Les anniversaires se suivent mais ne se ressemblent pas toujours. Ainsi, vendredi dernier le Centre Bell débordait de joie en célébrant le centième anniversaire du club de hockey, les Canadiens de Montréal! Deux jours après, dimanche, la fête n’est pas au rendez-vous car on fait mémoire de quatorze jeunes femmes assassinées par un tueur fou à l’École Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989.
C’était il y a vingt ans! Pour beaucoup c’est hier, tellement le souvenir reste présent à la mémoire. Ces étudiantes avaient le malheur d’être des femmes. Le jeune homme, lui, était malheureusement misogyne jusqu’à la haine. Le contraire aurait pu se produire. Nous sommes tous frères et sœurs comme Caïn et Abel, amis ou ennemis potentiels. Nous pouvons tous être l’agresseur ou la victime. La haine nous habite et, certains jours, fait ses ravages. Nous n’allons pas nécessairement aussi loin que Marc Lépine, heureusement. Mais l’assassin se tient en embuscade, prêt à dégainer.
Pourtant, depuis deux mille ans, le message du Christ résonne sur tous les tons d’un bout à l’autre de la planète: «Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres» (Jean 13, 34). Deux mille ans! Et même davantage puisque le Christ reprenait le Lévitique : «Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère» (19, 17). Parlant du Christ, Paul annonçait aux Éphésiens : «C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples – l’Apôtre parlait des juifs et des non juifs – n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine (…) pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, en les réconciliant avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a supprimé la Haine» (Éphésiens 2, 14-16)
Le Christ a supprimé la haine dans sa chair. Mais la haine n’est pas maîtrisée pour autant. Le travail de sa suppression reste encore à faire dans toutes les autres chairs, dans tous les autres cœurs, et cela jusqu’à la fin des siècles. «Il suffit qu’un seul homme en haïsse un autre pour que la haine gagne de proche en proche l’humanité entière.» (Jean-Paul Sartre)
Le Christ nous entraîne au-delà de la haine. Mais la victoire ne peut se faire sans nous, sans une décision personnelle de chaque être humain. Et l’amour ne peut être possible que si meurent en nous les tendances égoïstes qui nous habitent naturellement. À Nehru dont on admirait les nombreux combats aux côtés de Gandhi, on demandait : «Quelle est la victoire dont vous êtes le plus fier?» Humblement, le grand patriote indien répondit qu’il était fier de voir les qualités des gens qu’il rencontrait avant de remarquer leurs défauts.
En ce triste anniversaire de la tuerie de Polytechnique, je suis renvoyé à mes propres inimitiés, aux haines que je nourris consciemment ou non. «Pourquoi nous haïr? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire.» (Antoine de Saint-Exupéry)