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Patristique,

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Patristique

Sixième homélie sur Saint Paul (2)

Imprimer Par Jean Chrysostome

LA PEUR DE LA MORT

3. Mais, direz-vous, il lui est bien arrivé, aussi de redouter la mort. Oui, et cela aussi est bien dans notre nature. Mais c’est encore lui, lui qui craignait la mort, qui déclare en revanche : « Nous qui sommes dans cette tente nous gémis¬sons accablés » (2 Co 5 4), οu « Nous gémissons, nous aussi, intérieurement. » (Rm 8 23) Vous voyez comment il a contre¬balancé la fragilité de la nature par la force qu’il lui a opposée grâce à sa volonté. Maintes et maintes fois, déjà, les martyrs, au moment d’être conduits à la mort devinrent livides, tant ils étaient remplis de peur et d’angoisse; mais c’est là justement ce qui les rend admirables : avec cette peur qu’ils avaient de la mort, pour le Christ ils ne se dérοbèrent pas à la mort. Paul, de même, avait beau redouter la mort, il ne cherchait pas le moins du monde à échapper à la géhenne pour l’amour du Christ, et lui qui tremblait devant le terme, cherchait à quitter ce monde !

Ce comportement n’est pas propre à Paul : le chef des apôtres, qui déclara souvent être prêt à livrer sa vie (Mt 26 35) avait une crainte profonde de la mort. Écoutez par exemple les paroles que le Christ lui adresse à ce sujet : « Quand tu seras devenu vieux, on te nouera la ceinture et on te conduira où tu ne voudrais pas» (Jn 21 18). Il visait par là la défaillance de la nature, non celle de sa volonté. La nature manifeste ses tendances, même contre notre gré, et l’on ne peut triompher de ses défaillances, même si l’on y met toute sa volonté, toute son énergie. Cela ne saurait nullement nous valoir des récriminations, et c’est bien plutôt ce qui doit nourrir l’admiration. Oui, doit-on nous blâmer de craindre Ia mort? Ne doit-on pas, en revanche nous féliciter de ne pas nous résigner, malgré notre crainte, à quoi que ce soit de vil? Ce n’est pas notre nature qui doit être blâmée pour ces faiblesses, c’est notre esclavage par rapport à elles. Ainsi, nous redresser après les assauts que nous livre notre nature, grâce à l’énergie de notre volonté, voilà qui est faire preuve de grandeur et qui mérite l’admiration.

C’est montrer là tout le pouvoir de la volonté, et fermer la bouche à ceux qui se lamentent en disant : « Pourquoi le courage ne nous est-il pas naturel» Mais, je vous le demande, qu’importe qu’il soit naturel οu dû à l’action de la volonté ? Dans quelle mesure, cependant, ceci est-il préférable à cela? Dans la mesure où l’action de la volonté permet de remporter la couronne, et fait apparaître le mérite dans tout son éclat. Mais, direz-vous, cc qu’il y a de ferme, c’est ce qui est inné. Je vous répondrai qu’une volonté bien trempée est ce qu’il y a encore de plus solide !
Regardez les martyrs : leur corps a été transpercé par l’épée, la nature a dû céder devant les armes, mais la volonté, elle, n’a pas succombé, elle n’a pas été confondue. Regardez Abraham : dites-moi, sa volonté n’a-t-elle pas triomphé de la nature, quand il reçut l’ordre d’égorger son fils, ne s’est-elle pas révélée plus puissante (Go 22) ?

Regardez les trois enfants : le cas est le même (Da 3). Et ne connaissez-vous pas ce mot de la sagesse païenne : à force d’habitude la volonté donne une seconde hérédité ? Je dirais même, pour ma part, que la volonté est même la donnée première comme l’ont montré mes propos depuis un moment, et vous voyez ainsi que l’on peut se donner par un autre biais une solidité naturelle, pour peu qu’on aut une volonté bien trempée et dans un état habituel de vigilance, et vous voyez aussi que l’on récolte plus d’éloges quand les qualités morales sont le fruit d’un choix, d’un acte de la volonté et non pas une donnée qui s’impose à vous. Ah! voici qui est admirable, absolument: « Je meurtris mon corps et le traite en esclave. » (1 Co 9 27) Ah! voilà où sa noblesse éclate pleinement, voilà ce qui porte mon admiration à son comble; ce n’est pas sans mal, je le vois, qu’il atteint la perfection, et, dès lors, il n’est plus possible à ceux qui se laissent aller de mettre en avant je ne sais quelles heureuses dispositions dont il aurait été doué, lui.

PUISSANCE DE LA VOLONTE

4. Quand il déclare : « Je suis un crucifié pour le monde» (Ga 6 14), c’est à sa volonté que je donne le prix. Car on peut, oui, on peut très bien, grâce à une volonté rigoureuse, faire exactement comme si l’on tenait sa force de la nature. Si nous regardons cet homme en pleine lumière, l’exposant comme la statue même qui représente la vertu achevée, nous verrons que son ambition fut de porter les qualités qu’il s’était données grâce à sa volante au degré de solidité qui est propre aux tendances innées. Il souffrait, c’est sûr, quand on le frappait, mais il ne méprisait pas moins la douleur que s’il avait été une des créatures incorporelles, qui ne souffrent pas, comme on peut s’en rendre compte par ses propos; ils font croire qu’il était loin de partager notre condition commune. Quand il dit : « Le monde est un cru¬cifié pour moi et moi je suis un crucifié pour le monde» (Ga 6, 14), οu encore: «Et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2 20), que déclare-t-il par là ?

Qu’il a quitté son propre corps, rien de moins que cela! Et quand il nous confie : « Il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan» (2 Co 12 7), qu’est-ce à dire sinon que sa souffrance se bornait au domaine physique, rien de moins que cela! N’allons pas dire qu’il était imperméable à la souffrance, non, mais il la repoussait, il la chassait grâce à ses immenses réserves de volonté. N’est-ce pas la même signification qu’il faut attribuer à bien d’autres déclarations, plus étonnantes encore, quand il se réjouit d’être fouetté, quand il se glorifie de ses chaînes? Quel autre sens donner à des propos comme celui-ci : « Je meurtris mon corps et je le traite en esclave, dans la crainte qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même mis hors compétition» ? (1 Co 9 27) Ils révèlent la faiblesse de sa nature, mais d’après mon raisonnement, une volonté bien trempée.

Tout cela permet d’établir deux points, à considérer conjointement : il faut éviter d’une part que tous ces traits de grandeur ne laissent croire qu’il était d’une autre nature que nous et ne nous amènent à désespérer, d’autre part, et inversement, que toutes ces faiblesses ne nous amènent à condamner une personne aussi sainte ; au contraire, trouvons là des raisons de rejeter tout désespoir pour nous tourner vers de fermes espérances.

LE SENS DE L’EQUILIBRE. PAUL VIOLENT?

5. Tout cela permet à Paul d’établir le rôle de la grâce divine, a contrario, et il le fait surabondamment, disons plutôt, pour ne pas laisser croire que rien ne venait de lui, généreusement. Mais il n’oublie pas, pour autant, de parler de sa propre énergie, pour ne pas vous amener à tout jeter entre les mains de Dieu et à sombrer dans un sommeil pro¬fond, au point de ronfler. Partout vous trouverez chez lui une mesure, une règle qu’il fixe avec beaucoup de rigueur.

Peut-être, direz-vous, mais il a attaqué très durement le fondeur Alexandre (2 Tm 4 14). Eh bien, que vient faire cet exemple? Il n’a pas parlé sous le coup de la colère, mais de la douleur qu’il éprouvait à cause de la vérité. Ce n’est pas pour lui-même qu’il souffrait, mais parce que cet homme s’opposait à la proclamation du message : « C’est un adversaire acharné de ma prédication », il ne dit pas : « de moi-même» (2Tm 4 15). En lançant ses imprécations, il manifestait tout son attachement à la vérité, mais ce n’est pas tout, il redonnait courage à ses disciples. Il était normal, en effet, qu’ils soient tous offusqués en voyant ceux qui bafouaient Ia Parole de Dieu le faire impunément ; telle est la raison de ses propos.
Il lui est bien arrivé, me direz-vous, d’appeler un châti¬ment sur quelques individus : « S’il est juste, aux yeux de Dieu, de rendre la tribulation à ceux qui nous l’infligent », dit-il (2 Th 1 6) ; attention! ce n’est pas qu’il souhaitait leur punition, à Dieu ne plaise, c’est qu’il n’avait de cesse de redonner courage à ceux qui étaient bafoués, et c’est bien pourquoi ii ajoute : « et de vous rendre, à vous, qui la subissez, le repos » (2 Th 1 7).

Et quand c’est lui-même qui subit quelque désagrément, écoutez-le, et voyez sa sagesse dans la façon de répondre aux attaques : «Insultés, nous bénissons ; persécutés, nous endurons, calomniés, nous consolons.» (1 Co 4 12-13) Et si vous alliez prétendre que ses paroles οu ses actes, quand ils avaient pour fin l’intérêt des autres, étaient inspirés par la colère, c’est le moment ou jamais de prétendre que c’est sous le coup de la colère aussi qu’il rendit Elymas infirme (Ac 13 4-12), ou que Pierre a été l’assassin, sous le coup de la colère également, d’Ananie et de Saphire (Ac 5 1-11) ! Mais personne n’est assez fou, assez stupide pour soutenir cela. On trouve ainsi beaucoup d’autres paroles ou actes qui ont l’air d’être autant de brutalités de sa part, et qui manifestent pleinement, au contraire, sa bonté. Lorsque, par exemple, il abandonne à Satan le Corinthien incestueux (1 Co 5), c’est l’effet d’une grande charité, de dispositions de tendresse, et c’est ce qui apparaît d’après la deuxième lettre aussi. Quand il menace les Juifs en leur disant : «La colère de Dieu les a pris de court et demeurera sur eux », ce n’est pas qu’il déborde de fureur (vous l’entendez, en tout cas, prier continuellement pour eux), il veut seulement leur faire peur et les ramener à plus de modération.

Bon, direz-vous, mais il a insulté le grand prêtre, en lui lançant : « C’est Dieu qui va te frapper, muraille blanchie ! » (Ac 23 3) Certains, nous le savons, voulant justifier cette parole, pré¬tendent qu’il faut y voir une prophétie; je ne le leur reproche pas, les choses se sont bel et bien passées comme cela, ii est bien mort sous les coups. Mais voyons, si l’on manifeste une hostilité particulièrement vive dans une altercation avec quelqu’un, il est superflu, justement, de répondre à une remontrance : « J’ignorais que ce fut le grand-prêtre » (Ac 23 5) (et s’il s’agissait d’une prophétie, pourquoi se défendre par cette même phrase ?). Disons plutôt qu’il faut voir 1à une mise en garde pour les autres, une façon de leur apprendre à s’adresser avec courtoisie aux Scribes et aux Pharisiens, comme le faisait déjà le Christ. Il a dit tout ce qu’on peut dire et tout ce qu’on ne peut pas dire sur les Scribes et les Pharisiens, tout en affirmant: « Les Scribes et les Pharisiens occupent la chaire de Moise : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire. » (Mt 23 2-3) Ainsi, en cette circonstance, Paul respecta la dignité du grand-prêtre en même temps qu’il annonça à l’avance ce qui devait arriver. Et s’il a retranché Jean de la communauté, il ne l’a fait qu’en ayant égard aux cοnséquences pour la prédication.

RESPONSABILITE ET FERMETE

6. Quand on prend la responsabilité de ce ministère, en effet, on doit se garder de toute mollesse et ne pas être prompt à se laisser abattre ; il y faut du courage, de l’énergie, οu alors qu’on n’aille pas se mêler d’une aussi magnifique tâche, si l’on n’est pas capable d’aller jusqu’à donner sa propre vie en échange de la mort, des périls; le Christ l’a dit lui-même : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il se charge de sa croix et m’accompagne. » (Mt 16 24) Ne pas avoir ces dispositions-là, c’est trahir les autres en masse; mieux vaudrait rester tranquille, replié sur soi, que de se présenter devant tout le monde pour recevoir un fardeau qui excède vos forces, car alors on se perd, et les autres avec soi, et ils vous avaient fait confiance.

N’est-ce pas un peu aberrant ? Si l’on ignore l’art de la navigation, la façon de lutter contre les flots, supposé même qu’une foule de gens vous y contraigne, on n’ira pas s’intaller à la barre ; et quand il s’agit de venir proclamer le mes¬sage, on se mettrait sur les rangs, à la légère, au petit bon¬heur, on accepterait inconsidérément une charge qui vous met en contact avec mille et mille morts ! Ni le pilote de navire, ni le gladiateur qui affronte les fauves οu celui qui a choisi le combat singulier, personne ne doit se mettre sur le pied de guerre, face aux mille occasions de périr, d’être massacré, comme celui qui prend en charge la proclamation du message. Ici les périls sont plus grands, comme les adversaires plus redoutables, et l’on ne se fait plus massacrer pour je ne sais quel enjeu, c’est le ciel qui est proposé comme prix, tandis que la géhenne est le lot réservé à ceux qui échouent; c’est du salut οu de la perdition de l’âme qu’il s’agit.

Et ce n’est pas seulement le prédicateur qui doit être ainsi sur le pied de guerre, c’est le simple fidèle : car c’est à tous, sans exception, qu’est lancée l’invitation à se charger de sa croix et à accompagner le Christ ; et si c’est à tous qu’elle s’adresse, c’est à plus forte raison à ceux qui enseignent, aux pasteurs, dont faisait justement partie Jean, appelé aussi Marc. Dès lors c’est justice, s’il a été retranché, parce qu’il s’était mis en première ligne de la phalange et qu’il s’y était comporté comme le dernier des lâches. Et si Paul l’a renvoyé, c’est pour éviter que son manque de vigueur ne nuise à l’énergie des autres.

Quant à la dispute qui les opposa, d’après Luc, n’y voyez aucun motif d’accusation (Ac15 37-40). Ce n’est pas la dispute qui est insupportable, c’est de s’y livrer sans raison et sans fondement. « La colère injuste ne sera pas inno¬cente.» (Si 1 22) Il ne s’agit pas simplement de la colère, mais de la colère injuste. Et que dit le Christ ? » « Celui qui se met en colère contre son frère sans sujet. » (Mt 5 22) Quant au prορhète, il affirme : « Mettez-vous en colère sans tomber dans le péché. » (Ps 4 5) Si l’on ne peut donner cours à cette passion, même quand les circonstances vous y invitent, à quoi rime sa présence en nous? À rien, elle est vaine. Non, elle ne l’est pas, et si le Créateur l’a mise en nous, c’est pour corriger les pécheurs, pour réveiller les âmes endormies dans la faiblesse et en état de démission, pour secouer le sommeil des gens assoupis et en état de relâchement ; il a mis en nos cœurs la colère comme la lame d’une épée, c’est pour nous servir d’elle, y trouver une force, quand il le faut. Paul s’en est souvent servi, et sa colère a quelque chose de plus attachant que des propos lénifiants, parce que tout ce qu’il faisait, c’était avec le sens de l’à-propos, et au service de la proclamation du message. Car la douceur n’est pas bonne purement et simplement, cela dépend des circonstances, et si vous supprimez l’opportunité, la douceur devient de la lâcheté, comme la colère un emportement impudent.

Oh! en développant cela je n’avais pas pour but de défendre Paul, il se passe bien de nos discours! C’est que sa gloire lui vient non des hommes, mais de Dieu. Non, mon but était d’apprendre à ceux qui m’écoutent à faire usage de tout quand il le faut, comme je l’ai dit plus haut. Nous pourrons ainsi tirer profit de toute circonstance, et avec quelles richesses nous nous dirigerons vers le port abrité des tempêtes, pour y recevoir les couronnes immortelles! Et puissions-nous tous en être jugés dignes, avec la grâce et la miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et pour toujours, et pour les siècles des siècles. Amen.

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