opacité de la nuit.
Il arrive que Jésus connaisse la popularité comme ce jour de pêche sur le lac de Génésareth. Il arrive souvent aussi qu’il se trouve devant le mur de l’incompréhension, devant le refus de son message, devant la haine implacable. À plusieurs reprises, il annonce sa condamnation et sa mort. L’échec veille dans sa vie.
Loin de céder au pessimisme, Jésus répond en avançant au large et en jetant constamment les filets dans le lac de la vie. Jésus, c’est l’espérance tenace. C’est le courage malgré tout ce qui pourrait conduire à la résignation. C’est la confiance indéfectible en la vie et en Dieu, auteur de toute vie. C’est la foi en Dieu pour qui rien n’est impossible. Jésus, c’est la vie qui nous murmure à l’oreille: «Avance au large»? Ne te résigne pas! Recommence! Relève le défi!
Charles Péguy dit que, de toutes les vertus, l’espérance « est assurément la plus difficile, qu’elle est peut-être la seule difficile». Elle est difficile parce qu’elle demande d’avancer au large sans garantie de succès, tout en portant sur la réalité un regard réaliste. Elle est difficile parce qu’elle demande de dépasser la naïveté qui nous ferait avancer comme des aveugles. Elle est difficile parce que « la pente est de désespérer et c’est la grande tentation» (Charles Péguy).
La terre a besoin que nous espérions pour elle un avenir. Pour que la paix s’étende sur tous les continents, les peuples ont besoin de croire qu’il peuvent parvenir à s’aimer. Ils ont besoin de dépasser la tentation du désespoir devant les obstacles qui jonchent la route souvent rocailleuse et ardue. Pour que les humains croient à la solidarité et pour qu’ils puissent construire une fraternité universelle, ils ont besoin d’espérer parvenir à s’accueillir les uns les autres en vivant de la richesse de leurs différences.
L’espérance, c’est le plus beau cadeau que les chrétiens et les chrétiennes peuvent offrir à l’humanité.