Tourmenté pour le salut de tous
4. Cette attitude l’avait-il seulement pour les Juifs et pas pour les païens ? Il était plus doux que quiconque, aussi bien pour les gens de sa race que pour les étrangers. Écoutez donc ce qu’il dit a Timothée : « Le serviteur du Seigneur ne doit pas être querelleur, mais affable envers tous, disponible pour instruire, patient dans les épreuves, doux quand il reprend les contradicteurs, en prenant garde que Dieu peut bien leur donner de se convertir et de connaître la vérité, de revenir à la raison une fois délivrés des filets du diable, qui les tient captifs pour qu’ils fassent sa volonté. » (2 Tm 2, 24-26)
Voulez-vous savoir comment il s’adresse, encore une fois, aux pécheurs ? Écoutez ce qu’il écrit aux Corinthiens : « Je crains qu’à mon arrivée je ne vous trouve pas tels que je le voudrais. » (2 Co 12, 20), et un peu plus loin : « Je crains que lors de ma prochaine visite mon Dieu ne m’humilie à votre sujet, et que je n’aie à m’affliger à propos de plusieurs, qui ont péché auparavant, sans faire pénitence pour leurs actes d’impureté et de débauche. » (2 Co 12, 21) Il écrit aux Galates : «Mes petits enfants que j’enfante à nouveau dans la douleur, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. » (Ga 4, 19) Regardez aussi comment il se comporte en faveur de l’homme incestueux, comment il s’afflige autant que lui, comment il supplie les autres, autant que lui : « Que la charité domine à son égard. » (2 Co 2, 8) Et quand il le retranchait de la communauté, ce n’était pas sans beaucoup de larmes. « C’est dans un grand abattement et une grande angoisse du cœur que je vous ai écrit, non pas pour vous faire de la peine, mais pour que vous mesuriez l’affection que je vous porte, et qui est si grande. » (2 Co 2, 4) Ailleurs, il affirme : « Je me suis fait Juif avec les Juifs, sujet de la loi avec les sujets de la loi, faible avec les faibles, je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » (1 Co 9, 20-22) Ajoutons encore cette phrase : « C’est pour présenter tout homme parfait dans le Christ. » (Co 1, 28)
N’est-ce pas là une âme qui déborde le monde de tous côtés ? Il s’était fixé de présenter chaque homme à Dieu, et autant qu’il était en lui, il les lui présenta tous. On aurait dit qu’il avait à lui tout seul la paternité de l’humanité tout entière, à le voir ainsi s’inquiéter, à le voir courir, à le voir montrer tant d’ardeur à introduire chacun dans le Royaume, à force d’attentions, à force d’exhortations, promettant, priant, suppliant, mettant les démons en déroute, écartant tout fauteur de corruption, et par sa présence, sa correspondance, son éloquence, ses démarches, par ses disciples ou par sa propre action, il redressait ceux qui tombaient, affermissait ceux qui tenaient bon, réveillait ceux qui étaient abattus, prenait soin de ceux qui étaient écrasés, stimulait ceux qui se laissaient aller, lançait un cri redoutable contre ses adversaires et foudroyait du regard ses ennemis. Il faisait penser à un excellent général qui serait partout ; c’est lui qui veillerait sur les bagages, c’est encore lui qui charrierait le bouclier, c’est lui encore qui le brandirait pour protéger, c’est lui ainsi qui prendrait sa place dans la ligne, se faisant tout à tous pour son armée.
Paul et les détresses matérielles
5. Ce n’est pas seulement dans le domaine spirituel qu’il manifestait une telle prévenance, un tel dynamisme ; c’est aussi bien dans le domaine matériel.
Ainsi, voyez donc comment il écrit à tout un peuple pour une seule femme : « Je vous présente Phébée, notre sœur, diaconesse de l’Église de Cenchrées : accueillez-la, dans le Seigneur, d’une manière digne des saints, et assistez-la en toute circonstance où elle peut avoir besoin de vous. » (Rm 16, 1-2) Il écrit une autre fois : « Vous connaissez Stéphanas et sa famille ; je vous le rappelle pour que vous, à votre tour, vous vous mettiez à la disposition de pareils hommes. » (1 Co 16, 15-16), et un peu plus loin : « Sachez apprécier de tels hommes. » (1 Co 16, 18)
Oui, c’est bien une caractéristique de la tendresse des saints que l’aide qu’ils apportent, même en ce domaine. Regardez Élisée déjà, qui non seulement assistait spirituellement la femme qui l’avait reçu, mais qui s’empressait de répondre à sa générosité sur le plan matériel aussi. D’où sa question : « Faut-il parler pour toi au roi ou au chef de l’armée ? » (2 R 4, 12)
Pourquoi vous étonner que Paul ait eu le souci de soutenir matériellement les gens dans les lettres qu’il écrivait, quand nous le voyons, aussi bien, ne pas juger indigne de s’occuper de leurs ressources pour faire le voyage qu’il leur demandait d’entreprendre pour le rejoindre ? Il en fait mention dans ses lettres, ainsi écrit-il à Tite : « Tu envoies en mission Zénas le juriste et Apollos, aies à cœur qu’il ne leur manque rien. » (Tt 3, 13) S’il prenait tant à cœur le déplacement qu’il leur faisait faire, que n’aurait-il pas accompli, les voyant dans une position tant soit peu difficile 7 Prenez par exemple sa lettre à Philémon : comme il prend à cœur le cas d’Oné¬sime, quelle sollicitude judicieuse il met dans sa lettre ! Or, un homme qui n’a pas refusé d’écrire pour un esclave, qui plus est un esclave fugitif, et qui, par-dessus le marché, avait dérobé pas mal d’argent à son maître, toute une lettre, imaginez quelles pouvaient être ses dispositions pour les autres hommes !
Une seule chose lui paraissait méprisable : négliger tout ce qui devait concourir au salut. Dans ce but, il remuait tout, ne craignant pas de se mettre en frais pour ceux qu’il cherchait à sauver, ne ménageant ni les paroles, ni les deniers, ni les forces physiques ; lui qui se livra mille et mille fois à la mort, n’épargna pas, à plus forte raison, son argent, si tant est qu’il en avait. Que dis-je « s’il en avait » ? Il n’en avait pas, et pourtant il est possible de montrer qu’il ne l’épargna pas. Oh ! N’allez pas voir là une énigme ! Écoutez-le encore une fois : « Quant à moi, je dépenserai très volontiers et me dépenserai tout entier moi-même pour vos âmes. » (2 Co 12, 15) Dans un discours à une assemblée d’Éphésiens il déclarait: « Vous le savez vous-mêmes, ce sont les mains que voici qui ont pourvu à mes besoins et à ceux de mes compagnons. » (Ac 20, 34)
Tout entier amour ardent
6. Avec la dimension qui était la sienne, Paul, s’agissant de la vertu la plus haute, la charité, se montrait plus violent que la flamme même. Et comme le fer, jeté dans le feu, devient tout entier du feu, lui aussi, enflammé du feu de la charité, devenait tout entier charité. Comme s’il était le père commun de tous les peuples de la terre, il imitait exactement ce que font les pères, et même il les surpassa tous, car sa sollicitude était d’ordre matériel, mais aussi d’ordre spirituel, et pour ceux qu’il aimait, il prodiguait son argent, ses paroles, ses forces physiques, sa vie même, tout.
Ainsi appelait-il la charité la plénitude de la loi, le lien de la perfection, la mère de tous les biens, le principe et l’accomplissement de la vertu. C’est ce qui lui faisait dire : « La finalité de cette injonction c’est de faire naître la charité dans un cœur pur, une conscience droite. » (1 Tm 1,5) Ailleurs, il affirme les préceptes : « Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas », et tous les autres sont récapitulés dans la formule « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Rm 13,
Si donc la charité est principe et fin, si elle est à elle seule toutes les vertus, qu’elle soit le terrain de notre émulation avec Paul. Ce qu’il fut, c’est la charité qui en est l’auteur. Ah ! Ne venez pas me parler des morts qu’il a ressuscités, des lépreux qu’il a guéris : ce n’est pas là-dessus que Dieu vous demandera des comptes ! Développer la charité, cette charité qui caractérise Paul, et vous recevrez la couronne montée avec perfection. Qui vous donne cet ordre ? L’homme même qui a fait croître en lui la charité, cet homme qui l’a fait passer avant les signes, les prodiges et mille autres choses. Lui qui l’a vécue absolument en perfection fut le plus à même d’en mesurer très exactement la puissance. Ce qu’il fut, encore une fois, c’est la charité qui en est l’auteur, et rien ne fit sa valeur comme la force de la charité. Aussi pouvait-il déclarer : « Recherchez les dons supérieurs ; et je vais encore vous indiquer une voie qui les dépasse toutes » (1 Co 12, 31), il faisait allusion par là à la charité, la voie la plus belle, et une voie aisée.
Marchons à notre tour, dans cette voie, et sans nous arrêter, et ainsi nous rencontrerons Paul, ou plutôt son Seigneur, et nous obtiendrons les seules couronnes qui restent intactes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.