Une foule de témoins
Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève, avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ; d’une voix forte, il cria aux quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de dévaster la terre et la mer : « Ne dévastez pas la terre, ni la mer, ni les arbres avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. »
Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël.
Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main. Et ils proclamaient d’une voix forte : « Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le Trône, et par l’Agneau ! »
Tous les anges qui se tenaient en cercle autour du Trône, autour des Anciens et des quatre Vivants, se prosternèrent devant le Trône, la face contre terre, pour adorer Dieu. Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Tous ces gens vêtus de blanc, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? » Je lui répondis : « C’est toi qui le sais, mon seigneur. » Il reprit : « Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. »
COMMENTAIRE
En ce dimanche de la Toussaint, nous faisons mémoire de tous les saints, ces hommes et femmes qui ont témoigné du Christ vivant et de son évangile de tant de manières au cours des siècles. Des gens de toute origine et culture qui ont été avant tout des témoins, et certains jusqu’au don de leur vie.
Cela me rappelle une célébration particulière à laquelle j’ai assisté à Rome, durant une semaine sainte, dans le vieux quartier du Trastevere. Une célébration oécuménique faisait mémoire des témoins de différentes Églises qui avaient été tués au cours des dernières années. Cette célébration était très touchante et simple. Les noms des personnes étaient donnés, avec leur pays d’origine et la date de leur mort (sous tant de formes : balles, bombes, machettes, etc.), le tout entrecoupé de prières et de chants. Hommes, femmes et enfants, religieux, laïcs et prêtres, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Europe, tout un peuple de martyrs modernes, souvent inconnus et ignorés, défilait devant nous en une longue litanie émouvante et intense.
En cette période de mondialisation, le pouvoir économique et politique se concentre et le monde devient un immense marché. Mais, en même temps, la grande faucheuse continue de faire ses ravages, éliminant froidement ceux qui gênent. Ses exécutants, convaincus ou mercenaires, portent des masques variées : forces de sécurité, fanatiques de tout genre, soldats super-armés, citoyens ordinaires. Derrière eux, des états et des organisations, souvent alliées, planifient et regardent de loin, pendant que des marchands calculent et profitent.
En cette première partie du 21e siècle, le livre de l’Apocalypse prend ainsi une actualité étonnante. Non pas celle qui est mise de l’avant par les excités de la fin du monde mais l’actualité du refus des idoles et du don de sa vie pour la paix et la vérité. Ce livre étrange et dérangeant, à travers la multiplicité et l’interaction de ses symboles, offre une virulente critique du pouvoir totalitaire de l’Empire romain et un vif appel à la résistance. Ce prophétisme provient d’une minorité religieuse sans pouvoir, faible et persécutée, qui n’a comme richesse que son espérance, exprimée à travers une abondance d’hymnes et de gestes liturgiques, auxquels l’Apocalypse renvoie constamment.
Petites communautés de la fin du premier siècle, dispersées dans tout l’Empire, avec leurs forces et leurs misères, leur courage et leur tiédeur, mais surtout avec des témoins qui prennent des risques, qui refusent de s’agenouiller devant des illusions figées en lois et statues, qui posent des gestes d’affection fraternelle, qui restent libres, qui renoncent à des carrières afin de maintenir leur intégrité. Ces chrétiens sont grecs, juifs, syriens, égyptiens, romains; ils sont artisans, fonctionnaires, esclaves. Ils sont arrêtés, jetés en prison; plusieurs sont tués, avec cruauté, pour alimenter les spectacles qui divertissent les citoyens.
En ce vingt-et-unième siècle, l’universalité du peuple de Dieu, et de ses témoins de toute race et nation, est encore plus grande qu’au premier. Des communautés chrétiennes sont présentes dans tous les continents, avec leurs visages propres. Mais aussi, aujourd’hui encore, des témoins prennent des risques, refusent les idoles, posent des gestes de paix et de fraternité, et ils en subissent les conséquences, parfois jusqu’au don de leur vie. Et souvent, cette réalité de la grande épreuve se transforme en banal incident, enrobé de mensonges, qui alimente le spectacle de l’information pour un temps bref, puis on passe à autre chose. Mais derrière les manchettes rapides, il y a des visages d’hommes, de femmes et d’enfants, qui témoignent d’une espérance vive.
Le texte de l’Apocalypse n’est pas lettre morte. Des témoins se tiennent encore debout, et ils en meurent. Aussi peuvent-ils se tenir debout devant celui qui les inspire, cet agneau, victime éliminée par des pouvoirs alliés mais victime devenue pasteur d’un peuple nouveau. Par delà le martyre, ces témoins d’hier et d’aujourd’hui ont trouvé la source de vie, là où il n’y a plus ni faim, ni soif, ni larme.
Ces témoins ont annoncé un bonheur singulier, celui dont Jésus parle dans les évangiles. Ils ont été pauvres de cœur, miséricordieux, artisans de paix, persécutés pour la justice. Si nous voulons nous engager sur cette voie, nous savons que nous ne sommes pas seuls. Tous les saints nous soutiennent de leur exemple et de leur acclamation : Amen!