Est-ce l’automne et ses temps gris qui dépriment certains chrétiens de mon entourage? Toujours est-il que j’entends de temps à autre des propos qui frôlent le découragement.
Il y a ce prêtre octogénaire, nostalgique de l’époque triomphante de l’Église. «Ce bon vieux temps, comme il l’appelle, où nos églises étaient pleines, où le clergé était apprécié, où la foi était palpable!» Regret d’un passé d’autant plus enjolivé qu’on le sait irrécupérable!
À l’autre bout de la chaîne généalogique, voici ce garçon dans la jeune vingtaine, croyant convaincu, adepte des JMJ et autres grands rassemblements, à la recherche intensive d’autres croyants avec qui partager ce qui fait le sens de sa vie. «J’ai l’impression d’être le dernier dinosaure du christianisme. Mes amis ne croient pas. Ils ont même le sourire facile quand j’affirme mes convictions.» Pendant que le vieillard se souvient du passé avec nostalgie, le jeune rêve un avenir plus ensoleillé.
Comme il est difficile de croire en ces temps-ci. Certains parlent de la déconfiture d’une Église qui perd de plus en plus sa place au soleil. À côté, le silence sur Dieu s’installe dans la société où les signes du catholicisme se retirent l’un après l’autre, pour faire place aux symboles d’une pseudo-neutralité. Et les médias qui n’abordent la religion que pour la ridiculiser ou pour annoncer à grand déploiement scandalisé les écarts sexuels de tel prêtre ou évêque.
C’est vrai que les temps sont durs. Mais ont-ils déjà été faciles? Parcourez l’histoire du christianisme : vous ne trouverez pas une époque où foi et société vivaient des jours de parfait bonheur. «On nous prend pour des nuls, des rigolos», dit Tertullien à propos de ses contemporains. À ceux qui pouffent de rire quand les chrétiens parlent de la crucifixion de leur sauveur ou de sa naissance virginale, Tertullien répond : «Acceptez cette fable pour le moment : elle est semblable aux vôtres!» (Citations de son Apologie, tirées de Luc FERRY et Lucien JERPHAGNON, La tentation du christianisme, Paris, Grasset, 2009, p. 26-27.)
Les réactions n’ont pas attendu longtemps avant de se manifester. Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, saint Paul écrit : «Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens.» (1 Corinthiens 1, 22-23)
La foi chrétienne n’a rien de banal ni d’insignifiant. Dès qu’elle s’exprime, elle fait face à des résistances. Résistances du côté des incroyants, des distants, des méfiants, cela va de soi. Résistances aussi du côté des croyants, même des grands croyants qui, un jour ou l’autre, traversent les déserts du dépouillement intérieur. La recherche de Dieu ne se fait pas sans combat. Et combat davantage en soi-même qu’avec les autres. N’oublions pas l’aventure de Jacob au gué de Yabboq : «Un homme se roula avec lui dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore. Il vit qu’il ne pouvait l’emporter sur lui, il heurta Jacob à la courbe du fémur qui se déboîta alors qu’il roulait avec lui dans la poussière. Il lui dit : «Laisse-moi car l’aurore s’est levée.» — «Je ne te laisserai pas, répondit-il, que tu ne m’aies béni.» (Genèse 32, 25-27) Cette nuit-là, Jacob reçut un nouveau nom : Israël «car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l’as emporté» (v. 29). Jacob a gagné son combat, un combat contre Dieu.
Dieu n’est pas évident. Dieu n’est pas certitude. La foi est une épreuve à la manière des épreuves olympiques. C’est dans la lutte qu’on devient croyant. Paradoxalement, cette lutte se fait en solitaire comme en communauté. Les deux à la fois. Nous luttons les uns près des autres, nous soutenant mutuellement tout en sachant très bien que c’est un combat que nous menons chacun personnellement à même nos propres forces. Sans oublier aussi que la présence de Dieu dans nos vies ne dépend que de lui.