La semaine dernière, un jeune m’arrive tout en désarroi. Il s’était fait rouler. Un escroc venait de lui soutirer une forte somme d’argent. Déjà peu fortuné, le jeune se demandait comment il pourra joindre les deux bouts durant les prochaines semaines. Au delà du manque d’argent, mon ami était surtout en colère parce qu’il s’était fait avoir. Il avait étalé sa grande naïveté. Profonde humiliation!
— Que vont penser mes amis quand ils vont apprendre la chose? Ils vont sûrement rire de moi. Et ils auront raison!
— Alors, s’ils ont raison, que je lui dit, pourquoi ne pas en faire autant?
Et tous les deux, nous nous mettons à rire pendant une bonne grosse minute. Après tout, la situation était assez sérieuse pour mériter qu’on s’en moque. Bien sûr, manquer d’argent, c’est plutôt embarrassant. Devoir se priver durant les prochains jours, il n’y a rien dans une telle situation pour se réjouir. En toute logique, il fallait regretter que l’incident soit arrivé, faire le deuil de la perte d’argent, et surtout s’inquiéter de l’avenir qui s’annonçait tristounet.
Mon ami a choisi l’humour. Certains diront que c’est la solution de l’autruche: ne pas vouloir regarder ce qui se passe, fuir en s’enfouissant la tête dans le terreau de la rigolade. D’autres penseront que c’est manquer de sérieux et prendre le tragique à la légère. Peut-être. Mais l’humour n’est pas toujours une fuite ni un manque de responsabilité.
L’humour ne donne pas toujours les solutions que nous cherchons. Il a cependant l’avantage de relâcher les chaînes de l’affolement ou de la détresse. Il souffle un peu d’air quand nous avons l’impression d’étouffer. Il détend et il peut le faire suffisamment pour que nous puissions nous donner une certaine objectivité au delà des émotions et des frustrations. Il crée une distance. Le regard peut alors embrasser plus large, voir l’ensemble de la situation.
Se prendre trop au sérieux, souvent cela ne fait pas sérieux du tout! Au contraire, les choses ne deviennent sérieuses que lorsque nous ne nous prenons pas au sérieux. Jean XXIII, qui savait rigoler sur sa propre personne, disait: «Après tout, je ne suis que le pape!»
Saint Thomas d’Aquin, le sérieux théologien qu’on ne pourra jamais accuser de parler à la légère, à la non moins sérieuse époque que fut le Moyen Âge, saint Thomas d’Aquin, dis-je, considérait comme des pécheurs «ceux qui refusent la joie, ne disent jamais de drôleries et rebutent ceux qui en disent parce qu’ils n’acceptent pas les jeux modérés des autres. Il faut les considérer comme vicieux et les juger pénibles et mal élevés.» Et vlan! le pavé dans la mare de la morosité et du pessimisme.
Il peut arriver que l’humour verse dans la vulgarité. Malgré les écarts, l’humour reste cependant une affaire très sérieuse, indispensable pour notre hygiène mentale et notre équilibre de vie. Des américains, éditeurs de bandes dessinées, écrivaient dernièrement: l’humour est «indispensable pour que l’amour ne devienne pas une passion destructrice, la foi ne se transforme pas en dogme écrasant, l’espérance ne dérive pas en idéologie».
Comment ne pas sourire quand le bédéiste Sempé affirme: «Dieu a le sens de l’humour. Ce sont simplement les occasions de sourire qui lui manquent.»