1 Du maître de chant. De David.
En Yahvé j’ai mon abri.
Comment dites-vous à mon âme :
« Fuis à ta montagne, passereau. »
2 « Vois les impies bander leur arc,
ils ajustent leur flèche à la corde
pour viser dans l’ombre les cœurs droits ;
3 si les fondations sont ruinées, que peut le juste ? »
4 Yahvé dans son palais de sainteté,
Yahvé, dans les cieux est son trône ;
ses yeux contemplent le monde,
ses paupières éprouvent les fils d’Adam.
5 Yahvé éprouve le juste et l’impie.
Qui aime la violence, son âme le hait.
6 Il fera pleuvoir sur les impies des charbons,
feu et soufre et vent de tempête,
c’est la coupe qu’ils auront en partage.
7 Yahvé est juste, il aime la justice,
les cœurs droits contempleront sa face.
(Bible de Jérusalem)
Contrairement à un psaume comme le Ps 4 où le suppliant est angoissé devant Dieu (cf. « pitié pour moi, écoute ma prière ! », Ps 4,2), le Ps 11 est un psaume de pleine confiance dans le Seigneur. Certains psaumes, comme les Ps 7, 16, 31, 57, 71, commencent de la même façon, c’est-à-dire en affirmant qu’en Dieu se trouve notre refuge, mais c’est pour, dans un deuxième temps, crier notre détresse à Dieu, Lui dire : « parce que nous avons notre refuge en Toi, Tu dois nous aider, Tu dois nous sauver ». Ici il n’en est rien, c’est une confiance absolue en Yahvé qui est ensuite exposée.
Le psalmiste s’adresse à des personnes qui lui disent de faire attention à ceux qui lui veulent du mal ; ces impies, qui sont là tapis dans l’ombre, et cherchent le bon moment pour l’atteindre. Ne nous trompons pas ! Ces impies, ennemis du juste, ne sont pas à l’extérieur de la communauté, mais bien à l’intérieur. Ce sont ceux qui sont proches qui lui veulent du mal. La réponse du psalmiste est admirable. Il invite ses interlocuteurs à cesser d’avoir peur pour lui et les encourage à tenir fermement. Sa confiance est absolue et elle trouve sa source en Dieu. « Yahvé est juste, il aime la justice », aussi le mal ne peut pas atteindre celui qui pratique la justice.
La structure du psaume est facile à repérer. Les vv. 1-3 rapportent les avertissements de certains membres de la communauté envers le psalmiste ; les vv. 4-7 relatent la réponse pleine de foi en Yahvé du psalmiste.
Comme pour le Ps 7, notre psaume commence par le verset : « En Yahvé j’ai mon abri ». Nous commençons donc avec ce psaume par poser un acte de confiance. Le psalmiste nous dit : « J’ai une confiance absolue en Dieu, il ne peut rien m’arriver car j’ai mon abri en Yahvé ». C’est seulement dans un deuxième temps, avec les paroles d’avertissement des amis, que nous connaîtrons le mal qui se trame contre lui. Le psalmiste commence ainsi car pour lui seul Yahvé est important. Toute sa vie, les persécutions comme sa propre mort, il la remet entre les mains de son Dieu.
Yahvé est le premier nommé dans ce psaume car Il doit être le premier servi. Il est frappant de noter combien Yahvé est absent dans les propos des amis, aux vv. 1-3, et combien Il est omniprésent dans les vv. 4-7 qui rapportent les paroles du psalmiste. Cette différence est importante à signaler. Ceux qui prennent peur ne font aucune référence à Yahvé, au fond ils réagissent comme si Dieu n’existait pas. Le psalmiste n’a pas peur car Dieu marche avec lui, Il est sans cesse à ses côtés.
Les paroles « Fuis à ta montagne, passereau » du v. 1 ne viennent pas des ennemis du psalmiste. En effet, ils n’ont rien à gagner à ce que celui-ci trouve un refuge et sauve ainsi son âme. Ce sont bien les amis du psalmiste qui lui donnent ce conseil afin de le protéger, afin qu’il sauve sa vie devant des adversaires en furie.
Le juste est comparé à un petit oiseau, un passereau, qui va fuir vers les montagnes. On l’imagine volontiers voler sans effort pour aller se poser sur le rocher d’une montagne, ou bien trouver un refuge dans les arbres qui nombreux couvrent la montagne en Terre sainte (cf. la parabole du grain de sénevé : « la plus petite de toutes les graines… qui devient même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches », Mt 13,32). Les montagnes, et en particulier les nombreuses grottes que l’on y trouve, sont des lieux où l’on peut trouver refuge et se cacher le temps que le déchaînement ennemi soit passé. Lot fuit vers la montagne pour se cacher car Sodome est dans la vallée du Jourdain (Gn 19,17). De la même façon, Mattathias va chercher refuge dans la montagne car la ville de Modîn est près de la plaine côtière (1 M 2,28). On peut aussi citer David qui va trouver refuge dans les falaises et les grottes d’Engaddi alors que Saül est à sa recherche (cf. 1 S 24,1.3). Le renvoi à David est intéressant à souligner dans la mesure où ce psaume, dans le titre, est attribué à David lui-même.
Mais un lecteur attentif peut faire remarquer que Jérusalem, où se trouve notre psalmiste, est déjà dans les montagnes à 800 mètres d’altitude ! La montagne n’est pas alors synonyme de lieu sûr, mais plutôt de danger. En fait, il faut considérer les paroles « Fuis à ta montagne, passereau » comme une image. Les amis ne conseillent pas de fuir véritablement dans un lieu montagneux, pas plus que le psalmiste n’est un oiseau ! Ils veulent simplement signifier qu’il doit, à l’image d’un passereau trouvant refuge dans les montagnes, partir vite se cacher dans un lieu secret où il sera en sécurité.
Le psalmiste réagit avec force aux propos de ses amis : « Comment dites-vous à mon âme », ce que l’on pourrait comprendre ainsi : « Comment osez-vous me dire cela ? Vous vous prétendez être mes amis, et vous me conseillez de fuir devant les impies !! »
Nous avons aux vv. 2-3 ce qu’il convient d’appeler une métaphore filée, c’est-à-dire que l’on continue de comparer le psalmiste, le juste, à un oiseau. On a alors recours au réseau lexical de la chasse à l’arc. Les impies, ceux qui s’en prennent au juste, sont comme des chasseurs prêts à tirer sur un oiseau, se préparant ainsi à bander l’arc.
Ce n’est pas leur cible qui se trouve dans l’obscurité, ce qui serait, en réalité, une protection pour elle, mais bien les chasseurs. On peut le comprendre à deux niveaux. Les impies sont réellement tapis dans l’ombre, c’est une technique de chasse bien connue. Mais à un niveau plus imagé, on peut comprendre que les ennemis se cachent derrière un masque. Nous savons que nos pires ennemis sont souvent à chercher parmi ceux qui se présentent comme nos amis, pire comme nos frères.
Le v. 3 joue un peu un rôle de transition entre les deux grandes parties du psaume dans la mesure où il fait encore partie des avertissements qui émanent des autres membres de la communauté et, en même temps, apparaît déjà le thème, si important pour la suite, du juste. Même s’il semble difficile d’y voir déjà une réflexion venant du juste, on doit tout de même noter un changement de vocabulaire. Nous ne sommes plus ici dans la thématique de la chasse à l’arc, mais on parle de façon très générale de la destruction des fondations de la société israélite. S’il n’y a plus de morale, si l’on peut faire n’importe quoi, alors il n’y a plus de vie en société possible. Le constat est amer, mais peut-être malheureusement juste, en tout cas du point de vue des amis : la violence a remplacé le droit. L’expression « si les fondations sont ruinées, que peut le juste ? » peut s’entendre de deux façons diamétralement opposées. Si les fondations sont ruinées, c’est-à-dire si effectivement l’éthique d’une société n’existe plus, alors on ne peut pas comprendre pour quelles raisons le juste n’agit pas ? Ou bien alors, si les fondations sont ruinées, si c’est le règne de la violence, alors, au contraire la seule chose qu’il reste à faire, la seule chose que peut faire le juste, c’est lui aussi de faire le mal, de rendre le mal pour le mal, la violence pour la violence. Que peut le juste, sinon faire lui aussi le mal.
Pour le juste, il n’est pas possible de considérer la situation d’une façon aussi désespérante. Toutefois, on peut comprendre « le juste » de deux façons. Soit cela renvoie à Yahvé qui est le juste par excellence, qui ne peut ni se tromper, ni tromper autrui. « Yahvé est juste, il aime la justice » nous dira plus loin le v. 7. Soit cela renvoie au psalmiste qui est appelé, au v. 5, le juste par opposition à l’impie.
Les vv. 4-7 ne font qu’expliquer la conviction profonde du psalmiste exprimée dès le v. 1 : « En Yahvé j’ai mon abri ». Le mot « Yahvé » est prononcé à quatre reprises dans ces versets, et Il est le sujet, directement ou indirectement (ses yeux ; ses paupières ; son âme), pour chacune des phrases. En fait, la place importante du mot « Yahvé » dans le psaume reflète la place centrale qu’Il a dans la vie du psalmiste. Cela signifie que toute son existence se déroule sous le regard de Dieu.
La réponse à la violence des impies ne consiste pas à imposer plus de violence. Mais cela va encore plus loin car le juste sait que ce n’est pas lui qui doit agir mais que la réponse ne peut venir que de Dieu. Saint Pierre ne dit pas autre chose dans sa première lettre : « Déchargez-vous sur Dieu de tous vos soucis puisqu’Il s’occupe de vous » (cf. 1 P 5,7).
Le psalmiste est à Jérusalem, lieu où se trouve le Temple, et où se trouvent aussi ses ennemis. Or le Temple de Jérusalem n’est que la pâle copie du palais céleste où Dieu réside (cf. He 8,4 : « ceux-là assurent le service d’une copie et d’une ombre des réalités célestes, ainsi que Moïse, quand il eut à construire la Tente, en fut divinement averti : Vois, est-il dit en effet, tu feras tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne »). C’est là en réalité que le juste doit trouver refuge.
Mais ne nous méprenons pas, le fait que Dieu soit au Ciel ne veut pas dire qu’Il ne s’intéresse pas à la vie des hommes, à la vie sur terre. Dieu est le souverain maître du ciel et de la terre. Du ciel, Il voit les hommes, Il a une vue imprenable sur chacune de nos actions, de nos pensées les plus secrètes. C’est l’omniscience divine, Il sait tout, Il voit tout, rien ne peut Lui échapper. Cet intérêt de Dieu pour les hommes est signifié par des anthropomorphismes, « ses yeux », « ses paupières », et aussi par un verbe inhabituel « contempler ». Dieu ne jette pas un coup d’œil rapide, Il contemple.
L’expression du v. 4 « ses paupières éprouvent les fils d’Adam » peut paraître étrange parce qu’on ne voit pas avec les paupières. Cela veut peut-être dire que Celui qui sonde les reins et les cœurs (cf. Jr 17,10 ; Ap 2,23) ne ferme jamais les yeux.
Dieu est capable de distinguer entre le juste et l’impie, Il est véritablement le seul à voir au-delà des apparences, du paraître, des faux-semblants. Nous n’en sommes pas toujours capables, parce que notre regard est faussé, voilé, biaisé par le péché originel, ou bien volontairement nous refusons de voir les choses telles qu’elles sont, ou bien parce que certains mènent une double vie ou jouent sur deux tableaux à la fois, si bien qu’il n’est pas toujours facile de distinguer le bon du méchant.
La confiance du psalmiste en son Dieu va plus loin. Non seulement il sait que Dieu juge avec justice, mais il sait aussi qu’Il va agir contre les impies. Le v. 6 décrit une dévastation qui renvoie vers l’avant et vers l’arrière. C’est à la fois une allusion au moment du jugement eschatologique, à la fin des temps, quand Dieu essuiera toute larme des yeux des justes : « de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus » (cf. Ap 21,4) ; et c’est une allusion, par l’emploi d’un même vocabulaire, à la destruction de Sodome et Gomorrhe (cf. Gn 19,24 : « Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu »).
Dieu envoie, depuis le Ciel, l’orage et la foudre qui sont autrement plus dévastateurs que les pauvres petites flèches des impies. L’arc de Yahvé est équipé de flèches flamboyantes, des brandons, qui peuvent dévaster les impies. Cette pluie divine n’a pas pour effet de tuer des personnes, mais de rendre leur terre tout à fait stérile.
Habituellement, la coupe que l’on partage est quelque chose de positif, c’est la coupe du vin de la joie, c’est la coupe de bénédiction. Mais cette coupe peut être remplie de poison, quand elle est destinée aux impies c’est-à-dire aux ennemis du juste et donc de Yahvé (cf. Ps 75,9 : « Yahvé a en main une coupe, et c’est de vin fermenté qu’est rempli le breuvage; il en versera, ils en suceront la lie, ils boiront, tous les impies de la terre »).
Les cœurs droits, c’est-à-dire les justes, pourront contempler la Face de Dieu. Ici notre psaume prend des accents très proches des Béatitudes, en saint Matthieu : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » (cf. Mt 5,8).
Le chrétien sait que Jésus est le seul Juste. Il est ce Juste qui a connu la moquerie et l’injustice de la part des impies à Jérusalem. Il n’a pas commis de violence ; il n’y a pas eu de tromperie dans sa bouche (cf. Is 53,9). Il ne refusa pas d’être livré aux mains des méchants ni de subir le supplice de la Croix. Jésus est également Celui qui voit, de toute éternité, la Face du Père. « Et le Verbe était tourné vers Dieu » nous dit le Prologue de l’évangile selon saint Jean (Jn 1,2). Le chrétien, à l’imitation du Maître, sait qu’il peut connaître la persécution, en ce monde, et qu’il ne trouvera la consolation, c’est-à-dire la contemplation de la Face de Dieu, que dans l’autre monde.