Nos habitudes de prière font que, la plupart du temps, nous récitons les psaumes confortablement assis dans le salon ou, un peu moins confortablement mais toujours dans une position bien stationnaire, sur des bancs d’églises. Tout au plus faisons-nous quelques brèves alternances entre la position assise ou debout, au début et à la fin de la récitation des psaumes. Et pourtant, nous ouvrons la liturgie quotidienne des Heures par une invitation au mouvement: «Venez… Allons jusqu’à lui en rendant grâce… Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous…» (Psaume 94, 1-2.6)
Où sont donc passés la vie et le mouvement qui animaient ces psalmistes de jadis, débordant d’énergie et de fantaisie pour célébrer Dieu au rythme de leurs humeurs et de leurs saisons? Oui, les psaumes sont une véritable invitation au voyage. Ils ont été faits par et pour des gens qui aiment la marche et qui se considèrent d’abord et avant tout comme des pèlerins: «Heureux le peuple qui connaît l’ovation! Seigneur, il marche à la lumière de ta face». (88, 16) Aussi, ce n’est pas par hasard que le Psaume 1, véritable porte d’entrée du psautier, tourne autour de l’idée des deux chemins et nous sert un véritable éloge de la marche. Le juste, une fois en route, ne doit pas s’arrêter, ni «au conseil des méchants» ni sur «le chemin des pécheurs», ni avec «ceux qui ricanent». La vie et le bonheur se trouvent ailleurs. Dans la marche vers une meilleure intelligence et une actualisation de la Torah qui, seule, peut bâtir des solidarités durables et un «rassemblement des justes».
EN ROUTE!
Entrer dans les psaumes, c’est donc accepter de se mettre en route pour une grande aventure. On n’y entre pas à la légère. Les psalmistes ne cessent de supplier Dieu de les guider dans ce long voyage : «Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route» (24, 4) ou encore: «Montre-moi le chemin que je dois prendre». (142, 8)
Les psaumes ne sont pas faits pour le «sur place», mais pour la marche. Pour la vie. Et quel parcours de vie que celui qu’on découvre au fil du psautier! On y reconnaît, en profondeur ou en sourdine, la joie débordante aussi bien que la déprime chronique, la louange exubérante comme la lamentation lancinante, la confiance et l’angoisse, le sentiment très fort d’appartenance à la communauté ou, au contraire, le sentiment d’abandon et de solitude. Il n’y a pas de quoi s’ennuyer dans le psautier! Allez-y voir!
On y parle, en effet, de la vie «sous toutes ses coutures». Le vocabulaire de la route, dans les psaumes, reflète bien la diversité des expériences humaines: chemins, sentiers, montées, haltes, entrées, sorties, errances, retours, autant de mots qui décrivent l’éventail de la conduite humaine et des expériences à assumer. On comprend que ces mots aient une résonance particulière pour un peuple aux origines nomades et qui, par surcroît, a connu les déportations et l’exil. Mais au delà des situations historiques, les déplacements de ce peuple ne sont-ils pas une parabole de la vie? De notre vie à nous, parsemée elle aussi d’embûches et de dangers, et exposée, elle aussi, au mensonge, à l’arrogance, à l’injustice ou à la violence, tout autant qu’à la vérité, à l’humilité, à la justice et à la compassion: «Heureux est l’homme (…) qui ne va pas du côté des violents, dans le parti des traîtres» (39, 5) ; «Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur! Jamais ils ne commettent d’injustice, ils marchent dans ses voies.» (118, 1. 3)
LE «GUIDE MICHELIN BIBLIQUE»
Dans ce long voyage qu’est la vie, il y a aussi des moments privilégiés et des expériences plus marquantes que d’autres. Pour les psalmistes, il n’y a rien comme un voyage à Jérusalem, la ville sainte. Tant et si bien qu’on a tiré, de cette expérience, une collection entière de psaumes qui porte le titre de «Psaumes des montées» ou «des pèlerinages». Des psaumes brefs et pleins de vie qui évoquent, d’une part, les dangers de la route et du soleil qui frappe en plein jour. Et, d’autre part, qui disent aussi l’admiration des gens qui ont franchi ces obstacles pour se retrouver finalement, fiers et joyeux, devant la ville sainte: «Quelle joie quand on m’a dit: “Nous irons à la maison du Seigneur !” Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem!» (121, 1-2)
Quelle sensation que de pouvoir redire ces psaumes à Jérusalem même! Il y a quelques années, j’accompagnais un groupe en Israël. Ce groupe avait déjà eu plus que sa part d’émotions fortes. Nous étions partis quelques-uns, un après-midi de mars, sous la pluie froide. Nous étions montés sur le toit d’une maison arabe de la vieille ville de Jérusalem. Tournés vers l’esplanade du Temple, nous avons lu à tour de rôle chacun des quinze psaumes des montées. Dans le décor unique des collines qui entourent Jérusalem et l’esplanade du Temple, ces psaumes reprenaient vie. Le groupe en garde un souvenir ému.
Mais le voyage n’est pas réservé aux seuls pèlerins qui ont la chance de se rendre à Jérusalem. Des psaumes aussi classiques que le 22 («Le Seigneur est mon berger») et le 90 («Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut») sont de véritables paraboles de la vie humaine, placée tout entière sous le signe du voyage ou du cheminement: «Il me mène vers les eaux tranquilles (…) il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom» (22, 2-3); «il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins». (90, 11) Dieu accompagne et entoure de sa bienveillance tous les déplacements du juste: «Tu sais quand je m’assois, quand je me lève; de très loin, tu pénètres mes pensées… Que je marche ou me repose, tu le vois, tous mes chemins te sont familiers.» (138, 2-3)
DESTINATION LIBERTÉ
Faut-il se surprendre que le voyage prenne tant de place dans les psaumes? Il fait partie intégrante de la foi. L’aventure de la foi n’a-t-elle pas commencé avec l’ordre donné à Abraham: «Pars de ton pays (…) va dans le pays que je te montrerai…» (Genèse 12, 1)? Il en va de même pour la grande aventure du salut, alors que Dieu invite un peuple d’esclaves et d’opprimés à se dresser debout et à marcher vers la liberté: «Dieu, quand tu sortis en avant de ton peuple, quand tu marchas dans le désert, la terre trembla». (Psaume 67, 8) Le peuple n’en finit plus de chanter ce merveilleux voyage vers la liberté (Psaumes 77 ; 104-106 ; 135). Mais le voyage n’aura pas toujours été facile. La tentation était forte de retourner en arrière ou de se laisser dominer par la peur de l’inconnu: «Ce peuple a le coeur égaré, il n’a pas connu mes chemins.» (94, 10) Avec autant de résistances, de reculs et de détours, Dieu aurait bien pu abandonner son peuple au désert. Mais c’est plus fort que lui, et le miracle du voyage se poursuit: «Tel un berger, il conduit son peuple, il pousse au désert son troupeau. Il les guide et les défend, il les rassure». (77, 52-53)
RETOUR AU BERCAIL
Au moment de l’exil, la marche du peuple de Dieu semblait à jamais compromise. Qu’à cela ne tienne! Dieu redonne à son peuple le goût du voyage et lui fait connaître, au delà de toute espérance, l’ivresse du retour: «Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve! Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie: il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.» (125, 1. 6)
Avec un tel Dieu comme guide et compagnon, tout est possible. Comment n’aurait-on pas le goût de la marche et du voyage? Alors, je ne peux que vous souhaiter: bons psaumes et, donc, bons voyages!
LES PSAUMES ET LE VOYAGE DE LA VIE
Les psaumes nous entraînent dans un véritable voyage à travers les hauts et les bas de la vie. En voici quelques exemples:
Joie Psaumes 4, 8; 121, 1
Déprime Psaumes 72, 13-14; 87, 4-5
Louange Psaumes 104; 118, 2-5
Lamentation Psaumes 43, 10-17; 101
Confiance Psaumes 4, 9; 111, 7-8
Angoisse Psaumes 17, 7; 106, 6; 129, 1
Appartenance Psaumes 106, 1-3; 112, 2
Solitude Psaumes 12, 2; 87, 9-18
Abandon Psaume 21, 2.7