On s’étonne de trouver dans le psautier un message prophétique aussi rude à l’intention des dirigeants politiques. Le Psaume 18 vise directement ceux qui « jugent ». Dans nos pays, distinguons nettement pouvoir judiciaire et pouvoir politique – encore que les juges soient nommés par l’État. À l’époque biblique, la distinction était beaucoup moins nette entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire. À toutes fins utiles, dans de nombreux passages bibliques, le verbe « juger » devient synonyme de « gouverner ».
L’auteur du Psaume 81 dénonce les attitudes répréhensible fortement incrustées chez les dirigeants politiques et les juges de son temps. D’abord l’injustice : « Combien de temps jugerez-vous [i.e. gouvernerez-vous] sans justice ? » (v. 2a) Qui dit justice dit équité. Or, étymologiquement, agir avec équité veut dire traiter tout le monde sur un pied d’égalité. Donc, partager le produit national brut entre tous les citoyens et citoyennes, sans distinction fondée sur l’ethnie, le sexe, la religion, le groupe d’âge ou la classe sociale. D’où l’accusation de favoritisme : « Combien de temps… soutiendrez-vous la cause des impies ? » (v. 2b) Tous les systèmes politiques, en partant, ont tendance à avantager les riches, les puissants, les habiles, au détriment de la classe moyenne et des petites gens : abris fiscaux, privilèges dans les contrats, taxation des produits et services essentiels, etc.
Aveuglement, donc : « Mais non, sans savoir, sans comprendre, ils vont au milieu des ténèbres. » (v. 5a) Après quelques années d’expérience du pouvoir politique, même la personne la mieux intentionnée finit par voir toute la réalité à travers des lunettes déformantes. Inconsciemment, elle a décroché par rapport au vécu réel. Le cri du pauvre ne trouve plus d’écho en elle. La raison d’État justifie les dépenses les plus folles et les plus disproportionnées. L’idéologie du parti finit par faire taire même les voix de la conscience morale. Au terme, le dirigeant politique finit par succomber à la tentation de l’orgueil : à tant manier l’avoir collectif et le pouvoir, à tant devenir le point de mire des journalistes et des médias, il oublie ses origines, il se prend pour un autre, il se prend pour l’Autre. Lucide, l’auteur du Psaume 81 ironise : « Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! » (v. 6)
L’avenir des systèmes politiques injustes
Les gouvernements ont la vie courte. Les systèmes politiques, presque autant. Tout régime peut se renverser en un tournemain. Les États les plus prospères sont déstabilisés dès que la dette nationale se met à enfler ou que des pays plus petits et plus pauvres commencent à réclamer leur part du gâteau. Le psalmiste décrit ces perspectives peu reluisantes. Vient d’abord l’image du séisme, du bouleversement : « Les fondements de la terre en sont ébranlés. » (v. 5b) Actuellement, en effet, on peut se demander s’il existe encore des bases solides et fiables, en matière de politique internationale, de neutralisation des conflits, d’échanges commerciaux, de production industrielle et agricole, de création d’emplois.
Aux chefs et aux juges qui se croient invincibles, se prennent pour Dieu et pensent avoir toutes les solutions, le psalmiste promet la chute : « Vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez ! » (v. 7) Non seulement les dirigeants meurent-ils mais les systèmes aussi finissent par tomber. Voilà qui pointe vers un changement radical, vers l’espérance d’autre chose. Enfin, un gouvernement de justice parfaite, qui mette un stop au terrorisme, à l’inégalité, à l’égoïsme, à la souveraineté des biens matériels et de l’argent ! Enfin, un gouvernement mondial, qui mette un frein aux luttes raciales et ethniques, au sous-développement, au scandale de la disproportion Nord-Sud ! Mais un tel gouvernement est à jamais en dehors de la portée des humains : il ne peut être viable et réussir que si les cordeaux de l’histoire sont résolument pris en main par Dieu lui-même, par le Christ, Roi de l’univers : « Lève-toi, Dieu, juge la terre, car toutes les nations t’appartiennent. » (v. 8) Tel est le cri du psalmiste. Tel est le cri de l’Église. Telle est son espérance, sa ferme assurance de lendemains qui chantent.
Conclusion
Il serait malséant que le Psaume 81 nous serve simplement à dégorger le fiel de nos frustrations et déceptions sur nos ministres, députés, chefs syndicaux et autres détenteurs de pouvoir public. Bien au contraire, chacun est invité à mettre lui-même le chapeau. Dans notre vie de tous les jours, dans nos familles et au travail, favorisons-nous prioritairement le pauvre et le démuni, le faible, le malade, la personne marginalisée ? Dans notre évaluation de ce qui se passe dans la société, voyons-nous tellement plus clair que nos hommes et femmes politiques ? Et surtout, quelle place laissons-nous nous-mêmes au gouvernement de Dieu, au règne de Dieu ?
Rappelons-nous la parabole dite du « jugement dernier » (Matthieu 25, 31-36). À la fin de notre vie et de l’histoire, ne serons-nous pas évalués essentiellement à l’aune de la justice sociale ? Pour passer, un jour, « à la droite » du Christ Juge, au nombre des « brebis bénies du Père », ne faut-il pas s’occuper, d’abord et avant tout, de ceux et celles qui ont « faim », « soif », qui sont « étrangers, nus, malades et en prison » ?
N.B. : Le Psaume 81 est utilisé le lundi IV, à l’Office du milieu du jour.
Marc Girard, prêtre