J’avais à peine dix ans. Un jour, ma mère me tendit un tout petit érable à sucre : 30 cm de haut, trois minuscules feuilles!
«Choisis un endroit dans le jardin, me dit ma mère, et plante-le. Ce sera ton arbre à toi. Tu en prendras soin pour qu’il grandisse et devienne un géant.»
Je me sentis très honoré de recevoir une aussi honorable mission. Je m’empressai de choisir un endroit, du côté nord de la maison. Je creusai la terre, y déposai mon nouvel ami, l’arrosai copieusement et remplis le trou soigneusement. Pendant les jours qui suivirent, je dorlotais mon érable d’attentions de toute sorte. Et je le laissai se développer, devenir «un géant».
Mon arbre a traversé les saisons, se gorgeant de soleil en été, subissant la sécheresse ou les inondations, certaines années. Il offre à chaque automne la richesse de ses couleurs. Au printemps, la sève qui l’envahit est pleine de promesses. Parfois, le froid de l’hiver et ses tempêtes l’ont secoué. Ce fut le cas lors de la grande épreuve du verglas : il faillit mourir.
Beau temps, mauvais temps, mon érable a grandi, s’embellissant en vieillissant. On dirait même que la vie le rend heureux, si je peux me permettre de parler ainsi.
Ma vie ressemble à mon arbre. Elle a commencé doucement, il y a de nombreuses années, trop nombreuses à mon goût! Elle traverse les saisons. Au fil des jours, elle vit les étés de ses mûrissements. Elle partage les généreuses récoltes de ses automnes. Elle connaît l’ardeur printanière des recommencements. Il lui arrive de subir les durs coups des hivers. D’une saison à l’autre, d’une année à l’autre, mon bonheur se nourrit à la fois de mon histoire passée et de l’avenir que j’espère.
Je reconnais dans ma vie les traces de la présence de Dieu. Présence discrète, si peu envahissante, à la merci de ma foi et de mes doutes. La sève de son amour me vivifie. Le vent de son Esprit me fait dessiner des arabesques que je n’aurais pas soupçonnées aux temps des rêves fous de mon adolescence.
Suis-je devenu un géant comme mon érable? Pas encore. D’ailleurs, je n’en vois pas la nécessité. Peu importe la hauteur que je puisse atteindre, l’essentiel n’est pas là. Il est plutôt dans l’accueil inconditionnel des saisons que je suis invité à habiter et à laisser m’habiter. Goûter le présent avec ses provisions qui mûrissent d’un jour à l’autre et qui font la richesse de mes automnes, la santé de ma foi. Et qui me soutiennent quand les hivers sont trop rudes, quand je dois émonder mes branches.
L’érable de mon enfance continue de vivre du côté nord de la maison paternelle, depuis plus d’un demi-siècle. Quand je retourne là-bas, je lance un clin d’œil à celui qui est devenu le monument-souvenir de ma vie, la parabole de mon existence.