Un pain qui est don
Après avoir nourri la foule avec cinq pains et deux poissons, Jésus disait : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
COMMENTAIRE
La réflexion sur Jésus comme pain de vie se poursuit, toujours avec le chapitre six de Jean. Jésus lui-même est le pain vivant, donné pour que le monde ait la vie. C’est dans l’accueil de ce don, dans la participation à celui-ci (manger et boire) que le croyant entre en communion avec Jésus et avec son Père.
Ces affirmations de Jésus, qui ont chez Jean un sens eucharistique, vont susciter de vives réactions. À partir d’elles, la division se fera plus clairement entre ceux qui croient en Jésus et ceux qui refusent de le suivre.
L’eucharistie devient ici paradoxale : un sacrement d’unité qui est source de divisions. Pourquoi de telles réactions ? À cause de l’allure étrangement cannibale de ces paroles où Jésus offre sa chair à manger, théophagie pour primitifs avides de sang ? Ou plutôt parce que Jean renvoie ici à l’événement scandaleux par excellence : la mort de Jésus, Jésus allant librement vers sa mort et donnant son corps pour sauver la multitude ? C’est ce passage libérateur par la mort, dont l’eucharistie fait mémoire, qui va conduire Jésus à sa résurrection et rendre possible le don de la vie nouvelle, notre propre résurrection. Et c’est ce passage qui fait choc.
Le partage eucharistique, sous les signes du pain et du vin, nous redit le don total de Jésus et nous y associe. Nous sommes ainsi rappelés au fondement même de notre union à Jésus et entre nous : la mort du crucifié qui donne sa vie pour que nous l’ayons en abondance. La communauté eucharistique alors ne peut être n’importe lequel rassemblement religieux. Plus qu’un vague culte, un rite sacré, ou un être-bien ensemble, c’est une communion au Seigneur-Serviteur, qui aima les siens jusqu’au bout, jusqu’au don de lui-même. Participer à l’eucharistie signifie que nous sommes prêts à suivre Jésus sur cette route difficile, où la vie est promise, mais où le triomphe n’est pas donné en partant et où la gloire passe par la croix.
Ces paroles étonnantes nous permettent de réfléchir sur le sens de nos rassemblements eucharistiques, pour mieux y voir leur référence à la mort-résurrection de Jésus. L’eucharistie nous renvoie aux passages que nous sommes appelés à vivre, à notre tour, passages vers la vie nouvelle dans toutes les dimensions de l’existence humaine, mais à travers le don et le partage de nous-mêmes, de notre temps, de notre vie. Passages à travers ces gestes et paroles qui pourront surprendre et choquer, et nous rendre suspects aux yeux des valeurs courantes et de l’univers religieux habituel. Passages qui ne peuvent éviter la souffrance et les ruptures auxquelles mène la foi.
L’eucharistie nous rappelle ce sens premier de notre foi et nous donne aussi la force de vivre ces passages, dans la communion au corps et au sang du Christ ressuscité. Autrement, notre foi et notre communion ne seraient qu’une participation à un sacré bizarre et aliénant, à un Dieu gentil et inof-fensif, ou à un tranquille club du dimanche. Alors que l’eucharistie nous remet dans l’espérance du Royaume et nous invite aux gestes des serviteurs qui vont jusqu’au bout du don d’eux-mêmes, « pour que le monde ait la vie ».