Les scientifiques, les explorateurs de tous les temps et tous les chercheurs de vérité ont leur fête au tout début de l’année: l’Épiphanie ou les Rois. Sous la forme du partage de la fameuse galette, cette fête est comme l’autre côté d’un même symbole solaire dont la première face est Noël. Avec la fête de l’Épiphanie du Seigneur, on passe de l’intimité de la naissance de Jésus dans l’humble halte de Bethléem à l’universalité anticipée de sa reconnaissance parmi les nations. Toutefois, dans les deux cas Celui qui se révèle comme Fils de Dieu et comme Sauveur demande à être accueilli avec un coeur d’enfant, et c’est précisément de cela dont il s’agit dans le livre de Georges Lauris.
Comme le dit la quatrième de couverture : « Avec son âme d’enfant et de sage, [l’auteur] a depuis longtemps appris à lire le ciel. De même qu’il a appris à lire l’Évangile. » Dominicain de Marseille, philosophe et poète, « il a aussi appris à raconter des histoires. […] Si vous écoutez bien, vous découvrirez le fil d’or qui relie toutes ces histoires entre elles: toutes sont nées de la plus belle histoire du monde; l’histoire d’une douce nuit où Dieu, dit-on, se fit petit enfant pour apporter au monde la paix et la joie. Et si vous êtes vraiment attentifs, vous aurez envie de lire le ciel […]; vous aurez envie de [relire] l’Évangile […]; vous vous ferez une âme de nomade, comme les Mages qui vinrent de loin, guidés par une étoile spéciale pour se laisser combler par l’Enfant-Dieu. » Ce frère prêcheur possède l’art de faire rêver.
Ce recueil de récits et de contes de Noël intitulé Mages au pied de la Lune est en fait le troisième d’une série publiée par le même auteur aux Éditions du Cerf, après ses Contes de Noël aux herbes de Provence (2002) et les Mille et une nuits avant Noël (2004). Les contes et la poésie participent chez cet auteur d’une visée commune. Comme il l’explique dans l’Avant-propos de l’ouvrage : « J’ai expurgé ces contes de toute offense au Bonheur. J’ai claqué la porte au nez du Mal. […] Dans mon arche, la Justice, la Paix et le Ciel occupent les principaux ministères. […] Les déluges sont terrassés, le peuple des Hommes et des Bêtes parle la même langue parfumée de liberté. » Oh! oui, et on en redemande.
D’ailleurs, avec cette idée d’une langue parfumée de liberté Georges Lauris prolonge à sa manière l’oeuvre de Péguy, dont il s’inspire volontiers, et il rejoint le propos d’un Gaston Miron qui disait que la poésie est « une autre langue dans la même langue »; et aussi, en même temps, « la même langue dans toutes les langues ». Reconnaissable, justement, à son parfum de liberté. Les titres de chapitres sont parfois de véritables petits poèmes en soi, et sont chaque fois la promesse d’un bref voyage initiatique: L’ange-mésange; La légende dorée de Jonas le Breton; L’évangile selon Saint-Soleil… Les Rois mages y sont souvent présents, comme de raison. Nuit blanche au-dessus de la nuit, par exemple, réserve des surprises :
« Les mages faisaient leur métier de roi et, en même temps, de citoyens d’un autre royaume. Après les mages, il y a eu Saint Louis. Après, Jeanne d’Arc. Mais, pour elle, parce qu’elle était ignorante, et ne savait pas lire, et qu’il faut être instruit pour lire dans les étoiles […] le Bon Dieu a dit: « Je vais remplacer l’étoile des mages par des voix du Ciel. » Et, naturellement, ça marche. » Dans le sens d’une approche théologique du conte, par ailleurs, on se retrouve à méditer le mystère de l’Incarnation, que Georges Lauris appelle le mystère de « l’encharnellement ». Ainsi dans le chapitre intitulé Sous le chapiteau de Bethléem: « Les chrétiens, avant de soulever les cathédrales, ont élevé leur grand mystère — l’encharnellement de Dieu — au rang de fête populaire, lisible par les intouchables de toutes les nations. »
Et dans Mon beau silence! (à partir d’un souvenir d’enfance): « J’ai grandi, [et] mon émerveillement pour Noël s’est transformé. […] Je me suis tourné vers la fête de l’Épiphanie. […] Le mystère, de lui-même, parle. Et donc, il faut taire le bavardage et les questions. Face à cet enfant, je ne vais pas lui demander : «Qu’est-ce que tu fais là Jésus Christ? » […] Les rois mages qui viennent s’agenouiller devant un enfant qu’ils ne connaissent pas posent sur lui un regard de foi. […] Ces rois ne disent pas au Christ : « Nous t’adorerons quand tu seras plus grand. » Ce qui se passe c’est une rencontre, faite de naïveté, de spontanéité. Les enfants devant la crèche s’émerveillent, mais ne sont pas étonnés. Ils ont un sens inné de la beauté. Pour eux, ce qui est beau est vrai. C’est cela, la prière. »
Tel que décrit par Georges Lauris, le regard de foi des Mages n’est en réalité pas différent de celui d’Abraham le prophète, « berger et père des croyants ». Faisant parler ces rois, la Liturgie des heures le rappelle dans l’hymne qui débute l’office des lectures pour l’Épiphanie du Seigneur (extrait): « Jadis Abraham le croyant / Prit cette route sans détour; / Joyeux, nous partons vers l’Enfant / Dont il a vu naître le Jour.» Pour sa part, le grand Irénée de Lyon a ce mot sublime: « Abraham… quitta sa famille et suivit le Verbe de Dieu, se faisant voyageur avec le Verbe pour devenir concitoyen du Verbe… » Et tout est dit: l’éminent Père de l’Église confirme ici l’intuition du poète.