Quand j’étais en pastorale scolaire, dans une école secondaire de Gatineau, au Québec, un de mes collègues de travail avait l’habitude de saluer les jeunes qui l’abordaient, ou que lui-même abordait, par une expression qui chaque fois les étonnait et me surprenait moi aussi. Il leur disait : « Salut, saint homme ! » ou bien « Salut, sainte femme ! » Et s’engageait toujours une conversation joyeuse, stimulante, constructive. L’audacieuse et surprenante salutation donnait le ton. D’abord elle produisait un certain choc. On pouvait voir la surprise des jeunes de se savoir si hautement considérés par le prêtre. Souvent ils protestaient d’abord vigoureusement de leur innocence : « Non, pas moi, je ne suis pas un saint. » C’était, dans bien des cas, le sentiment d’être débordé par une telle expression, d’être mis au défi de donner raison à l’homme qui souvent les connaissait bien peu, qui leur témoignait d’emblée beaucoup de confiance et d’estime, et qui avait à leur endroit une bien grande attente. Une fierté profonde surgissait bientôt là où d’abord s’était manifestée l’incrédulité et la méfiance. C’est que le prêtre était sincère et qu’il voyait juste. Ne sommes-nous pas tous des saints qui s’ignorent ? Ou bien, dites-moi, pourquoi ne serions-nous pas tous des saints ?
Il y avait sans doute une part de stratégie dans l’approche de mon confrère. Mais cette attitude lui venait d’une conviction profonde, d’une découverte personnelle. Ses contacts avec la jeunesse l’avaient doté d’un optimisme remarquable. Les confidences reçues, les situations rencontrées, les combats menés lui donnaient l’expérience directe de l’âme des jeunes. Il savait leurs rêves, leurs idéaux, leurs faiblesses, leurs capacités, les talents dont ils étaient pourvus, les ressources qui les animaient. Il savait aussi, par sa prière, tout l’amour dont ils étaient l’objet dans le cœur de Dieu lui-même.
Mon confrère avait profondément raison. Il croyait dans la sainteté des jeunes Ils les voyaient sanctifiés radicalement dans le Christ Jésus. Leur baptême et leur confirmation leur avaient nettement signifié une dimension d’éternité. Ils étaient des saints en vérité, au plus profond d’eux-mêmes. Ils étaient des saints en devenir tout au moins, par vocation, en germe et en promesse. Le leur rappeler en les saluant, c’était les convoquer chaque fois au meilleur d’eux-mêmes pour un rendez-vous de foi, d’amour et d’espérance.
Que signifie être un saint, si ce n’est vouloir marcher dans l’attente du jour nouveau, dans l’espérance d’un bonheur infini ? N’est-ce pas déjà vouloir poser sa pierre pour bâtir le Royaume annoncé. La Toussaint, c’est la fête de nos avances sur l’Éternité, fête des milliers de témoins annonciateurs des temps nouveaux, promoteurs du bonheur vers lequel nous allons, sans le savoir peut-être, sans même que nous le voulions clairement. Être des saints, c’est être là pour Dieu, c’est être avec lui déjà, lui dans notre cœur, et nous emportés par son amour.