Les vacances sont arrivées, désirées, redoutées. Elles invitent à faire relâche de nos travaux et de nos attaches quotidiennes. Je ne crois pas être le seul à trouver qu’il est difficile de partir en vacances. Tellement de choses me retiennent au poste. Un ouvrage à finir. Une urgence survenue à la dernière minute. Le train des activités qui roule trop vite. Mille et un prétextes m’incitent à retarder d’un jour cet impossible décrochage. Alors que s’affirme en moi le sentiment inavoué d’être devenu la personne indispensable, irremplaçable dans telle circonstance.
Qu’est-ce qui me retient tant ? Est-ce le secret désir de ne rien manquer, de tout contrôler ? L’incapacité de lâcher prise ? La peur que plus rien ne marche si je ne suis pas là ? Il m’est souvent difficile de faire confiance à cet autre qui prendra ma place. Déléguer mes tâches et mes engagements à quelqu’un me paraît une montagne de complications, une sorte de trahison. Est-il si dangereux que cette personne puisse apporter une autre vision, une autre attitude, d’autres méthodes, ses propres outils, des ressources différentes ? N’est-ce pas là, à la vérité, de précieux avantages pour les gens que j’ai mission de servir ? Ils seront les premiers à en bénéficier. Pourquoi ne pas m’en réjouir à l’avance ?
La perspective de devoir bientôt partir amorce en moi une tension de peur et d’inquiétude. La peur de perdre contact. La peur de perdre le fil des événements. La peur de me retrouver seul face à moi-même. Je crains de nager ici en pleine ambiguïté. Me serais-je attaché par des liens qui jouent contre moi et contre ceux que je prétends aider ? Filet qui me retient et m’empêche de prendre la distance nécessaire, un repos bénéfique. Ces servitudes ne servent pas la cause de l’amour, de la fidélité et du dévouement. Ils m’empêchent peut-être de laisser leur liberté et leur pleine responsabilité à ceux ou celles que je veux servir.
Quand je me décide pour le transfert de mes charges sur un remplaçant, je témoigne en fait de mon attachement profond à ma mission. Car alors je confie à quelqu’un d’autre une responsabilité qu’il assume pour le bien de mes protégés. Je fais de lui un partenaire de choix. Dans cet acte de foi, je nous remets tous à plus qu’un substitut, je nous confie à la bonté de Dieu qui prend soin de chacun de nous. Par-delà le délaissement de mes tâches et tous mes abandons déchirants, il se produira pour moi et pour tout le monde, par la grâce de la providence divine, un nouvel équilibre, une croissance et une maturité certaines, une autonomie plus grande et une liberté surprenante.