Certains jours, il est vrai, nous nous trouvons comme accablés, avec ce sentiment d’être seul ou acculé, souffrant, peut-être même innocent. Que faire ? Dans un sursaut de conscience ou dans une confiance assurée, nous nous rappelons humblement qu’il reste toujours un libérateur ultime, Dieu. Le temps favorable du Carême est celui du réveil en nous de l’épreuve vécue par Jésus et de sa passion salutaire pour l’humanité. Voici un poème qui peut nous y aider.
1. Du maître de chant. Sur les instruments à cordes.
Poème. De David.
2. Lorsque les Ziphéens vinrent dire à Saül :
“David n’est-il pas caché parmi nous?”
3. O Dieu, par ton nom sauve-moi,
par ton pouvoir fais-moi raison;
4. ô Dieu, entends ma prière,
écoute les paroles de ma bouche!
5. Contre moi ont surgi des orgueilleux,
des forcenés pourchassent mon âme,
point de place pour Dieu devant eux.
6. Mais voici Dieu qui vient à mon secours,
le Seigneur avec ceux qui soutiennent mon âme.
7. Que retombe le mal sur ceux qui me guettent,
[Yahvé], par ta vérité détruis-les!
8. De grand cœur je t’offrirai le sacrifice,
je rendrai grâce à ton nom, car il est bon,
9. car il m’a délivré de toute angoisse,
mes ennemis me sont donnés en spectacle.
[ © Cerf 1997]
À PROPOS DES DEUX PREMIERS VERSETS
Avant d’entrer dans la compréhension du psaume proprement dit, notons qu’au premier verset nous trouvons l’un des 73 Psaumes attribués à David. En notant d’emblée qu’il s’agit d’un « poème à chanter sur des instruments à cordes », l’auteur inspiré rappelle ce qu’est un psaume, ce mot qui vient de « psalmos », en grec, provenant d’un verbe dont le sens premier est « chanter en s’accompagnant d’instruments à cordes. » C’est un poème religieux à chanter. Au v.2 apparaît l’une des huit notices historiques au sujet de David dans la tradition hébraïque utilisée par les traducteurs de la tradition grecque de la Septante (LXX 53). L’image retenue n’est pas celle d’un roi puissant mais, au contraire, celle du moment difficile pour David lorsqu’il est trahi par les Ziphéens (cf. 1 S 23,19 // 26,1), poursuivi par le roi Saül, jaloux de son jeune concitoyen. Bien qu’étant arrivé au bord du désert, loin de tout, le premier livre de Samuel montre que David reste fidèle et que Dieu ne l’abandonnera pas.
Même si David est un personnage du XIe siècle avant Jésus-Christ, cela n’empêche pas de dater la composition de ce psaume de la fin du VIe ou du Ve siècle.
LE POÈME SPIRITUEL CHANTÉ (V.3-9)
Cet écrit de sagesse porte son intérêt sur la prière de demande. Le genre littéraire est celui de la supplication individuelle, bien marquée dans le groupe de quatre psaumes consécutifs du Psautier (54-57) et des trois suivants (58-60).
La supplication individuelle se déploie généralement en quatre temps : 1°- l’ invocation du nom de Dieu ; 2°- un cri d’appel au Dieu de l’élection ; 3°- l’exposé d’une complainte qui décrit la situation du suppliant ; 4°- en finale, une action de grâce envers Dieu pour ses bienfaits.
Le Psaume 54 se structure comme deux volets en forme de chiasme (v.3-5 et v.6-9), avec une double correspondance hébraïque placée sur l’expression « ton nom » (v.3a dans la tranche de supplique de salut 3-4 ; et 8b, dans la tranche d’après-dénouement 8-9) et sur l’expression « ma gorge » (v.5b dans la complainte du v.5 ; et 6b dans la tranche de dénouement 6-7). La traduction a rendu l’expression concrète « ma gorge » par « mon âme. »
On remarquera en outre un rapport synonymique entre les verbes de salut : « sauver » au début (v.3a) et « délivrer » en finale (v.9a). Au centre, le mot « voici » (v.6a) marque le tournant de la supplication de salut.
Les verbes et pronoms à la première personne et l’interpellation de Dieu à la seconde personne indiquent une relation directe et forte du suppliant assuré d’être écouté par Dieu.
Le vocabulaire de supplication (v.3-7) est par ailleurs suivi en finale par celui de la célébration de la louange en deux actions (v.8), puisque le psalmiste s’engage d’abord à offrir le « sacri-fice » c’est-à-dire à faire un don à Dieu pour nouer une relation avec lui (8a) et ensuite à « rendre grâce à ton nom YHWH », c’est-à-dire à remercier Dieu, à cause de toute sa bonté (8b).
L’APPEL AU DIEU DE VÉRITÉ
L’ensemble des Psaumes 42 à 83 a privilégié la mention du nom divin «’élōhîm » qui dans la Bible désigne le Dieu unique en disant sa grandeur, sa plénitude, son excellence. Ceci n’écarte pas l’idée que cette appellation a été substituée au tétragramme YHWH, le Dieu personnel des Patriarches et libérateur des opprimés, dont une mention a été maintenue dans le v.8b. La triple occurrence d’«’élōhîm » dans la première partie (v. 3-5) est suivie au v.6a d’une nouvelle mention d’«’élōhîm » ; puis en 6b le texte hébreu note « ’adōnaï » qui est la forme orale du nom divin noté par les quatre consonnes « YHWH » que, par respect, le juif ne prononce plus. La marque yahwiste perdure toutefois au v.8b précédé de l’action de « remerciement à ton nom » et suivie de la cause « car il est bon ».
LA VOIX DE LA RÉVÉLATION (V.3-5)
Dans ce premier volet, après l’invocation du nom (v.3a’), qui est en réalité le substitut de la personne (cf. Ex 3,14), vient le cri d’appel (v.3a’’-4) ; puis la supplication principale (v.5)
C’est un cri d’appel du psalmiste au Dieu de l’élection, une prière fondée sur la fidélité de son Dieu (3-4), suivi d’une complainte qui décrit sa situation face à des gens terribles qui l’ont cherché, quasiment pris à la « gorge » (v.5ab) et pour qui Dieu ne compte pas (5c).
« Notre vérité est que nous sommes avant tout des créatures, des créatures de Dieu et que nous vivons dans la relation avec le Créateur. Nous sommes des êtres relationnels. » [Benoît XVI, discours à la communauté du grand séminaire pontifical romain, 20 février2009]. Alors le psalmiste qui recourt à Dieu (v.3a.4a) rappelle la forte relation de son alliance avec Dieu et, d’autre part, en contraste, l’absence de relation de la part de ses ennemis (v.5c). Cette situation douloureuse du psalmiste est décrite pour attirer sur lui la compassion de Dieu. Parce qu’il se sent éprouvé, et même trahi, le psalmiste insiste pour qu’au moins il n’y ait pas d’absence de Dieu à sa supplique.
LE VISAGE DE LA PAROLE QUI AIDE (6-7)
Le dénouement se produit quand Dieu offre son aide, son soutien au présent au psalmiste personnellement (v.6) avec le retournement du mal sur les gens qui le guettent ou l’épiaient (v.7a) ainsi que l’appui de Dieu qui est fidèle jusqu’à l’abattement de ses ennemis (v.7b).
Dieu étant intervenu pour le psalmiste, celui-ci va agir, non plus en suppliant avec sa bouche (v.4b), mais en témoin avec tout son cœur (v.8a’)
LA MAISON DE LA COMMUNAUTÉ POUR FAIRE SON OFFRANDE (8-9)
Puisque il est délivré du mal (9a), le psalmiste se met à offrir à Dieu, avec reconnaissance, un sacrifice, un don généreux de lui-même (8a’’), une action de grâce (8b’), c’est-à-dire « faire eucharistie » reconnaissant la bonté de Dieu (8b’’).
Le Psaume enseigne donc à l’humilié ou à l’appauvri au détour de sa vie de ne pas mettre ses espérances dans les affaires éphémères de la terre, mais de les placer en Dieu et de le servir pour lui-même.
LA PRIÈRE CHRÉTIENNE
Si nous considérons que David préfigurait le Christ ou le Corps du Christ, alors la prière de David caché au désert de Ziph (cf. v.2) convient particulièrement bien à Jésus à Gethsémani en sa passion le vendredi et le samedi saint, ainsi qu’à ses disciples dans les luttes en tous genres et leurs combats spirituels contre le mal en particulier.
L’épître aux Colossiens applique en quelque sorte cet état caché de David à la vie chrétienne : « votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui en pleine gloire. » (Col 3,3b-4).
Le fait d’abattre les ennemis évoluera dans les préceptes de la prédication de Jésus en la distinction du refus du mal (Mt 18,6-9) et de l’amour des ennemis (Mt 5,44). Jésus vaincra le mal et donnera le pardon des péchés (cf. Mt 6,12 ; Mc 2,5.7.10 ; Lc 7,47-50 ; 19,9-10 ; Mt 26,28) en allant lui-même jusqu’à la supplique du pardon sur la croix (Lc 23,34).
DANS LA LITURGIE
Le v.2 du Ps 54 n’apparaît pas explicitement dans la liturgie, bien que 1 S 26,2 soit proposé par deux fois : le 7e Dimanche de l’année C et pour les messes votives « pour ceux qui nous font souffrir. » L’idée est que celui qui se laisse travailler par ce poème spirituel intemporel, bien qu’inspiré de l’expérience de David, rejoint le Christ en son angoisse, en sa passion et jusqu’en son sacrifice, qui est la destruction du mal par Dieu et la délivrance des ennemis du croyant authentique.
Dans sa version liturgique le psaume suit l’ordre de la Vulgate (version latine) de saint Jérôme, le plaçant à la 53e position. Dans la célébration de l’Office divin, il est récité le mardi II pour l’office du milieu du jour. Dans la liturgie de la Parole lors des messes, ce Ps 53 est peu utilisé : il est chanté le 25e Dimanche de l’année B ; il est également indiqué le samedi de la 22e semaine du temps ordinaire lors des années impaires. On omet le plus souvent le v.7 ou le v.9, lesquels ont trait à l’imprécation ou aux ennemis. Pourtant ils disent la victoire du bon Dieu qui a délivré de toute adversité (v.9a).
Ce psaume est en outre chanté lors de l’office du repos de l’Église apostolique d’Arménie, ce qui correspond à l’office des complies de l’Église orthodoxe et de l’Église catholique romaine.
Pour les chrétiens le psaume 54 et les autres psaumes de supplication trouvent leur plénitude dans le mystère de la Pâque de Jésus. C’est une invitation à entrer en solidarité avec ceux qui souffrent encore aujourd’hui de l’oppression, de la guerre, de la maladie, de l’handicap, de l’exclusion, de la persécution, de l’angoisse sur la terre. Pauvres et humbles de cœur, nous pourrons toutefois redire avec saint Paul : « en tout cela nous sommes les grands vainqueurs, par celui qui nous a aimés. » (Rm 8,37). En effet « aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (cf. Rm 8,39).
fr. Christian Eeckhout, o.p.
École biblique de Jérusalem