Le 9 avril 1945, Dietrich Bonhoeffer est mort pendu dans le camp de concentration de Flossenbürg en Allemagne. Bonhoeffer était un pasteur luthérien allemand. Il faisait partie de ce qu’on appelle «l’Église confessante», c’est-à-dire ces chrétiens luthériens qui se sont opposés au régime nazi de Hitler. Après quelques années de ministère comme pasteur, Bonhoeffer est devenu professeur de théologie à Finkelwalde, un séminaire où on refusait de compromettre sa foi pour obéir au Führer. Dans ce séminaire, Bonhoeffer vécut une vie communautaire intense avec ses étudiants. C’est à cette époque qu’il développa une réflexion très profonde où il unissait sa fidélité à la terre, au monde, et sa fidélité à sa foi, au Christ. Après la fermeture du séminaire par les nazis, Bonhoeffer traversa en Amérique. Ici, il vécut une période de combat intérieur pénible. Il avait l’impression d’avoir fui et, finalement, d’avoir trahi le Christ en s’éloignant ainsi du combat. Il rentra à Berlin pour poursuivre la lutte contre le nazisme au nom de l’Évangile. Il fut arrêté. Au bout de deux ans de prison, il fut condamné à mort par Hitler personnellement. Et il mourut pendu le 9 avril 1945.
L’anniversaire de la mort de Dietrich Bonhoeffer coïncide avec la Semaine sainte. Comment ne pas rapprocher le destin tragique de ce martyr du vingtième siècle et le drame qu’a vécu Jésus au terme de ses trois années de vie publique? Même fidélité héroïque. Même passion. Même condamnation. Même mort.
Le témoignage de Dietrich Bonhoeffer attire notre attention sur la fidélité du Seigneur. Fidélité à la terre d’une part. Fidélité aux pauvres et aux petits. La vie de Jésus est une vie entièrement donnée aux autres. Il s’est dépossédé de lui-même pour les autres. Il a même vécu sa mort comme un don total aux autres.
Fidélité à la terre et à l’humanité. Fidélité aussi à Dieu, à son Père. Envoyé du Père, Jésus a vécu jusqu’au bout la mission que le Père lui avait confiée. Il est mort pour Dieu, même s’il a souffert du silence de Dieu. Il est mort pour Dieu comme Abraham s’en remettait à Dieu quand il pensait devoir sacrifier son enfant, son unique, sa vie.
Cette semaine, nous nous rappelons l’arrivée de Jésus à Jérusalem au bout d’un long voyage de trois années depuis Nazareth. Un voyage rempli de prédications, de gestes de libération, de paroles de consolation, d’attentions aux personnes. Un voyage rempli aussi de réflexions sur le sens de son existence et de découverte progressive de l’itinéraire à suivre pour aller jusqu’au bout. Les récits évangéliques nous révèlent même des hésitations, des peurs, de l’angoisse dans le cheminement de Jésus.
Finalement, Jésus parvient à Jérusalem. Il sait et il accepte que ce lieu qui a la réputation de tuer les prophètes est l’étape ultime de son voyage, l’inévitable mort. Quand il rentre à Jérusalem, la foule enthousiaste, joyeuse, cache le combat intérieur que doit vivre Jésus. Combat où se mêlent la souffrance extrême de celui qui doit dire oui à ce qui lui arrive, en même temps que la joie de se donner totalement aux autres et à son Père.
Dans sa prison, Bonhoeffer écrivait quelque chose que Jésus signerait sans hésiter: «Quand on a renoncé totalement à faire quelque chose de soi-même: un saint, un pécheur converti ou un homme d’Église, juste ou injuste, malade ou en bonne santé, alors on se jette entièrement dans les bras de Dieu, alors on prend finalement au sérieux non pas ses propres souffrances, mais les souffrances de Dieu dans le monde, alors on veille à Gethsémani avec le Christ et, je pense, c’est cela la foi, c’est cela la métanoia; et c’est ainsi que nous devenons des hommes, que nous devenons des chrétiens.» (Résistance et soumission)
Plus de 2000 ans après l’entrée de Jésus à Jérusalem et sa mort sur la colline du Calvaire, nous sommes appelés à une mission qui ressemble à celle de l’âne. La foi nous délie de nos attaches, elle nous rend la liberté pour porter le Christ. De chacun de nous, on peut dire: «Le Seigneur en a besoin.» Il en a besoin pour entrer dans toutes les Jérusalem où il veut s’abandonner et donner sa vie pour les autres. Il en a besoin pour rejoindre toutes les «souffrances de Dieu dans le monde».