Si le titre de cette chronique possède son poids de mélodrame, c’est pour faire écho, non sans une amicale ironie, à celui, un peu kitsch, des deux films dont elle veut rendre compte. Mais, ici comme ailleurs, il ne faut pas se fier aux apparences : ces titres sentimentaux et, pour le second, non dépourvu d’affectation, même s’il se veut une citation de Mallarmé, cachent deux œuvres intéressantes et parfois poignantes, à côté desquelles il serait dommage de passer. Ces deux films se croisent de plusieurs manières ; au-delà de leur commun fondement dans la réalité, ils s’interrogent sur l’irruption de l’indicible, la mort progressive et inéluctable ou au contraire brutale dans le déchaînement irraisonné de la violence.
Comme une étoile dans la nuit, de René Féret
René Féret déploie depuis plus de trente ans un talent original et solitaire, cinéaste indépendant au sein d’un système qui ne l’encourage pas. Son dernier film raconte l’histoire d’un amour conjugal, en fait sinon en droit, rayonnant et absolu, que l’adversité va exacerber et transfigurer. Anne et Marc veulent un enfant et décident même de se marier, comme pour rendre public leur bonheur. Peu de temps après, Marc apprend qu’il est atteint de la maladie de Hodgkin, cancer du système lymphatique, et que le mal est déjà bien avancé dans son organisme. Il existe néanmoins des traitements dont nous suivrons la progression avec une précision clinique, rappelant celle du film de Patrice Chéreau : Son frère (2003).
Mais la foi en la guérison possible, comme l’espérance de pouvoir surmonter la menace pourtant de plus en plus lourde, s’appuient sur leur amour. Anne, sans nullement renier le devoir de lucidité, décide de lutter, et d’abord contre l’apitoiement généralisé de leur entourage, gêné et maladroit, puis, lorsque le verdict devient certain, de donner toutes les preuves d’amour à son compagnon. Ce dernier participe d’abord courageusement à ce combat dont il est l’enjeu, puis se retire insensiblement de l’écran, toujours plus affaibli. Une scène pathétique le montre, près de la fenêtre, en spectateur épuisé de la fête bruyante et joyeuse du mariage d’amis, où le couple a tenu à se rendre.
Anne et Marc, auxquels respectivement Salomé Stévenin et Nicolas Giraud prêtent leur grâce, leur beauté et leur talent, ne sont manifestement pas religieux. Le mariage qu’ils envisagent est civil ; l’enterrement se fera au cimetière, sans une prière. Aucun Dieu n’est pris à témoin, ni de leur bonheur, ni même de leur malheur. La sexualité joue un rôle essentiel dans leur amour réciproque et Féret fait alterner des scènes audacieuses avec d’autres pleines de pudeur, comme celle, magnifique, qui ouvre le film, nous révélant, à une distance respectueuse, la découverte partagée du corps de l’autre.
D’ailleurs, au sein même de notre société sécularisée et agnostique, la profondeur de leur amour recule les limites du langage : la promesse ultime que fait Anne de ne jamais oublier son compagnon possède une saveur d’éternité. On pense au Cantique des Cantiques (8,6) : « L’amour est fort comme la mort. » Après tout, l’amour véritable est un.
Sur ta joue ennemie, de Jean-Xavier de Lestrade
Sur ta joue ennemie est le premier film de fiction de Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur de documentaires dont cependant les enquêtes sur des cas judiciaires réels montraient déjà son interrogation sur la faute, l’innocence et la culpabilité. Ici le cinéaste se situe en aval de ce qu’on appelle bien à tort un fait divers, comme s’il fallait en masquer l’horreur et le caractère exceptionnel : en 2004, en Normandie, un adolescent de 14 ans avait tué ses parents et son petit frère avec un fusil de chasse ; seule sa sœur avait réussi à échapper au carnage.
Dans le film, Julien, incarcéré, arrive à faire des études brillantes et même à obtenir un doctorat de philosophie en dissertant sur la culpabilité chez Kierkegaard. Une si bonne conduite amène le juge à accepter une libération conditionnelle. C’est à ce moment que le film commence.
Le spectateur, qui n’apprendra le forfait qu’à la moitié de l’œuvre, suit les méandres du prisonnier en sursis. Le plus intéressant n’est pas la description des difficultés qu’il rencontre, avec la méfiance des uns, les bonnes et maladroites intentions des autres, les tentations offertes par les petits voyous qu’il a pu connaître, mais plutôt la lourde interrogation sur le geste criminel qu’il n’a jamais pu expliquer, ni aux juges ni à lui-même. Cette quête suit le chemin qu’il prend pour retrouver Emilie, sa sœur, et permet au cinéaste d’évoquer l’horrible passé par fragments, comme en un puzzle de l’incompréhensible.
Alors que le film de Féret procédait dans le naturel de la chronologie, faisant monter la tension en l’y insérant, Lestrade, en choisissant ces allers et retours du présent à l’événement fatidique, obtient un effet de chaos, d’ailleurs traité avec une certaine maladresse. Au bout du compte pourtant, il indique bien ainsi la dislocation, la fêlure qui sont intervenues dans la vie et la vision des deux personnages, le frère et la sœur.
Au-delà de l’interrogation sur la motivation du geste criminel, vite comprise comme impossible à discerner, le cinéaste aborde la question, beaucoup plus difficile, d’un possible pardon que seule Emilie pourrait donner à Julien qui lui fait horreur. La force du film consiste à montrer le paradoxe d’un retournement, plus profond que les comportements ou les apparences, qui permet de ne pas désespérer.