Dans les récits des vieilles croyances païennes, on raconte qu’un jour le dieu grec Jupiter s’est mis en colère contre Saturne et finit par le chasser de l’Olympe. Celui-ci s’est présenté à Rome au dieu romain Janus. Janus le reçut avec beaucoup d’hospitalité. Il organisa en son honneur de grandes fêtes, les Saturnales. Les romains avaient l’habitude de célébrer les Saturnales à la fin de décembre. À cette occasion, ils couronnaient des esclaves qui devenaient rois le temps de la fête. D’où l’origine de la galette des rois que nous mangeons à la fête des Rois, à l’Épiphanie. Notre coutume n’a donc aucune origine chrétienne. Elle nous rappelle cependant qu’on peut venir de partout à la rencontre du Roi des rois.
Dans sa lettre aux Éphésiens (3, 2-6), saint Paul dit que les païens sont associés au même héritage que les Juifs, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. Les prophètes anciens, comme Isaïe, l’avaient annoncé: «Les nations marcheront vers ta lumière.» «Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront»(Psaume 71 (72). Et le récit des mages dit avec éloquence qu’on peut être de purs étrangers, ignorant tout de la foi, et pourtant parvenir à la rencontre du Christ. Nous demeurons de plus en plus dans des villes cosmopolites. Comment ne pas être sensibles à ces appels à l’universalité? Comment ne pas être attentifs à l’Évangile que Dieu écrit dans de multiples cultures?
Le voyage des mages depuis l’Orient nous rappelle même que l’aventure de la foi est avant tout un pèlerinage. Une marche avec un itinéraire à suivre pour arriver à la rencontre du Christ. D’abord, les mages voient une étoile. Leur métier consiste à scruter le ciel, à étudier les constellations. C’est là qu’ils font leurs premiers pas dans la foi. La vie quotidienne est lieu de révélation, de manifestation de Dieu. Notre travail est comme un grand livre ouvert où Dieu écrit des messages. L’étude, la recherche de la vérité, la conquête des connaissances sont des activités où Dieu se laisse reconnaître. Parfois, nous entendons dire que l’étude peut faire perdre la foi. L’étude peut faire perdre des croyances, mais elle ne fait pas perdre la foi. Au contraire, la foi est en quête de connaissances, la foi est recherche et recherche intelligente. Dans la vie de tous les jours, dans les secrets de la nature comme dans les relations avec les autres, nous nous rapprochons de Dieu. C’est la première étape de notre cheminement vers l’Enfant de Bethléem.
La deuxième étape: scruter les Écritures, nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. Les mages sont arrivés à Jérusalem où on creuse la longue attente du messie en écoutant la Parole de Dieu. Un long cheminement parsemé de manifestations de Dieu dans l’histoire. Un lieu de partage avec d’autres d’un même désir, d’une même espérance. Une Parole comme un guide sur la route, une lumière soutenue par l’Esprit de Dieu. Les Écritures, un lieu particulièrement significatif de rencontre de Dieu.
Enfin, troisième étape, poser des gestes, aller jusqu’au bout, demeurer en route, persévérer. Il nous arrive parfois, peut-être souvent, de vivre des temps de sécheresse, des déserts, où la foi a l’air d’être en panne. La persévérance est alors essentielle. Marcher dans la nuit avec la certitude de rencontrer la lumière. Les scribes et Hérode semblaient avoir oublié cette étape. Ils n’attendaient plus. Ils ne semblaient plus espérer. Ou du moins leur espérance ne les mobilisait pas. Les mages sont demeurés en route. Ils ont rencontré le Christ.
Mais voilà qu’après leur rencontre, ils repartent par un autre chemin. Même s’il n’y avait eu aucun danger pour l’Enfant de la crèche, je crois que les mages auraient pris un autre chemin ou, du moins, leur route aurait traversé des paysages différents. Nous ne quittons pas la crèche sans voyager autrement. Nous nous mettons à remarquer le samaritain blessé qui souffre dans le fossé. Nous croisons un aveugle qui attend notre bras pour le guider vers la lumière. Nous rencontrons avec respect la pécheresse ou la femme adultère qui nous précéderont dans le royaume. Nous devenons attentifs aux enfants qui sont les premiers citoyens de cette terre nouvelle que propose le Seigneur. La route du retour à la maison est jalonnée d’attentions, de partage, bref de tout ce qui permet à l’amour de se manifester et de devenir l’Épiphanie de nos vies.
Finalement, la galette des rois, même si elle nous vient de vieilles coutumes païennes, peut nous dire le message de l’Épiphanie: le plus petit doit devenir le roi et être honoré à cause de l’Enfant de Bethléem. Depuis la naissance de Dieu en notre chair, nous découvrons que le monde doit fonctionner autrement, à l’envers. Les vrais grands sont des petits. Et cela plus qu’une journée dans l’année.