Proclamation
2 Grand, Seigneur, et louable hautement
dans la ville de notre Dieu,
le mont sacré, 3 superbe d’élan,
joie de toute la terre;
le mont Sion, cœur de l’Aquilon,
cité du grand roi :
4 Dieu, du milieu de ses palais,
s’est révélé citadelle.
Évocation
5 Voici, des rois s’étaient ligués,
avançant à la fois;
6 ils virent, et du coup stupéfiés,
pris de panique, ils décampèrent.
7 Là, un tremblement les saisit,
un frisson d’accouchée,
8 ce fut le vent d’est qui brise
les vaisseaux de Tarsis.
9 Comme on nous l’avait dit, nous l’avons vu
dans la ville de notre Dieu,
dans la ville du Seigneur Sabaot;
Dieu l’affermit à jamais.
Invocation
ditons, ô Dieu, ton amour
au milieu de ton temple!
11 Comme ton nom, Dieu, ta louange
jusqu’au bout de la terre!
Ta droite est remplie de justice,
12 le mont Sion jubile;
les filles de Juda exultent
devant tes jugements.
Invitation
13 Longez Sion, parcourez-la,
dénombrez ses tours;
14 que vos cœurs s’attachent à ses murs,
détaillez ses palais;
Pour raconter aux âges futurs
15 que lui est Dieu,
notre Dieu aux siècles des siècles,
lui, il nous conduit!
(Traduction de la Bible de Jérusalem)
Un psaume à la louange de Dieu, comme tant d’autres, même s’il ne s’adresse à lui à la deuxième personne qu’en trois versets (v. 10-12) sur quinze. Et le motif de la louange? Voilà qui est plus particulier : si Dieu est célébré, c’est en tant que protecteur de Jérusalem, le lieu privilégié de sa présence.
D’un bout à l’autre, c’est bien de Jérusalem qu’il est question, même si elle n’est nommée nulle part expressément. De la ville, le psalmiste célèbre pour une part l’emplacement topographique, cette position géographique unique sur les hauteurs du mont Sion, ce « beau point culminant » dont parle l’hébreu et que la Bible de Jérusalem a rendu par « superbe d’élan » (v. 3). De ce mont Sion, qu’il ne craint pas de désigner comme « la joie de toute la terre » (v. 3), le psaume, de proche en proche, multiplie fièrement la mention (v. 2, 12 et 14). À côté de ce qu’elle doit à la nature, le psaume souligne encore ce que Jérusalem doit à la culture : ses monuments et ses constructions, le temple (v. 10), bien sûr, mais aussi les tours de garde (v. 13), les murs fortifiés et les remparts (v. 14) aussi bien que les « palais » (v. 4 et 14), traduction d’un terme hébreu pouvant aussi désigner des « donjons » et des édifices fortifiés.
Mais, plus encore que le lieu physique, c’est le lieu spirituel que célèbre le psalmiste. À ses yeux de croyant, Jérusalem est d’abord et avant tout le lieu de la présence de Dieu : « ville de notre Dieu » (v. 2), « mont sacré » (v. 2), « cité du grand roi » (v. 3), « ville du Seigneur Sabaot » (v. 9). C’est encore ce qu’évoque, au v. 3, l’expression énigmatique « cœur de l’Aquilon », si l’on y voit la transposition du thème de la « montagne du nord », lieu de la demeure divine selon la mythologie phénicienne.
La Jérusalem matérielle / la Jérusalem spirituelle. Jérusalem, ville forte / Jérusalem, ville de Dieu. Nous tenons là la grille de lecture de l’ensemble du psaume.
La proclamation (v. 2-4) : Dieu, notre vraie citadelle
Derrière les remparts et les murs fortifiés, il y a Dieu. En vérité, c’est lui, Yahvé, qui assure la protection de la ville. C’est lui la vraie citadelle (v. 4), qui garantit à Jérusalem sa sécurité. Voilà ce que proclame le premier volet du psaume (v. 2-4), en se faisant l’écho d’une conviction traditionnelle.
C’est cette conviction qui, à la manière d’un refrain, s’exprime à trois reprises dans le psaume 46 : « Avec nous, le Seigneur Sabaot, citadelle pour nous, le Dieu de Jacob! » (v. 4, 8 et 12). « Dieu est en elle (la cité de Dieu), elle ne peut chanceler », proclame encore le même psaume au v. 6. C’est la même assurance dont témoigne le Ps 125: « Qui s’appuie sur le Seigneur ressemble au mont Sion : rien ne l’ébranle, il est stable pour toujours » (v. 1). Et encore, en variant les formulations, le début du Ps 127 : « Si le Seigneur ne garde la ville, en vain la garde veille ».
L’évocation (v. 5-9) : la ville imprenable
S’il chante ainsi la protection de Dieu, c’est que le psalmiste en a à l’esprit une illustration, encore toute récente peut-être ou enfouie dans la mémoire collective de son peuple.
L’événement tout d’abord (v. 6-8) : ligués pour prendre la ville, des opposants, à la seule vue de celle-ci, semble-t-il, renoncèrent à leur attaque. C’est qu’en elle-même déjà, la Jérusalem matérielle reste impressionnante, au point de « stupéfier » des attaquants et les détourner de leur projet (v. 6), par crainte de difficultés semblables à celles des douleurs fondant sur la femme enceinte (v. 7) ou à un vent d’est surgissant en pleine mer et menaçant jusqu’aux plus solides cargos au long cours (v. 8).
Mais le croyant, lui, sait voir plus loin (v. 9), au-delà des apparences. Il peut, lui, remonter jusqu’à la source de cette puissance qui assure à la ville la stabilité et la rend inexpugnable, élue et protégée qu’elle est par le Seigneur Sabaot.
L’invocation (v. 10-12) : le mont Sion jubile
Aussi bien, le danger passé, les croyants peuvent-ils se rassembler dans le temple épargné et louer ce Dieu qui les a protégés sans qu’ils aient eu à combattre (v. 10). Cette louange, ils voudraient qu’elle soit universelle, qu’elle atteigne jusqu’aux extrémités de la terre, aussi loin que le renom du Dieu qui sait assurer ainsi le salut des siens (v. 11). Éclate en cris de joie, Jérusalem (v. 12) : ton Dieu t’a protégée une fois de plus!
L’invitation (v. 13-15)
Finalement, tout se termine par une invitation. Il faut parcourir la ville, aller vérifier de ses propres yeux : tout est bien intact. Des tours, des murailles, des fortifications restées inemployées, rien n’a souffert de la présence de l’ennemi (v. 13-14a).
Une fois de plus, le regard croyant saura remonter plus loin. Derrière la matérialité des faits, c’est la puissance et la fidélité de Dieu qu’il saura reconnaître. Et c’est cela qu’il importe d’emmagasiner dans sa mémoire, afin de pouvoir soutenir, aux mauvais jours, la foi et le courage des descendants à venir (v. 14b-15)
Échos en discordance
« Dieu est en elle, elle ne peut chanceler ». Une conviction admirable fondée sur une confiance à toute épreuve. Cette conviction peut néanmoins tourner au fétiche et confiner à l’irresponsabilité. Ainsi serait-elle dénoncée par deux prophètes qui, à des époques différentes, entreverraient à l’horizon immédiat la ruine de Jérusalem et de son Temple.
Le premier, juste avant l’expérience traumatisante de la prise de Jérusalem en 587 avant Jésus Christ, conteste la conviction traditionnelle : « Ne vous fiez pas, proclame Jérémie, aux paroles mensongères : “Sanctuaire de Yahvé, sanctuaire de Yahvé, sanctuaire de Yahvé!” Si vous améliorez réellement vos voies et vos œuvres, si vous avez un vrai souci du droit, chacun avec son prochain, si vous n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin et la veuve, si vous ne répandez pas le sang innocent en ce lieu et si vous n’allez pas, pour votre malheur, à la suite d’autres dieux, alors je vous ferai demeurer en ce lieu (…) Mais voici que vous vous fiez à des paroles mensongères, à ce qui est vain. Quoi! Voler, tuer, commettre l’adultère, se parjurer, encenser Baal, suivre des dieux étrangers que vous ne connaissez pas, puis venir se présenter devant moi en ce Temple qui porte mon nom et dire : “Nous voilà en sûreté!” pour continuer toutes ces abominations! » (Jr 7,4-10). Pour l’oracle de malheur qu’il a prononcé contre une Jérusalem s’appuyant de façon irresponsable sur la présence de son Dieu, Jérémie frôlera la peine de mort : « Tu leur diras : “Ainsi parle Yahvé. Si vous ne m’écoutez pas pour suivre ma Loi que j’ai placée devant vous, pour être attentifs aux paroles de mes serviteurs les prophètes, que je vous envoie sans me lasser mais que vous n’avez pas écoutés, je traiterai ce Temple comme Silo et je ferai de cette ville une malédiction pour toutes les nations de la terre. » (Jr 26,4-6)
Un autre encore, bien plus tard, serait traduit en justice, accusé d’avoir menacé de destruction le Temple de Jérusalem, encore tout neuf. Lui que des gens prendraient pour « Jérémie ou l’un des prophètes » (Mt 16,14), il prédirait effectivement la ruine de Jérusalem et de son Temple : « Tu vois ces grandes constructions? Il n’en restera pas pierre sur pierre » (Mc 13,2). Lui aussi dénoncerait une confiance en la présence de Dieu coupée d’un effort pour communier effectivement à son dessein : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu! » (Lc 13,34) Et encore : « Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, alors comprenez que sa dévastation est toute proche. » (Lc 21,20). Pour lui, la présence de Dieu ne sera pas liée à un emplacement géographique, fût-il le lieu sacré entre tous de Jérusalem : « Crois-moi, femme, l’heure vient où ce ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. (…) Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » (Jn 4,21.24)
fr. Michel Gourgues, o.p.