Il est impossible de communiquer une recette de bonheur infaillible. Comme les centenaires peuvent difficilement transmettre le secret de leur longévité. Chaque personne compose le potage de son bonheur avec les fines herbes qu’elle a cueillies. La cueillette dépend en grande partie de ce qui pousse dans les champs que nous traversons, le long des routes que nous empruntons. Elle dépend également de l’importance que nous accordons à ce qui est cueilli.
Tout dépend aussi de l’idée qu’on se fait du bonheur. Les uns rêvent à un bonheur euphorique où l’impossible deviendrait possible. D’autres, plus modestes, attendent quelque chose de très simple. Petit ou grand, nous cherchons à remplir le verre de notre existence.
Mais faut-il le remplir vraiment? N’y a-t-il pas du bonheur simplement à le rêver? N’y a-t-il pas du bonheur à nous nourrir de nos désirs, de cette soif qui creuse en nous des espaces d’attente? Notre bonheur n’est-il pas fait surtout de nos espoirs et de nos aspirations? Guetter l’avenir à la fenêtre du quotidien, espérer le soleil, attendre quelqu’un: autant de petits et de grands désirs qui font vivre.
Paradoxalement, le bonheur qui comble est celui qui creuse en nous le désir. Nous trouvons le bonheur à le chercher. Et quand nous pensons l’avoir trouvé, nous apprenons bien vite qu’il ne peut demeurer que si nous nous mettons de nouveau à sa recherche. Le bonheur nous garde en marche. Nous sommes des voyageurs partis à la découverte d’une source. La soif nous garde en route. Et, au point d’eau, nous buvons sans jamais nous désaltérer totalement. À boire le bonheur, nous en accentuons notre soif…
Nous découvrons le bonheur, nous en prenons conscience quand il est ailleurs, quand il nous manque. Comme si son absence le rendait présent. Comme si de ne point l’avoir en était toute la richesse. Voyez les fleurs. Elles s’étirent au bout de leur tige pour atteindre la lumière. Si elles pouvaient accrocher le soleil, elles le feraient. Voyez les rivières. Elles suivent les méandres des champs et des forêts qu’elles traversent. Elles sont attirées vers la mer, vers l’océan. Ailleurs, toujours ailleurs.
Voyez les amoureux. Voyez les époux heureux. Ils s’aiment d’un grand désir jamais assouvi. Plus ils entrent dans l’univers l’un de l’autre, plus s’agrandissent les frontières de leur mystère personnel. Et ils demeurent amoureux tant et aussi longtemps qu’il reste des zones inconnues, des terres inexplorées dans leur univers intérieur. Un étudiant peut-il faire une bonne année scolaire si le désir est absent? La femme d’affaires peut-elle réussir dans son entreprise si la volonté d’y parvenir n’est pas là?
Si ce billet, d’une semaine à l’autre, peut indiquer des routes, tracer des itinéraires, il accomplit sa tâche. S’il réveille la soif, creuse le désir, son devoir est accompli. Il ne donne jamais de recette de bonheur. Il veut seulement donner le goût de le chercher.