Le temps grognait méchamment. De gros nuages pleuraient des larmes de rage. Le fleuve explosait de colère. Les demoiselles Bourgault rentraient précipitamment, le dos courbé, la tête sous leur fragile parapluie. Le petit Dumont courait se réfugier au magasin du coin. Personne d’autre n’osait s’aventurer dehors par ce temps de chien.
Sauf, monsieur Arsène qui s’amusait sur la grève. La marée était basse et le vieillard sautait d’une roche à l’autre comme un adolescent en manque d’activité.
Il aimait les orages, monsieur Arsène. C’était pour lui une sorte de défi.
– Je veux bien respecter la nature, elle a ses droits. Mais je demeure le maître. Je dois avoir le dessus sur elle!
La vieille Philomène ne partageait pas complètement les dires de son mari :
– C’est pas sur le mauvais temps que t’as le dessus, c’est sur ta peur. C’est toi que tu domptes. Tu devrais savoir ça après soixante-douze ans au bord de l’eau.
Un été, Arsène était monté à la Manic voir les barrages. On en parlait avec admiration depuis que les garçons de Joseph-Octave Lamarre travaillaient sur ce gigantesque chantier. L’ouvrage avait impressionné Arsène. Il avait alors levé son chapeau pour saluer le génie humain, capable de maîtriser des tonnes d’eau. Mais il continuait de reconnaître la puissance de la nature qui pouvait se déchaîner sans annoncer ses intentions. Et, les jours de tempête, quand il arpentait la grève, la peur le frôlait. Au fond de lui-même, Arsène donnait raison à sa bien-aimée.
Pendant trente ans, monsieur Arsène avait creusé des puits. Il exerçait sur la Côte-du-Sud le métier de puisatier. Et il aimait son métier. Promener sa branche de coudrier sur les terres de la région pour localiser des sources, laisser la terre donner son eau comme une femme donne son lait précieux à son poupon : tout cela fascinait Arsène et lui permettait d’apprivoiser sa peur en présence des grandes eaux redoutables. Il reconnaissait dans l’eau un côté gentil, doux, frais, candide même. À l’opposé complètement des déluges de fin de novembre sur les battures du fleuve. Finalement, l’eau n’était pas, comme on dit dans les livres savants, «incolore, inodore, insipide et sans saveur». Au contraire, elle déployait les harmoniques de la vie et de la mort. Elle était tout, sauf l’insignifiance.
Un dimanche, à l’église, le puisatier avait entendu le récit de la samaritaine qui rencontre Jésus au puits de Jacob (Jean 4)). Ce dimanche-là, Arsène avait été fervent plus que de coutume : il voyait le Christ assis sur le bord de ses fontaines en train de «jaser» avec les gens qui venaient chercher de l’eau pour leurs besoins quotidiens. Il bomba le torse en pensant que son eau, sa belle eau de source, avait baptisé une bonne partie des enfants de la région.
L’eau dangereuse pouvait aussi sauver. L’eau redoutable pouvait manifester de la tendresse. L’eau destructrice pouvait aussi traduire la bonté de Dieu qui protège ceux et celles qu’il baigne dans son amour.
En rentrant à la maison, après la messe de la samaritaine, monsieur Arsène confia à sa Philomène :
– Toutes les sources que j’ai découvertes, je pense que c’était de l’eau bénite!