Comment imiter Dieu ?
1. Le bienheureux Paul nous montre clairement quelle puissance peut atteindre notre élan, tout homme que nous sommes, et nous apporte la preuve que nous avons la capacité de voler jusqu’au ciel même, car il laissa derrière lui les anges, les archanges et tout le reste des puissances célestes, et tantôt il nous exhorte à devenir les imitateurs du Christ par son propre exemple, quand il nous dit : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ» (1 Co 11, 1), tantôt, en faisant abstraction de lui-même, il cherche à nous faire monter tout seuls vers Dieu, directement, en nous disant : « Devenez donc les imitateurs de Dieu. » (Ep 5, 1)
Ensuite, pour nous montrer que rien ne réalise autant cette imitation, qu’une vie donnée au bien de tous et prenant en considération l’avantage de chacun, il a ajouté : « Marchez dans la charité. » (Ep 5, 2) C’est pour cela qu’il fait suivre aussitôt son exhortation : « Devenez mes imitateurs » de ses propos sur la charité, dont il montre qu’elle est la vertu la plus propre à nous rapprocher de Dieu. C’est que les autres vertus, elles, sont passablement insuffisantes et qu’elles ne sont toutes relatives qu’à l’homme : ainsi quand nous combattons nos désirs, quand nous livrons la guerre à notre gourmandise, quand nous livrons bataille à notre cupidité ou que nous luttons contre notre tendance à la colère ; mais l’amour, voilà ce qui est commun à l’homme et à Dieu. Et c’est bien pour cela que le Christ disait : « Priez pour ceux qui vous insultent, et ainsi vous serez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt 5, 44)
Paul déconcertant avec ses ennemis
2. Paul, lui aussi, savait bien que de toutes les vertus, c’était la principale, et il en a apporté la preuve avec une rigueur particulière. Ce qui est sûr, c’est que personne n’a aimé à ce point ses ennemis, personne n’a fait plus de bien à ceux qui manœuvraient contre lui, personne n’a éprouve les sentiments qu’il avait pour ses persécuteurs. Au lieu de regarder le mal qu’ils lui faisaient, il considérait bien plutôt la communauté de nature qu’ils partageaient avec lui, et plus ils se déchaînaient contre lui comme des bêtes sauvages, plus il avait pitié de leur folie.
Voyez les dispositions d’un père pour son fils atteint de démence : plus le malheureux père est victime de ses violences, plus l’autre cherche à le piétiner cruellement, plus il a pitié de lui, plus il verse de larmes ; eh bien, cet apôtre, lui aussi, diagnostiquait dans les excès auxquels les démons poussaient contre lui les symptômes d’un état de maladie, et cela lui faisait redoubler de sollicitude.
Ainsi, voyez comme il est doux pour eux, comme il est sensible à leur égarement quand il nous parle en leur faveur, eux qui, cinq fois déjà, l’avaient fait fouetter, eux qui l’avaient lapidé, eux qui l’avaient fait enchaîner, eux qui étaient altérés de son propre sang et avides de le mettre en pièces tous les jours de leur vie : « Je leur rends ce témoignage, dit-il, ils ont du zèle pour Dieu, mais sans la connaissance qui devrait le régler. » (Rm 10, 2) Et inversement il imposait un frein à ceux qui voulaient fondre sur ses persécuteurs : « Ne nourris pas des pensées d’orgueil, crains plutôt. Car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il est à craindre qu’il ne t’épargne pas davantage. » (Rm 11, 20-21)
Tourmenté par le salut des Juifs
3. Voyant que le Seigneur avait prononcé une sentence de condamnation contre eux, il fit tout ce qui était en son pouvoir : sans cesse, il pleurait sur leur sort, tant il souffrait, il retenait ceux qui voulaient se ruer contre eux, et s’acharnait, autant qu’il était possible, à obtenir pour eux une ombre, au moins, d’excuse. À bout d’arguments devant leur opiniâtreté et leur endurcissement, il eut recours à la prière, sans cesse, en disant : « Frères, ce que je souhaite, ce que je demande à Dieu pour eux, c’est leur salut. » (Rm 10, 1) Il leur fait apparaître, aussi, de fermes motifs d’espérance en affirmant : « Les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29) pour qu’ils ne renoncent pas définitivement et qu’ils ne se perdent pas. C’était là se comporter du début jusqu’à la fin en homme plein de sollicitude pour eux et totalement saisi du désir brûlant de leur salut. Ainsi quand il rappelle ces versets : « De Sion viendra le sauveur qui ôtera les impiétés du milieu de Jacob » (Is 59, 20 repris dans Rm 11, 26). Oui, il était profondément meurtri, broyé en les voyant se perdre. Et c’est bien pourquoi il s’efforçait d’imaginer mille moyens d’apaiser son propre tourment, et tantôt il proclame : « De Sion viendra le Sauveur qui ôtera les impiétés du milieu de Jacob », tantôt il affirme : « Eux à leur tour, ont refusé leur confiance à Dieu, à cause de la miséricorde exercée envers vous, afin qu’ils obtiennent, à leur tour, miséricorde » (Rm 11, 31). Jérémie, lui aussi, quand il veut obtenir à toute force, en y mettant tout son acharnement, une justification pour les pécheurs à la même attitude, disant telle fois : « Si nos fautes se dressent contre nous, agis en l’honneur de ton nom » (Jr 14, 7), telle autre fois : « Leur route, les humains n’en ont pas la maîtrise et l’homme ne peut pas marcher en dirigeant bien sa marche » (Jr 10, 23) ; on peut encore citer cette parole : « Souviens-toi que nous sommes poussière. » (Ps 102, 14)
Car c’est bien l’habitude de ceux qui prient pour les pécheurs : même s’ils n’ont rien à dire de fondé, ils imaginent, du moins, une ombre de justification pour eux, et certes elle n’est pas le résultat d’une démarche rigoureuse, et on ne saurait non plus l’ériger en dogme, mais elle constitue un encouragement quand on s’afflige sur ceux qui se perdent. Alors, à notre tour, n’allons pas regarder de près, avec rigueur, de tels plaidoyers ; considérons seulement qu’ils sont la réaction d’une âme affligée, qui cherche à faire entendre une parole en faveur des pécheurs, et accueillons ces propos en conséquence.