L’exclus devant nous, en nous
Un lépreux vient trouver Jésus ; il tombe à ses genoux et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Pris de pitié devant cet homme, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » A l’instant même, sa lèpre le quitta et il fut purifié.
Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. »
Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte qu’il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui.
Commentaire
Un lépreux s’approche de Jésus. À cette époque, les lépreux étaient considérés comme impurs et exclus tant socialement que religieusement. On évitait tout contact avec eux. Que fait Jésus ?
Face au lépreux, Jésus ne s’enfuit pas, ne le console pas gentiment et n’appelle pas les forces de l’ordre. Jésus le touche et lui parle. Loin d’être contaminé par le lépreux, Jésus le guérit. Par son geste et sa parole, Jésus le rend à sa pleine liberté humaine, capable de présence et de responsabilité. Le contact avec Jésus le remet debout.
Et tout d’abord, le lépreux lui-même est allé vers Jésus pour le supplier avec confiance. Comme si lui, l’exclus de l’ordre social et religieux, pouvait davantage découvrir et accueillir Jésus. Comme si, à cause même de sa blessure, il pouvait mieux reconnaître la venue du Royaume et appeler, du plus profond de lui-même, en vérité, Celui qui l’inaugure. Comme si nos zones obscures, nos plaies internes, pouvaient être présentées à Jésus dans la confiance, sans faux-fuyants. Comme si, de ce lieu seul, en nous-mêmes, un regard vrai pouvait être porté sur Jésus et un appel pour qu’il nous guérisse. Comme si la prière vraie venait de l’exclus en nous, en face de nous,…
Et non seulement le lépreux est guéri, mais il va plus loin encore dans sa démarche. II va proclamer la nouvelle. II devient annonceur de ce geste et de cette parole qui l’ont touché, purifié, transformé. S’approcher de Jésus le renvoie dans la ville, à ses frères et soeurs. C’est lui, l’exclus, qui devient prophète. Quand se brisent les chaînes qui le maintenaient en marge, c’est de lui que provient la parole libérante.
Qui est l’exclus, en face de nous ? L’impur à ne pas toucher, le lépreux qui risque de nous contaminer, à cause de ses plaies et de ses handicaps, celui qui est marqué du signe du péché, le grand péché de notre monde : la faiblesse ? Serait-ce le chômeur « qui ne veut pas travailler », l’assistée « qui aime sa dépendance », le peuple « sous-développé par sa faute », l’étranger « qui n’est pas comme nous autres », le mourant « qui casse le party », … ? Qui sont ces autres inquiétants, à exclure de nos terrains privés, pour s’en tenir loin, à bonne distance, ou les enfermer dans un ghetto, à la périphérie, poliment ou violemment, de peur que leur maladie ne gagne du terrain et ne nous contamine ?
Qui est l’exclus, en nous ? Cette lèpre intérieure, dont ne pas s’approcher, cette zone de nous-mêmes à cacher rigidement, en quelque ghetto profond, ce ramassis de blessures vives, d’échecs honteux, de questions explosives, ces signes de notre faute grave : la vulnérabilité ? Qui est cet autre étrange en nous, à enfouir dans nos sous-sols, pour le reléguer à la périphérie de nous-mêmes, de peur que mis en lumière il nous exclue de l’ordre normal, de peur que contagieux il ne fasse éclater le fragile équilibre de nos apparences ?
Qui est l’exclus en face de nous ? Qui est l’exclus en nous ? Qui est l’autre ? Pour nous approcher et entendre son appel. Pour le rendre, avec Jésus, à une vie libre et debout. Et pour écouter sa parole invitante, une Joyeuse Nouvelle …