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Nous avons célébré la messe de Noël à la prison, dans la salle commune d’un secteur, juste à côté des cellules, sur une petite table que les détenus utilisent chaque jour pour leurs repas. Sur les murs, pas d’images pieuses, pas de statues de saints, rien que des posters… J’ai déplié le corporal sur la table d’acier, puis disposé le calice et la patène. J’ai placé un petit crucifix en avant du corporal et un cierge juste à côté. Un détenu a fourni le feu pour allumer le cierge. J’ai revêtu mon aube te mon étole. J’ai ensuite distribué des Prions en Eglise, puis j’ai souhaité la bienvenu à tous mes « paroissiens ». Et nous avons commencé la messe.
Ils sont là, sept ou huit, regroupés autour de la table. Ils n’ont pas leurs habits du dimanche, mais sont habillés comme à l’habitude en prison : jeans ou culottes courtes, t-shirts ou chemises de coton. Ils sont venus prier, ces pauvres de notre société, accusés de crimes ou déjà condamnés par la Cour.
Ils n’ont sans doute jamais participé à la messe d’aussi près. Ils peuvent, s’ils le veulent, toucher le pain consacré et le calice. X. est juste là devant moi : entre lui et moi il y a le corps et le sang du Christ qu’il regarde intensément. Il prie avec ferveur. Sa tête ébouriffée est penchée sur les saintes espèces en un geste profond d’adoration et de supplication. Même s’il manque des boutons à sa chemise, il est accueilli par le Seigneur qui « ne juge pas à l’apparence, mais regarde le cœur » (1 Samuel 16,7). A coté de X., M est très attentif à ce qui se déroule sous ses yeux. « Pour moi, me dira-t-il après la messe, c’est la première fois. » Il a un air très recueilli ; il vit, je le sens, un moment intense de rencontre avec son Dieu. Presque à mes pieds, assis par terre parce qu’il n’y a pas assez de bancs autour de l’autel improvisé, se trouve B., qui est le plus jeune du secteur ; il écoute discrètement les prières et parle à ce Dieu mystérieux qui vient jusqu’à lui, dans sa prison, en ce jour de Noël. Il y a encore A., debout à coté de moi, qui ne perd pas un mot de ce qui se passe.
L’Evangile raconte la visite des bergers à Jésus dans l’étable de Bethléem. Comme nous sommes près, ici même, de la vérité profonde du mystère de Noël ! Les bergers, on le sait, étaient mal considérés par la société de leur temps : ils étaient souvent tenus pour des voleurs et même des tueurs. On les regardait comme des marginaux et on les rejetait… et pourtant, c’est à eux, en premier, que le Seigneur s’est manifesté et c’est peut-être chez eux, dans leur étable, que Jésus est né. Le Seigneur vient pour tout le monde, mais en priorité pour les petits, les pauvres, les « jugés pas bons ».
Mes paroissiens ont communié à la Parole de Dieu avec une foi profonde, comme des pauvres à qui « la Bonne Nouvelles est annoncée » (Luc 4, 18). Ils se sont ouverts à l’amour de Jésus qui les aime assez pour se donner entièrement à eux jusqu’au fond de leur isolement et de leur cœur, « pour qu’ils aient la vie » (Jean 10, 10).
Ce Noël a été l’un des plus beaux de ma vie !
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Certains prisonniers, une infime minorité cependant, ne veulent rien savoir de Dieu et me le disent clairement : « je ne crois pas en Dieu… je ne veux pas en entendre parler… c’est des histoires de ma grand-mère… c’est niaisage ! ».
D’autres connaissent un peu Dieu, mais ne le fréquentent qu’occasionnellement : « tu comprends, quand je suis dehors, je n’ai pas le temps d’aller à la messe, de faire des prières et ces choses-là ; je suis trop occupé à autre chose. Alors… » Je comprends, bien sûr, mais je comprends surtout que maintenant qu’ils sont « en dedans’ ils ont du temps aussi pour ces choses-là ».
D’autres encore ont dans la tête et dans le cœur l’image d’un Dieu qui les juge, les condamne et les punit ; « Avec ce que j’ai fait, c’est que je vais aller chez le diable ! » me lance l’un d’eux, mi-sérieux, mi-moqueur. Plusieurs ne sont pas loin de penser que Dieu ne s’intéresse pas à eux et que, s’il était vraiment bon, il ne leur arriverait pas ce qui leur arrive.
D’autres, enfin, s’aperçoivent petit à petit que l’image qu’ils s’étaient faite de Dieu change, évolue, se transforme. Un Dieu de compassion et de pardon, un Dieu d’espérance et d’amour, prend alors peu à peu place dans leur vie. Ils découvrent que Dieu est plus grande que leur cœur et surtout qu’il déborde d’amour pour eux.
Un jour, l’un d’eux, qui avait commis un meurtre sur une jeune personne, entendit à la messe la parole d’Isaïe : « Quand bien même tes péchés seraient rouges comme l’écarlate, je vais les rendre blancs comme la neige » (1,18). Intrigué, il est venu me voir pour discuter de cette parole. Quand il a compris que Dieu était, non seulement capable mais heureux de lui pardonner le mal qu’il avait commis, il a été tout ébranlé. Et les ombres de son âme ont commencé à faire place à la lumière.
Pour clore ce journal, je voudrais adresser trois mercis. Merci d’abord au Seigneur qui m’a permis de rendre compte, bien sommairement j’en conviens, de mon expérience pastorale, l’une des plus merveilleuses et des plus gratifiantes de ma vie de prêtre et de pasteur. Merci ensuite aux prisonniers qui m’ont appris tant de choses sur la vie et, surtout, qui m’ont évangélisé bien plus que je ne l’ai fait pour eux. A cet égard, je garde en mémoire le mot de Vincent de Paul : « Ne vous occupez pas des prisonniers, si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui doivent nous évangéliser et nous convertir. Après Dieu, c’est à eux que je dois le plus. » Merci enfin à vous tous qui m’avez lu. Vous n’êtes sans doute jamais allés en prison. Mais, comme les voisins du berger qui a retrouvé sa brebis perdue, vous pouvez vous réjouir de tout cœur avec lui. Comme le père de la parabole, faites donc la fête chaque fois qu’un fils de Dieu qui était mort revient à la vie !
Dieu est Amour, rien qu’Amour, toujours, partout et pour tous.