Après saint Paul, dont le bimillénaire a été abondamment souligné en 2008-2009, on célèbre aussi cette année le 500e anniversaire de la naissance du réformateur Jean Calvin. Né le 10 juillet 1509 à Noyon en France, Calvin est mort le 27 mai 1564 à Genève, en Suisse (donc peu de temps après la clôture du concile de Trente, qui s’est tenu de la fin de 1545 à la fin de 1563). Son père s’appelait Gérard Cauvin, et le nom de Calvin vient en fait du latin Calvinus, après refrancisation de la forme latine du nom de famille Cauvin. Parmi les biographies du Réformateur publiées à l’occasion de cette Année Calvin, on peut signaler celle que Jean-Luc Mouton a fait paraître dans la collection Folio chez Gallimard.
Théologien et juriste de formation, et ancien journaliste politique au quotidien La Croix, l’auteur est actuellement directeur de l’hebdomadaire protestant Réforme. Les deux rédactions, de La Croix et de Réforme, viennent d’ailleurs de s’associer dans un projet éditorial commun, qui a produit un dossier remarquable sur les « enfants de Calvin ». L’origine de cette jolie expression est donnée dans la biographie de Jean-Luc Mouton, qui signe aussi un des articles de ce dossier. En effet, l’auteur rapporte la réponse que fit Calvin, vers la fin de sa vie, à un contradicteur qui prétendait que l’absence de descendant du Réformateur était une preuve de la malédiction qui pesait sur lui et sur sa doctrine. « Le Seigneur m’avait donné un petit fils; il l’ôta », dit Calvin (dont le petit garçon nommé Jacques, né prématurément, ne vécut pas plus d’une dizaine de jours). Mais il ajouta: « Je réplique qu’en toute la chrétienté j’ai des enfants à dix milliers. »
Le livre de Jean-Luc Mouton commence avec une saisissante évocation de l’austère cérémonie de l’enterrement de Calvin. Pas de discours, pas d’hymnes. La fosse commune est ouverte devant un petit cercle d’intimes, dont le successeur et confident Théodore de Bèze, au cimetière de Plainpalais, aux abords de la ville de Genève. « Lentement, sans un mot, le corps du défunt est porté en terre, sans cercueil, simplement dans un drap de grosse toile. Il n’y aura ni tombe, ni pierre tombale, ni aucun signe visible », et ce, en conformité avec les strictes ordonnances décidées par la Compagnie des pasteurs de Genève, après le retour de Calvin, en 1541. Mais, comme dit l’auteur, « cette volonté d’effacement a produit d’autres effets que ceux escomptés ». Comment ne pas pressentir que cette absence à soi a nourri la mauvaise image d’un Calvin à la triste figure, au visage émacié, distant et d’une austérité glaciale?
D’où sans doute le besoin de réhabiliter cet ancêtre pas commode, comme l’auteur s’efforce de le faire avec beaucoup de lucidité et de simplicité à la fois: « Très loin de toute image aussi pieuse que mièvre, [Calvin] est entier, combattant, passionnément vivant jusqu’à son dernier souffle. […] Le « je » que le Réformateur a voulu enfouir ne cesse au fond de se dévoiler dans toute sa force et son énergie mystérieuse dans ses textes. » L’objectif de Jean-Claude Mouton dans cette biographie est essentiellement le même que celui qu’on trouve énoncé dans le dossier de La Croix et de Réforme, « Les enfants de Calvin ». Car il s’agit bien ici, non seulement de rappeler quel fut l’homme Calvin et quelle était sa théologie, mais aussi de comprendre quel peut être son héritage aujourd’hui, pour la famille protestante dans sa diversité mais également pour les catholiques. On peut également souligner l’intérêt que présente le livre de Jean-Luc Mouton du point de vue de la spiritualité en général, en considérant Calvin comme un maître spirituel.
Certes, il faut suivre Jean-Claude Mouton jusqu’au bout de sa démarche, qui risque parfois de paraître déconcertante pour le lecteur non prévenu; mais une fois acquise la vue d’ensemble qu’offre le contenu de l’ouvrage, on peut affirmer sans hésitation que la patience du lecteur ne manquera pas d’être récompensée. L’auteur fait comprendre, entre autres, la personnalité de Calvin comme laïc, juriste et humaniste. La loi de Moïse et les lois que les hommes n’ont cessé de produire, à cet exemple, « sont au coeur de l’enseignement de Calvin et de sa volonté de construire, non seulement une foi renouvelée fondée sur les Écritures, mais aussi une cité nouvelle, un nouvel ordre social. » Et comme dit l’auteur: « Sa formation, maîtrisant les arcanes du droit laïc, mais aussi ceux de la théologie, en fait un esprit profondément original. […] Il est laïc. Profondément laïc. La robe qu’il porte pour prêcher et qu’il léguera aux futurs pasteurs réformés est celle des enseignants et des universitaires. » Mais il a aussi, pour ainsi dire, les défauts de ses qualités: « Calvin prétend […] être héritier d’une « lumière » qui doit permettre de débusquer le mal et les dérives des faux docteurs. Il n’est qu’un relais, un organe de diffusion et de répétition par la voix ou l’écriture de la pensée même de Dieu. Une manière d’être à soi et à Dieu que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui de « fondamentaliste ». »
Cependant, on retiendra du propos de Jean-Luc Mouton que Calvin était « un homme de foi », une foi qui était pour lui « une confiance quotidienne en la Providence »; on retiendra aussi qu’on aurait tort de ne pas entretenir, comme y invite l’auteur, « la mémoire de sa réflexion théologique et de ses intuitions spirituelles. Une théologie dont la marque principale est une attention constante à l’humanité […] et une constante affirmation de la dignité humaine »; on retiendra surtout le massage d’espérance que livre l’auteur dans les dernières pages de sa biographie: « Calvin affirme que le Christ peut être vu dans chaque personne. Cette présence nous réconforte et nous juge, mais en conséquence nous rend responsables et non plus le jouet de forces occultes et mystérieuses. Nous sommes même les gardiens de l’intégrité de la création comme « théâtre de la gloire de Dieu ». […] Cette manière particulière de se tenir devant Dieu, confiant en son dessein de miséricorde, réaliste et responsable, connaîtra une fortune considérable dans le monde. […]
« Calvin a tenté jusqu’au bout de proposer une foi libérée de ses angoisses mortifères. Il voulait réduire l’écart radical qui sépare le monde d’en bas, celui des humains, d’avec l’immensité de la grandeur divine en retrouvant les accents, la fraternité et la confiance des premiers témoins du Christ. L’homme, aussi limité et incapable soit-il, transformé par la confiance et la grâce du Christ, pouvait être l’instrument de ce renouveau. Cette espérance demeure. » Comme dit encore Jean-Luc Mouton dans sa contribution au dossier cité plus haut: « Si Calvin se voit en « simple instrument de la gloire de Dieu », il est en réalité beaucoup plus qu’il ne veut bien l’admettre. Calvin vit et se mobilise jusqu’à son dernier souffle dans la parfaite conscience d’être un acteur de Dieu. Un acteur profondément engagé et responsable dans le grand théâtre du monde. » Dans cette mesure, tous peuvent se reconnaître un peu dans la figure du réformateur, et les enfants de Calvin peuvent certainement être considérés par tous comme des frères.