INTRODUCTION
1. La dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Ce principe fondamental, qui exprime un grand « oui » à la vie humaine, doit être mis au centre de la réflexion éthique sur la recherche biomédicale, qui acquiert de plus en plus, dans le monde d’aujourd’hui, une grande importance. Le Magistère de l’Eglise est déjà intervenu à maintes reprises pour clarifier et résoudre les problèmes moraux qui y sont sous-jacents. A ce titre, l’Instruction Donum vitae[1] est d’une importance particulière. Vingt ans après sa publication, il est apparu néanmoins opportun de procéder à sa mise à jour.
L’enseignement de ce document conserve toute sa valeur tant pour les principes que pour les jugements moraux qui y sont exprimés. Cependant, dans le domaine délicat de la vie humaine et de la famille, les nouvelles technologies biomédicales actuelles suscitent des questions ultérieures, en particulier en ce qui touche la recherche sur les embryons humains, l’utilisation de cellules souches à des fins thérapeutiques ainsi que le domaine de la médecine expérimentale. Toutes ces techniques soulèvent de nouvelles interrogations qui exigent également des réponses adéquates. La rapidité de l’évolution de la science et son amplification par des moyens de communication sociale suscitent des attentes et des préoccupations dans une grande frange de l’opinion publique. Les Assemblées législatives sont souvent sollicitées pour prendre des décisions, en impliquant parfois les consultations populaires, afin de réglementer juridiquement ces problèmes.
Ces motivations ont conduit la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à élaborer une nouvelle Instruction de caractère doctrinal, pour affronter certaines des problématiques récentes, à la lumière des critères énoncés par l’Instruction Donum vitae. D’autres thèmes déjà traités, mais pour lesquels des clarifications ultérieures s’imposent, ont été aussi réexaminés.
2. L’examen de ces questions a toujours pris en compte leurs aspects scientifiques, grâce au concours d’un grand nombre d’experts et aux analyses de l’Académie Pontificale pour la Vie. Tout cela été évalué à la lumière des principes de l’anthropologie chrétienne. Les encycliques Veritatis splendor [2] et Evangelium vitae [3] de Jean-Paul II et d’autres interventions du Magistère offrent des directives claires sur la méthode et sur le contenu tout au long de l’examen de ces problèmes.
Au sein de l’actuel et multiforme panorama, philosophique et scientifique, on peut relever une grande présence de scientifiques et de philosophes de valeur qui, dans l’esprit du serment d’Hippocrate, voient dans la science médicale un service en faveur de la fragilité humaine, pour le traitement des maladies, le soulagement de la souffrance ainsi que l’extension des soins nécessaires de manière égale à toute l’humanité. Cependant, certains représentants de ces mêmes domaines scientifiques considèrent le développement croissant des technologies biomédicales dans une perspective essentiellement eugénique.
3. L’Eglise catholique, en proposant des principes et des jugements moraux sur la recherche biomédicale dans le domaine de la vie humaine, s’appuie tant sur la lumière de la raison que sur la foi, en contribuant à élaborer une vision intégrale de l’homme et de sa vocation. Ceci témoigne de sa capacité à accueillir tout ce qui émerge de bon dans les œuvres des hommes et dans les diverses traditions culturelles et religieuses, qui ont souvent un grand respect pour la vie.
Le Magistère tient à encourager et à exprimer sa confiance envers ceux qui considèrent la science comme un précieux service pour le bien intégral de la vie et pour la dignité de chaque être humain. C’est avec espoir que l’Eglise regarde donc la recherche scientifique, et souhaite que de nombreux chrétiens se dédient à la promotion de la biomédecine pour témoigner de leur foi. En outre, elle exprime le vœu que les fruits de cette recherche soient rendus disponibles même dans les zones pauvres et dans celles qui sont touchées par la maladie, afin de répondre aux besoins les plus urgents et les plus dramatiques du point de vue humanitaire. Enfin, elle veut être présente aux côtés de toute personne souffrante dans son corps et dans son âme, pour offrir non seulement un réconfort, mais aussi la lumière et l’espérance, à travers lesquelles la maladie ou l’expérience de la mort retrouvent un sens. Ces situations appartiennent de fait à l’existence de l’homme et marquent son histoire, en l’ouvrant au mystère de la Résurrection. Le regard de l’Eglise est en réalité plein de confiance car «la vie vaincra: pour nous, cela est une espérance certaine. Oui, la vie vaincra, car la vérité, le bien, la joie, le véritable progrès sont du côté de la vie. Dieu, qui aime la vie et la donne avec générosité, est du côté de la vie »[4].
La présente Instruction s’adresse aux fidèles et à tous ceux qui cherchent la vérité[5]. Elle comprend trois parties: la première rappelle certains aspects anthropologiques, théologiques et éthiques de grande importance ; la seconde affronte les nouveaux problèmes liés à la procréation ; la troisième se penche sur les nouvelles propositions thérapeutiques impliquant la manipulation de l’embryon ou du patrimoine génétique de l’homme.
PREMIERE PARTIE:
ASPECTS ANTHROPOLOGIQUES, THEOLOGIQUES ET
ETHIQUES DE LA VIE ET DE LA PROCREATION HUMAINE
4. Au cours des dernières décennies, les sciences médicales ont considérablement élargi leurs connaissances sur la vie humaine dans les premiers stades de son existence. Elles sont parvenues à mieux connaître les structures biologiques et le processus de sa génération. Ces développements, certes positifs, méritent d’être soutenus lorsqu’ils sont utilisés pour surmonter ou guérir des pathologies et lorsqu’ils contribuent à rétablir le fonctionnement normal des processus génératifs. Par contre, ils sont négatifs, et donc ne peuvent être approuvés, quand ils impliquent la suppression d’êtres humains ou lorsqu’ils utilisent des moyens qui nuisent à la dignité de la personne. Il en est de même lorsqu’ils sont mis en œuvre pour des finalités contraires au bien de l’homme.
Le corps d’un être humain, dès les premiers stades de son existence, n’est jamais réductible à l’ensemble de ses cellules. Ce corps embryonnaire se développe progressivement selon un « programme » bien défini et avec une finalité propre qui se manifeste à la naissance de chaque enfant.
A ce titre, il est important de rappeler le critère fondamental d’éthique formulé par l’Instruction Donum vitae pour juger toutes les questions morales qui concernent les interventions sur l’embryon humain : « Le fruit de la génération humaine dès le premier instant de son existence, c’est-à-dire à partir de la constitution du zygote, exige le respect inconditionnel moralement dû à l’être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle. L’être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment, on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie ».[6]
5. Cette affirmation, de caractère éthique, est reconnue vraie et conforme à la loi morale naturelle par la raison elle-même ; elle devrait être le fondement de tout système juridique[7]. En réalité, elle suppose une vérité de caractère ontologique, en vertu de laquelle ce document avait démontré la continuité du développement de l’être humain, sur la base de solides connaissances scientifiques.
Si l’Instruction Donum vitae n’a pas défini l’embryon comme personne, afin de ne pas s’engager expressément dans une affirmation de nature philosophique, elle a cependant relevé qu’il existe un lien intrinsèque entre la dimension ontologique et la valeur spécifique de chaque être humain. Même si la présence d’une âme spirituelle ne peut être détectée par aucune observation de donnée expérimentale, les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l’embryon humain « fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d’une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? »[8]. De fait, la réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. L’embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne.
6. Le respect d’une telle dignité est requis pour chaque être humain, car en lui sont inscrites de manière indélébile cette dignité propre et la valeur qui est la sienne. D’autre part, le mariage et la famille constituent le contexte authentique où la vie humaine trouve son origine. En son sein, la vie provient d’un acte qui exprime l’amour réciproque entre l’homme et la femme. Une procréation réellement responsable vis-à-vis de l’enfant qui va naître « doit être le fruit du mariage »[9].
Dans tous les temps et dans toutes les cultures, le mariage «est une sage institution du Créateur pour réaliser dans l’humanité son dessein d’amour. Par le moyen de la donation personnelle réciproque, qui leur est propre et exclusive, les époux tendent à la communion de leurs êtres en vue d’un mutuel perfectionnement personnel pour collaborer avec Dieu à la génération et à l’éducation de nouvelles vies »[10]. Dans la fécondité de l’amour conjugal, l’homme et la femme « mettent en évidence qu’à l’origine de leur vie conjugale il y a un “oui” authentique qui est prononcé et réellement vécu dans la réciprocité, en restant toujours ouvert à la vie. […] La loi naturelle, qui est à la base de la reconnaissance de la véritable égalité entre les personnes et les peuples, mérite d’être reconnue comme la source à laquelle doit s’inspirer également la relation entre les époux dans leur responsabilité d’engendrer de nouveaux enfants. La transmission de la vie est inscrite dans la nature et ses lois demeurent comme une norme non écrite à laquelle tous doivent se référer »[11].
7. L’Eglise est convaincue que ce qui est humain est non seulement accueilli et respecté par la foi, mais il est aussi purifié, élevé et porté à la perfection. Après avoir créé l’homme à son image et à sa ressemblance (cf. Gn 1, 26), Dieu a qualifié de « très bonne » sa création (Gn 1, 31), et l’a ensuite assumée dans son Fils (cf. Jn 1, 14). Par le mystère de l’Incarnation, le Fils de Dieu a confirmé la dignité du corps et de l’âme, constitutifs de l’être humain. Le Christ n’a pas dédaigné le corps ; il en a pleinement révélé le sens et la valeur: « en réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné »[12].
En devenant l’un de nous, le Fils atteste que nous pouvons devenir « fils de Dieu » (Jn 1, 12), « participants de la nature divine » (2 P 1, 4). Cette nouvelle dimension n’est pas contradictoire de la dignité de la créature, que par la raison tous les hommes peuvent reconnaître. Elle l’élève plutôt vers un horizon ultérieur de vie qui est propre à Dieu, ce qui permet de réfléchir de manière plus adéquate sur la vie humaine et sur les actes qui l’expriment[13].
À la lumière de ces données de la foi, le respect dû à l’être humain et requis par la raison, est encore plus accentué et renforcé. C’est pourquoi il n’y a pas d’opposition entre l’affirmation de la dignité de la vie humaine et son caractère sacré. « Les différentes manières dont Dieu veille sur le monde et sur l’homme dans l’histoire non seulement ne s’excluent pas, mais, au contraire, se renforcent l’une l’autre et s’interpénètrent. Toutes proviennent du dessein éternel de sagesse et d’amour par lequel Dieu prédestine les hommes “à reproduire l’image de son Fils” (Rm 8, 29) »[14]
8. De ces deux dimensions, humaine et divine, on comprend mieux la raison d’être de la valeur inviolable de l’homme: il a une vocation éternelle et est appelé à communier à l’amour trinitaire du Dieu vivant.
Cette valeur s’applique à tous sans distinction. Par le simple fait qu’il existe, chaque être humain doit être pleinement respecté. En ce qui concerne la dignité, l’introduction de critères de discrimination, sur la base du développement biologique, psychologique, culturel ou de l’état de santé, est à exclure. En l’homme, créé à l’image de Dieu, se reflète, à chaque phase de son existence, « le visage de son Fils unique […] Cet amour infini et presque incompréhensible de Dieu pour l’homme révèle jusqu’à quel point la personne humaine est digne d’être aimée en elle-même, indépendamment de toute autre considération – intelligence, beauté, santé, jeunesse, intégrité et ainsi de suite. En définitive, la vie humaine est toujours un bien, car “elle est dans le monde une manifestation de Dieu, un signe de sa présence, une trace de sa gloire” (cf. Evangelium vitae, n. 34) »[15].
9. Ces deux dimensions de la vie humaine, naturelle et surnaturelle, permettent aussi de mieux comprendre en quel sens les actes qui permettent à l’être humain de naître et par lesquels l’homme et la femme se donnent mutuellement l’un à l’autre, sont un reflet de l’amour trinitaire. « Dieu, qui est amour et vie, a inscrit dans l’homme et la femme la vocation à une participation spéciale à son mystère de communion personnelle et à son œuvre de Créateur et de Père »[16] .
Le mariage chrétien « plonge ses racines dans la complémentarité naturelle qui existe entre l’homme et la femme, et se nourrit grâce à la volonté personnelle des époux de partager la totalité de leur projet de vie, ce qu’ils ont et ce qu’ils sont: en cela, une telle communion est le fruit et le signe d’une exigence profondément humaine. Mais dans le Christ Seigneur, Dieu prend cette exigence, il la confirme, la purifie et l’élève, la menant à sa perfection par le sacrement de mariage: l’Esprit Saint répandu au cours de la célébration sacramentelle remet aux époux chrétiens le don d’une communion nouvelle, communion d’amour, image vivante et réelle de l’unité tout à fait singulière qui fait de l’Eglise l’indivisible Corps mystique du Christ »[17].
10. En jugeant de la portée éthique des résultats récents des recherches médicales concernant l’homme et ses origines, l’Eglise n’intervient pas dans le domaine propre de la science médicale en tant que telle, mais elle rappelle à toutes les parties prenantes, la responsabilité éthique et sociale de leurs actes. Elle montre que la valeur éthique de la science biomédicale se mesure par sa référence tant au respect inconditionnel dû à tout être humain, à chaque instant de son existence, qu’à la sauvegarde de la spécificité des actes personnels qui transmettent la vie. L’intervention du Magistère rentre dans sa mission de promouvoir la formation des consciences, en enseignant de manière authentique la vérité qu’est le Christ, et au même moment, en déclarant et en confirmant avec autorité les principes de l’ordre moral découlant de la nature humaine elle-même[18].
DEUXIEME PARTIE:
LES NOUVEAUX PROBLEMES CONCERNANT LA PROCREATION
11. A la lumière des principes mentionnés ci-dessus, il s’avère nécessaire d’examiner maintenant certains problèmes relatifs à la procréation, et qui se sont mieux dessinés au cours des années qui ont suivi la publication de l’Instruction Donum vitae.
Les techniques d’aide à la fertilité
12. En ce qui concerne le traitement de l’infertilité, les nouvelles technologies médicales doivent respecter trois valeurs fondamentales: a) le droit à la vie et à l’intégrité physique de tout être humain depuis la conception jusqu’à la mort naturelle ; b) l’unité du mariage qui implique le respect mutuel du droit des conjoints à devenir père et mère seulement l’un à travers l’autre[19] ; c) les valeurs spécifiquement humaines de la sexualité, qui «exigent que la procréation d’une personne humaine doit être poursuivie comme le fruit de l’acte conjugal spécifique de l’amour des époux »[20]. Les techniques qui apparaissent comme une aide à la procréation « ne sont pas à rejeter parce qu’artificielles. Comme telles, elles témoignent des possibilités de l’art médical. Mais elles sont à évaluer moralement par référence à la dignité de la personne humaine, appelée à réaliser sa vocation divine au don de l’amour et au don de la vie »[21].
A la lumière de ce critère, sont à exclure toutes les techniques de fécondation hétérologue[22] et celles de fécondation artificielle homologue[23] qui se substituent à l’acte conjugal. En revanche, sont permises les techniques qui sont comme une aide à l’acte conjugal et à sa fécondité. L’Instruction Donum vitae s’exprime en ces termes : «Le médecin est au service des gens et de la procréation humaine: il n’a pas le droit de disposer d’elles ni de décider à leur sujet. L’intervention médicale est respectueuse de la dignité des personnes quand elle vise à aider l’acte conjugal, pour en faciliter l’accomplissement, soit pour lui permettre d’atteindre sa fin une fois qu’il a été accompli normalement »[24]. Concernant l’insémination artificielle homologue, elle affirme: « l’insémination artificielle homologue à l’intérieur du mariage ne peut être admise, sauf dans le cas où le moyen technique ne se substitue pas à l’acte conjugal, mais apparaît comme une facilité et une aide afin que celui-ci rejoigne sa fin naturelle »[25].
13. Les techniques visant à l’élimination des obstacles à la fécondité naturelle, telles que le traitement hormonal de l’infertilité d’origine gonadique, le traitement chirurgical de l’endométriose, la désobstruction des trompes ou la restauration microchirurgicale de leur perméabilité, sont quant à elles licites. Elles peuvent être considérées comme de véritables thérapies, dans la mesure où, une fois résolu le problème qui est à l’origine de la stérilité, le couple peut accomplir les actes matrimoniaux dans le but de la procréation, sans que le médecin interfère directement dans l’acte conjugal en tant que tel. Aucune de ces techniques ne remplace l’acte conjugal, qui reste la seule digne d’une procréation responsable.
Afin de répondre au désir de nombreux couples stériles d’avoir un enfant, il serait également souhaitable d’encourager, de promouvoir et de faciliter, avec des mesures législatives appropriées, la procédure d’adoption des nombreux enfants orphelins qui ont besoin d’un foyer domestique pour leur adéquate croissance humaine.
Enfin, il est à signaler que les recherches et les investissements consacrés à la prévention de la stérilité, méritent d’être encouragés. Une partie non négligeable des cas d’infécondité qui se présentent aujourd’hui au médecin, chez la femme comme chez l’homme, pourraient en fait être évités, si la vertu de chasteté était vécue plus fidèlement, si les sujets adoptaient un style de vie plus sain, et si les facteurs de risque aux niveaux professionnel, alimentaire, pharmacologique et écologique étaient éliminés.
Fécondation in vitro et destruction délibérée des embryons
14. L’Instruction Donum vitae avait déjà fait observer que la fécondation in vitro implique l’élimination volontairement acceptée d’un nombre conséquent d’embryons[26]. Certains pensaient que cela était dû à une technique encore imparfaite. L’expérience a montré, au contraire, que toutes les techniques de fécondation in vitro se déroulent en réalité comme si l’embryon humain était un simple amas de cellules qui sont utilisées, sélectionnées ou écartées.
Certes, environ le tiers des femmes qui ont recours à la procréation artificielle parviennent à avoir un enfant. Cependant, compte tenu du rapport entre le nombre total d’embryons produits et ceux effectivement nés, le nombre d’embryons sacrifiés reste très élevé[27]. Ces pertes sont acceptées par les spécialistes des techniques de fécondation in vitro comme le prix à payer pour obtenir des résultats concluants. Il est très préoccupant de voir qu’en ce domaine, la recherche ne semble pas porter un réel intérêt au droit à la vie de chaque embryon, mais vise surtout à obtenir de meilleurs résultats en termes de pourcentage d’enfants nés par rapport aux femmes qui initient un traitement.
15. On objecte souvent que ces pertes d’embryons ont lieu dans la plupart des cas de manière non délibérée ou même contre la volonté des parents et des médecins. On affirme qu’il s’agit de risques qui ne sont pas très différents de ceux liés au processus naturel de la génération et que vouloir engendrer la vie sans courir aucun risque reviendrait en pratique à s’abstenir de la transmettre. Certes, toutes les pertes d’embryons dans la procréation in vitro ne sont pas liées au même titre à la volonté des parties prenantes. Mais il s’avère que, dans de nombreux cas, l’abandon, la destruction ou les pertes d’embryons sont prévus et voulus.
Les embryons produits in vitro qui présentent des défauts sont systématiquement écartés. De plus en plus de couples non stériles recourent aux techniques de procréation artificielle dans le seul but d’opérer une sélection génétique de leurs enfants. La pratique courante désormais dans de nombreux pays est de stimuler l’ovulation pour obtenir un grand nombre d’ovocytes qui sont alors fécondés. Un certain nombre parmi les embryons ainsi obtenus sont transférés dans l’utérus, tandis que les autres sont congelés pour d’éventuelles interventions reproductives futures. La finalité du transfert multiple est de garantir, dans la mesure du possible, l’implantation d’au moins un embryon. Pour atteindre cet objectif, on implante un nombre d’embryons plus grand que le nombre d’enfants désiré, en prévoyant que certains seront perdus et que l’on évitera dans tous les cas, une grossesse multiple. Ainsi, la technique de transfert comporte en réalité un traitement purement instrumental des embryons. Ni la déontologie professionnelle commune, ni les autorités sanitaires n’admettraient, dans aucun autre domaine de la médecine, une technique comportant un taux global aussi élevé d’insuccès et de pertes. Les techniques de fécondation in vitro en fait sont acceptées, car on présuppose que l’embryon ne mérite pas, ici, un plein respect dans la mesure où il entre en concurrence avec un désir qu’il faut satisfaire.
Cette triste réalité, souvent passée sous silence, est tout à fait regrettable, car « même les diverses techniques de reproduction artificielle, qui sembleraient être au service de la vie et qui sont des pratiques comportant assez souvent cette intention, ouvrent en réalité la porte à de nouveaux attentats contre la vie »[28].
16. L’Eglise considère aussi comme inacceptable au plan éthique la dissociation de la procréation du contexte intégralement personnel de l’acte conjugal [29]: la procréation humaine est un acte personnel du couple homme-femme qui n’admet aucune forme de délégation substitutive. L’acceptation tranquille du taux très élevé d’avortement que comportent les techniques de fécondation in vitro démontre de manière éloquente que la substitution de l’acte conjugal par une procédure technique – outre sa non-conformité au respect dû à la procréation, laquelle n’est pas réductible à la seule dimension de reproduction – contribue à affaiblir la conscience du respect dû à tout être humain. La reconnaissance de ce respect est au contraire favorisée par l’intimité des époux, animée par l’amour conjugal.
L’Eglise reconnaît la légitimité du désir d’avoir un enfant, et comprend les souffrances des conjoints éprouvés par des problèmes d’infertilité. Ce désir ne peut cependant passer avant la dignité de la vie humaine, au point de la supplanter. Le désir d’un enfant ne peut justifier sa «production», de même que celui de ne pas en concevoir ne saurait en justifier l’abandon ou la destruction.
En fait, on a l’impression que certains chercheurs, dépourvus de toute référence éthique et conscients du potentiel inhérent au progrès technologique, cèdent à la logique des seuls désirs subjectifs[30] et à la pression financière, particulièrement forte en ce domaine. Face à l’instrumentalisation de l’être humain au stade embryonnaire, il faut réaffirmer que « l’amour de Dieu ne fait pas de différence entre celui qui vient d’être conçu et se trouve encore dans le sein de sa mère, et l’enfant, ou le jeune, ou bien encore l’homme mûr ou âgé. Il ne fait pas de différence, car en chacun d’eux il voit l’empreinte de sa propre image et ressemblance […] C’est pourquoi le Magistère de l’Eglise a constamment proclamé le caractère sacré et inviolable de chaque vie humaine, de sa conception jusqu’à son terme naturel » [31].
Injection intracytoplasmique de spermatozoïdes ( ICSI)
17. Parmi les techniques de fécondation artificielle récemment développées, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes [32] a pris progressivement une grande importance. Elle est devenue de loin la technique la plus utilisée, à cause de sa plus grande efficacité, et parce qu’elle permet aussi de surmonter diverses formes de stérilité masculine [33].
Comme la fécondation in vitro, dont elle est une variante, l’ICSI est une technique intrinsèquement illicite puisqu’elle réalise une totale dissociation entre la procréation et l’acte conjugal. En réalité, l’ICSI est aussi « opérée en dehors du corps des conjoints, par des gestes de tierces personnes dont la compétence et l’activité technique déterminent le succès de l’intervention : elle remet la vie et l’identité de l’embryon au pouvoir des médecins et des biologistes, et instaure une domination de la technique sur l’origine et la destinée de la personne humaine. Une telle relation de domination est de soi contraire à la dignité et à l’égalité qui doivent être communes aux parents et aux enfants. La conception in vitro est le résultat de l’action technique qui préside à la fécondation ; elle n’est ni effectivement obtenue, ni positivement voulue, comme l’expression et le fruit d’un acte spécifique de l’union conjugale»[34].
La congélation des embryons
18. Une des méthodes utilisées pour améliorer le taux de réussite des techniques de procréation in vitro est la multiplication du nombre de traitements successifs. Pour ne pas répéter les prélèvements d’ovocytes chez la femme, on opère un prélèvement unique de nombreux ovocytes que l’on féconde in vitro, et l’on conserve congelés une partie importante des embryons ainsi obtenus [35], en prévision d’un deuxième cycle de traitement, en cas d’échec du premier essai, ou pour les cas où les parents désireraient une autre grossesse. Parfois, on procède aussi à la congélation des embryons destinés au premier transfert, car la stimulation hormonale du cycle féminin produit des effets qui amènent à attendre la normalisation des conditions physiologiques avant de procéder au transfert des embryons dans l’utérus.
La cryoconservation est incompatible avec le respect dû aux embryons humains: elle présuppose leur production in vitro, et les expose à de graves dangers de mort ou à des altérations de leur intégrité physique, ainsi que le montre le pourcentage élevé qui ne survit pas à la technique de congélation et de décongélation. Elle les prive, au moins temporairement, de l’accueil maternel et du développement dans la gestation et les place dans une situation qui les expose à des atteintes et manipulations ultérieures [36].
La majorité des embryons non utilisés demeurent « orphelins ». Les parents ne les réclament pas, et parfois on perd la trace de ces parents. Cela explique l’existence des banques de plusieurs milliers d’embryons congelés dans presque tous les pays où est pratiquée la fécondation in vitro.
19. En ce qui concerne le grand nombre d’embryons congelés déjà existants, on se demande ce qu’il faut en faire. Certains se posent cette question, sans en saisir la portée éthique, motivés uniquement par la nécessité de respecter la loi qui exige après un certain temps de vider les centres de cryoconservation de ces embryons, en attendant de les remplir à nouveau. D’autres au contraire, conscients de la grave injustice commise, se demandent comment répondre au devoir de réparer cette injustices.
Les propositions d’utiliser ces embryons pour la recherche ou de les destiner à des fins thérapeutiques sont clairement inacceptables, parce qu’on les utilise comme un simple «matériel biologique » ce qui implique leur destruction. La proposition de décongeler ces embryons et, sans les réactiver, les utiliser pour la recherche comme si c’était de simples cadavres, est aussi inadmissible en raison d’un problème insurmontable du point de vue de la coopération au mal et du scandale [37].
De même, la proposition de mettre ces embryons à la disposition pour des couples infertiles, comme « thérapie de l’infertilité » n’est pas acceptable du point de vue éthique pour les mêmes raisons que celles qui rendent illicites tant la procréation artificielle hétérologue que toutes les formes de maternité de substitution [38]. Cette pratique comporterait de plus plusieurs autres problèmes sur le plan médical, psychologique et juridique.
Pour donner une chance de naître à des êtres humains autrement condamnés à la destruction, une forme d’«adoption prénatale» a aussi été proposée. Cette solution, louable dans ses intentions pour que soit respectée et défendue la vie humaine, présente cependant un certain nombre de problèmes qui ne diffèrent pas de ceux qui ont déjà été énumérés plus haut.
En définitif, il faut constater que les milliers d’embryons en état d’abandon traduisent une situation d’injustice qui est, de fait, irréparable. C’est pourquoi Jean-Paul II a lancé «un appel à la conscience des responsables du monde scientifique et de façon particulière aux médecins pour que soit arrêtée la production d’embryons humains, en tenant compte du fait que l’on n’aperçoit aucune issue moralement licite pour le destin humain des milliers et des milliers d’embryons ‘congelés’, qui sont et restent toujours les détenteurs des droits essentiels, et qu’il faut donc sauvegarder juridiquement comme des personnes humaines »[39].
La congélation d’ovocytes
20. Dans le but de résoudre les graves problèmes éthiques posés par la cryoconservation d’embryons, on a proposé, dans le cadre des techniques de fécondation in vitro, de congeler les ovocytes [40]. Une fois prélevé un nombre conséquent d’ovocytes en prévision de plusieurs cycles de procréation artificielle, on féconde uniquement ceux qui seront transférés dans l’utérus de la mère ; les autres sont alors congelés pour être éventuellement fécondés et transférés en cas d’insuccès de la première tentative.
Sur ce point, il convient de préciser que la cryoconservation des ovocytes en vue de procéder à une procréation artificielle doit être considérée comme moralement inacceptable.
La réduction embryonnaire
21. Certaines techniques utilisées dans la procréation artificielle, en particulier le transfert de plusieurs embryons dans l’utérus maternel ont donné lieu à une augmentation significative du pourcentage de grossesses multiples. Dans cette ligne, on a envisagé la technique dite de « réduction embryonnaire » qui consiste à intervenir pour réduire le nombre d’embryons ou de fœtus présents dans l’utérus, en procédant à leur élimination directe. La décision de supprimer ainsi des êtres humains, qui avaient été auparavant fortement désirés, représente un paradoxe, et elle est souvent cause pour les parents d’une souffrance et d’un sentiment de culpabilité qui peuvent durer des années.
Du point de vue éthique, la réduction embryonnaire est un avortement intentionnel sélectif. En effet, il s’agit de l’élimination délibérée et directe d’un ou de plusieurs êtres humains innocents dans la phase initiale de leur existence. En tant que telle, elle constitue toujours un grave désordre moral[41]. Ce jugement moral reste valable même dans l’hypothèse, qui reste à démontrer cas par cas, où cette technique serait pratiquée dans le cadre de la gestion médicale d’une grossesse multiple, afin d’éviter des risques tant pour la vie de la mère que pour celle des enfants à naître.
Les arguments présentés pour justifier la réduction embryonnaire du point de vue éthique se réfèrent souvent à des analogies avec les catastrophes naturelles ou les situations d’urgence dans lesquelles, malgré la bonne volonté de tous, il n’est pas possible de sauver toutes les parties impliquées. Ces analogies ne peuvent fonder en aucune manière un jugement moral en faveur d’une pratique directement abortive. D’autres fois, on se réfère à des principes moraux, comme ceux du moindre mal ou du double effet, qui ne sont pas applicables dans ce contexte. En effet, il n’est jamais licite de réaliser une action intrinsèquement illicite, même en vue d’une fin bonne: la fin ne justifie pas les moyens.
Le diagnostic préimplantatoire
22. Le diagnostic préimplantatoire est une forme de diagnostic prénatal, lié aux techniques d’insémination artificielle. Il comporte le diagnostic génétique des embryons obtenus in vitro, avant leur transfert dans l’utérus. Cette technique est utilisée dans le but d’avoir la certitude de ne transférer à la mère que des embryons exempts de tout défaut ou bien des embryons d’un sexe déterminé ou encore dotés de certaines qualités.
Alors que dans les formes de diagnostic prénatal, la phase diagnostique est bien séparée de la phase d’éventuelle élimination du fœtus et que, dans cet intervalle, les couples demeurent libres d’accueillir l’enfant malade, le diagnostic préimplantatoire précède ordinairement l’élimination de l’embryon « suspect » d’avoir des défauts génétiques ou chromosomiques, ou de l’embryon porteur d’un sexe non désiré ou de qualités non voulues. Ce diagnostic – toujours associé à la fécondation artificielle qui est déjà intrinsèquement illicite – vise en réalité une sélection qualitative avec pour conséquence la destruction des embryons, ce qui se traduit par une forme de pratique abortive précoce. Le diagnostic préimplantatoire est donc l’expression de cette mentalité eugénique « qui accepte l’avortement sélectif pour empêcher la naissance d’enfants affectés de différents types d’anomalies. Une pareille mentalité est ignominieuse et toujours répréhensible, parce qu’elle prétend mesurer la valeur d’une vie humaine seulement selon des paramètres de “normalité” et de bien-être physique, ouvrant ainsi la voie à la légitimation de l’infanticide et de l’euthanasie »[42].
En traitant l’embryon humain comme un simple « matériau de laboratoire », on opère une altération et une discrimination en ce qui concerne la notion même de la dignité humaine. La dignité appartient de façon égale à chaque être humain et ne dépend ni du projet parental, ni de la condition sociale ou de la formation culturelle, ni du stade de la croissance physique. Si, à d’autres époques, tout en acceptant généralement le concept ainsi que les exigences de la dignité humaine, on a pratiqué la discrimination pour des motifs de race, de religion ou de statut social, on assiste aujourd’hui à une non moins grave et injuste discrimination qui conduit à ne pas reconnaître le statut éthique et juridique des êtres humains affectés de graves maladies et handicaps: on en vient ainsi à oublier que les personnes malades et les handicapés ne forment pas une sorte de catégorie à part ; la maladie ou le handicap font partie de la condition humaine et concernent tout le monde à titre personnel, même quand on n’en fait pas l’expérience directe. Une telle discrimination est immorale et doit donc être considérée comme juridiquement inacceptable ; de même, on doit éliminer les barrières culturelles, économiques et sociales, qui minent la pleine reconnaissance et la protection des handicapés et des malades.
Nouvelles formes de contraception : interception et contragestion
23. A côté des méthodes contraceptives proprement dites qui empêchent la conception après un acte sexuel, il existe d’autres moyens techniques qui agissent après la fécondation, avant ou après l’implantation de l’embryon déjà formé dans l’utérus. Ces techniques sont dénommées interceptives lorsqu’elles interviennent avant l’implantation de l’embryon dans l’utérus maternel, et contragestives si elles provoquent l’élimination de l’embryon à peine implanté.
Pour encourager la diffusion des moyens d’interception [43], on affirme parfois que leur mécanisme d’action n’est pas suffisamment connu. Certes, on ne dispose pas encore d’une connaissance exhaustive du mécanisme d’action des différents agents utilisés. Mais les études expérimentales montrent que l’effet d’empêcher l’implantation est réellement présent, même si cela ne signifie pas que les moyens d’interception provoquent un avortement à chaque fois qu’on y a recours, puisqu’un rapport sexuel ne donne pas toujours lieu à une fécondation. Toutefois, il convient de noter que, chez celui qui veut empêcher l’implantation d’un embryon éventuellement conçu et qui pour cela demande ou prescrit de tels agents, l’intentionnalité de l’avortement est généralement présente.
Lorsque l’on constate un retard menstruel, on recourt parfois à la contragestion [44], généralement pratiquée entre une à deux semaines après la constatation dudit retard. L’objectif déclaré est de rétablir à nouveau la menstruation, mais en réalité, il s’agit de l’avortement d’un embryon qui a à peine effectué son implantation utérine.
Comme on le sait, l’avortement est « le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence, située entre la conception et la naissance »[45]. C’est pourquoi l’utilisation des moyens d’interception et de contragestion entre dans la catégorie du péché d’avortement et demeure un acte gravement immoral. En outre, lorsqu’on a acquis la certitude d’avoir commis un avortement, on encourt de graves conséquences pénales, selon le droit canonique[46].
TROISIEME PARTIE:
NOUVELLES PROPOSITIONS THERAPEUTIQUES QUI
COMPORTENT LA MANIPULATION DE L’EMBRYON
OU DU PATRIMOINE GENETIQUE HUMAIN
24. Au cours de ces dernières années, les connaissances acquises ont ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques pour la médecine régénérative et pour le traitement des maladies à base génétique. Contrairement au cas des cellules souches adulte, la recherche sur les cellules souches embryonnaires et sur leurs futures éventuelles applications thérapeutiques, en particulier, a suscité un grand intérêt, même si ces cellules n’ont pas fourni jusqu’à ce jour des preuves de leur effectivité dans le champ clinique. A partir du moment où certains ont estimé que les résultats thérapeutiques qui pourraient être atteints grâce à ces cellules souches embryonnaires pouvaient justifier différentes formes de manipulation et de destruction d’embryons humains, ont surgi, dans le domaine de la thérapie génique, du clonage et de l’utilisation des cellules souches humaines, tout un ensemble de questions qui requièrent un discernement moral attentif.
La thérapie génique
25. Par le terme de thérapie génique, on désigne communément l’application à l’homme des techniques d’ingénierie génétique dans un but thérapeutique, c’est-à- dire en vue de guérir des maladies à base génétique, même si on tente depuis peu d’appliquer la thérapie génique dans le cadre du traitement des maladies non héréditaires, et en particulier du cancer.
En théorie, il est possible d’appliquer la thérapie génique à deux niveaux : celui des cellules somatiques et celui cellules germinales. La thérapie génique somatique veut éliminer ou réduire les défauts génétiques présents au niveau des cellules somatiques, c’est-à-dire des cellules non reproductives qui composent les tissus et les organes du corps. Dans ce cas, il s’agit d’interventions ciblées sur des secteurs déterminés de cellules, avec des effets limités au seul individu traité. En revanche, la thérapie génique germinale vise à corriger les défauts génétiques dans les cellules de la lignée germinale, afin que les effets thérapeutiques obtenus sur le sujet puissent se transmettre à son éventuelle descendance. Ces interventions de thérapie génique tant somatique que germinale, peuvent être effectuées sur le fœtus avant la naissance – on parle alors de thérapie génique in utero – ou après la naissance, sur l’enfant ou sur l’adulte.
26. Le jugement moral sur la thérapie génique doit tenir compte de ces distinctions. Les interventions sur les cellules somatiques avec des finalités strictement thérapeutiques sont, en principe, moralement licites. Ces techniques entendent rétablir la configuration génétique normale du sujet ou compenser les dommages causés par des anomalies génétiques ou par d’autres maladies qui leur sont liées. Étant donné que la thérapie génique peut comporter des risques importants pour le patient, il faut observer le principe général de déontologie selon lequel la mise en œuvre d’une intervention thérapeutique doit nécessairement garantir d’avance que le patient ne soit pas exposé à des risques pour sa santé ou pour son intégrité corporelle qui soient excessifs ou disproportionnés par rapport à la gravité de la maladie que l’on veut soigner. Le consentement éclairé du patient ou de son représentant légitime est également requis.
Le jugement moral sur la thérapie génique germinale est au contraire différent. Toute modification génétique faite sur les cellules germinales d’une personne serait transmise à sa descendance éventuelle. Du fait que les risques liés à toute manipulation génétique sont importants et peu contrôlables, il n’est pas moralement admissible, dans l’état actuel de la recherche, d’agir en courant le risque que les dommages potentiels liés à l’intervention génique puissent se transmettre à la progéniture. Dans l’hypothèse de l’application de la thérapie génique à l’embryon, il faut ajouter qu’on ne peut la réaliser que dans le cadre technique de la fécondation in vitro, ce qui l’expose à toutes les objections éthiques relatives à ces procédés. Pour ces raisons, on doit donc affirmer, qu’en l’état actuel des choses, la thérapie génique germinale, sous toutes ses formes, est moralement illicite.
27. L’hypothèse des finalités applicatives de l’ingénierie au domaine de la génétique, différentes de l’ingénierie thérapeutique, mérite une attention particulière. Certains chercheurs se proposent d’utiliser des techniques d’ingénierie génétique pour réaliser des manipulations dans le but présumé d’améliorer ou de renforcer la dotation génétique. Certaines propositions dans cette ligne font montre d’une sorte d’insatisfaction ou même de refus de la valeur de l’être humain en tant que créature et personne marquée par la finitude. Outre les difficultés de mise en œuvre d’une telle technique, avec tous les risques réels et potentiels qui lui sont liés, il est évident que de telles manipulations favorisent une mentalité eugénique et introduisent une stigmatisation sociale indirecte envers ceux qui ne possèdent pas certaines qualités particulières. En outre, elles mettent l’accent sur des qualités appréciées par des cultures et des sociétés déterminées, qualités qui ne constituent pas par elles-mêmes ce qui est spécifique à l’homme. Cela contredit la vérité fondamentale de l’égalité entre tous les êtres humains, qui s’exprime par le principe de justice, dont la violation à la longue, finirait par mettre en péril la coexistence pacifique entre les individus. En outre, on se demande à qui il reviendrait de déterminer lesquelles parmi ces modifications seraient positives et lesquelles ne le seraient pas, et quelles devraient être les limites des requêtes individuelles à la prétendue amélioration, puisqu’il ne serait pas possible de répondre aux désirs de chaque homme. La réponse éventuelle à ces questions serait faite de toutes façons sur la base de critères arbitraires et discutables. Tout cela amène à conclure qu’une telle perspective d’intervention finirait tôt ou tard par nuire au bien commun, en faisant prévaloir la volonté de certains sur la liberté des autres. Enfin, il convient de relever que, dans la tentative de créer un nouveau type d’homme, se manifeste une dimension idéologique selon laquelle l’homme prétend se substituer au Créateur.
En affirmant sur le plan éthique le caractère inadmissible de ce type d’interventions qui impliquent une domination injuste de l’homme sur l’homme, l’Eglise rappelle aussi la nécessité de revenir à une perspective de soin aux personnes et d’éducation à l’accueil de la vie humaine dans sa finitude historique concrète.
Le clonage humain
28. Par clonage humain, on désigne la reproduction asexuée et agamique de la totalité d’un organisme humain afin de produire une ou plusieurs « copies » substantiellement identiques à l’unique progéniteur [47] du point de vue génétique.
Le clonage est proposé avec deux objectifs fondamentaux: l’un reproductif, c’est-à-dire visant à obtenir la naissance d’un enfant cloné, et l’autre thérapeutique ou de recherche. Le clonage reproductif serait théoriquement en mesure de répondre à certains besoins spécifiques comme le contrôle de l’évolution humaine, la sélection des êtres humains avec des qualités supérieures, la présélection du sexe de l’enfant à naître, la production d’un enfant qui soit la « copie » d’un autre, la production d’un enfant pour un couple souffrant de formes d’infertilité pour lesquelles il n’existe pas d’autres solutions curatives. En revanche, le clonage thérapeutique est proposé come le moyen de produire des cellules souches embryonnaires dotées d’un patrimoine génétique prédéterminé, afin de surmonter le problème de rejet (immuno-incompatibilité) ; il est donc lié à la question de l’utilisation des cellules souches embryonnaires.
Les tentatives de clonage ont suscité une grande préoccupation dans le monde entier. Plusieurs organismes au niveau national et international ont exprimé des jugements négatifs sur le clonage humain et, dans la plupart des pays, il a été interdit.
Le clonage humain est intrinsèquement illicite dans la mesure où, en portant à l’extrême le caractère négatif du jugement éthique relatif aux techniques de fécondation artificielle, au plan éthique, il entend donner origine à un nouvel être humain sans aucun lien avec l’acte de don réciproque entre deux époux et, plus radicalement, sans aucun lien avec la sexualité. Cette situation suscite des abus et des manipulations qui portent gravement atteinte à la dignité humaine[48].
29. Si le clonage avait un but reproductif, on imposerait au sujet cloné un patrimoine génétique déjà fixé, en le soumettant de fait – comme cela a été dit – à une forme d’esclavage biologique de laquelle il pourrait difficilement s’affranchir. Le fait qu’une personne s’arroge le droit de déterminer arbitrairement les caractéristiques génétiques d’un autre, est une grave offense à sa dignité et à l’égalité fondamentale entre les hommes.
L’originalité de chaque personne dérive de la relation particulière entre Dieu et l’homme dès les premiers instants de son existence. Ceci oblige à en respecter la singularité et l’intégrité, y compris aux plans biologiques et génétiques. Chacun d’entre nous rencontre dans l’autre un être humain qui doit son existence et ses caractéristiques propres à l’amour de Dieu, dont seul l’amour entre les époux constitue une médiation conforme au dessein du Créateur et Père céleste.
30. Le soi-disant clonage thérapeutique est encore plus grave au plan éthique. Créer des embryons dans le but de les supprimer, est totalement incompatible avec la dignité humaine, même si l’intention est d’aider les malades, car cela fait de l’existence d’un être humain, même à son stade embryonnaire, rien de plus qu’un moyen à utiliser et à détruire. Il est gravement immoral de sacrifier une vie humaine dans un but thérapeutique.
Les objections éthiques soulevées par plusieurs personnes contre le clonage thérapeutique et contre l’utilisation d’embryons humains produits in vitro, ont amené des scientifiques à rechercher de nouvelles techniques, qui sont présentées comme capables de produire des cellules souches de type embryonnaire, sans que cela présuppose cependant la destruction de véritables embryons humains[49]. Ces propositions ont suscité beaucoup d’interrogations au niveau scientifique et éthique, notamment en ce qui concerne le statut ontologique du « produit » ainsi obtenu. Tant que ces doutes ne sont pas clarifiés, on doit tenir compte de ce qu’a déjà affirmé l’Encyclique Evangelium vitae: « l’enjeu est si important que, du point de vue de l’obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d’une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l’embryon humain »[50].
L’utilisation thérapeutique des cellules souches
31. Les cellules souches sont des cellules indifférenciées qui ont deux caractéristiques fondamentales: a) la capacité durable de se multiplier sans se différencier b) la capacité d’engendrer des cellules progénitrices transitoires, à partir desquelles proviennent les cellules souches plus différenciées, par exemple, nerveuses, musculaires, hématiques.
Depuis qu’il a été expérimentalement vérifié que les cellules souches, quand elles sont transplantées dans un tissu endommagé, ont tendance à favoriser le repeuplement de cellules et la régénération de ce tissu, de nouvelles perspectives se sont ouvertes pour la médecine régénérative, suscitant un grand intérêt parmi les chercheurs du monde entier.
Les sources des cellules souches jusqu’ici identifiées chez l’homme sont: l’embryon aux premiers stades de son développement, le fœtus, le sang du cordon ombilical, différents tissus chez l’adulte (moelle osseuse, cordon ombilical, cerveau, le mésenchyme de divers organes, etc.) et le liquide amniotique. Au départ, les études ont surtout porté sur les cellules souches embryonnaires car on pensait que celles-ci étaient les seules à posséder un grand potentiel de multiplication et de différenciation. De nombreuses recherches ont cependant montré que les cellules souches adultes, elles aussi, ont une grande versatilité. Bien que ces cellules ne semblent pas avoir la même capacité de renouvellement et la même plasticité que les cellules embryonnaires, des études et des expérimentations de grande valeur scientifique tendent à leur accorder des résultats cliniques plus positifs, ce qui n’est pas le cas des cellules embryonnaires. Les protocoles thérapeutiques actuellement en vigueur prévoient l’utilisation des cellules souches adultes ; à cet égard ont été activées de nombreuses voies de recherche qui ouvrent des horizons nouveaux et prometteurs.
32. En ce qui concerne le jugement éthique, il faut considérer tant les méthodes de prélèvement des cellules souches que les risques résultant de leur utilisation clinique ou expérimentale.
Concernant les méthodes utilisées pour la collecte des cellules souches, il faut tenir compte de leur origine. Sont licites les méthodes qui ne procurent pas de grave dommage au sujet chez qui sont prélevées les cellules souches. Cette condition est habituellement vérifiée dans les cas suivants: le prélèvement a) de tissus d’un organisme adulte b) du sang du cordon ombilical au moment de la naissance, c) des tissus de fœtus morts de mort naturelle. Au contraire, le prélèvement de cellules souches d’un embryon humain vivant cause inévitablement sa destruction et il est de ce fait gravement illicite. Dans ce cas, « la recherche, quels que soient les résultats d’utilité thérapeutique, ne se place pas véritablement au service de l’humanité. Elle passe en effet par la suppression de vies humaines qui ont une égale dignité par rapport aux autres personnes humaines et aux chercheurs eux-mêmes. L’histoire elle-même a condamné par le passé et condamnera à l’avenir un tel type de science, non seulement parce qu’elle est privée de la lumière de Dieu, mais également parce qu’elle est privée d’humanité » [51].
L’utilisation des cellules souches embryonnaires ou des cellules différenciées qui en dérivent, éventuellement fournies par d’autres chercheurs, et provenant de la destruction d’embryons, ou disponibles dans le commerce, pose de sérieux problèmes du point de vue de la coopération au mal et du scandale [52].
Il n’existe pas d’objections morales en ce qui concerne l’utilisation clinique de cellules souches obtenues au moyen de procédés licites. Toutefois, il faut respecter les critères ordinaires de déontologie médicale. A cet égard, il convient de procéder avec beaucoup de rigueur et de prudence, en réduisant au minimum les risques éventuels pour les patients, en facilitant le débat entre les scientifiques et en offrant une information complète au grand public.
L’impulsion et le soutien à la recherche sur l’utilisation de cellules souches adultes sont à encourager, car elle ne comporte pas de problèmes éthiques [53].
Les tentatives d’hybridation
33. Récemment, des ovocytes d’animaux ont été utilisés pour la reprogrammation des noyaux de cellules somatiques humaines. Cette méthode, généralement appelée clonage hybride, a pour but de prélever des cellules souches embryonnaires sur les embryons produits, sans avoir à recourir à l’utilisation d’ovocytes humains.
De tels procédés sont, du point de vue éthique, une offense à la dignité de l’être humain, en raison du mélange des éléments génétiques humains et animaux susceptibles de nuire à l’identité spécifique de l’homme. L’utilisation éventuelle de cellules souches, extraites de ces embryons, comporterait aussi des risques supplémentaires encore inconnus pour la santé, à cause de la présence du matériel génétique animal dans leur cytoplasme. Exposer de manière consciente un être humain à ces risques est moralement et déontologiquement inacceptable.
L’utilisation du « matériel biologique » humain d’origine illicite
34. Pour la recherche scientifique et pour la production de vaccins ou d’autres produits, on utilise parfois des lignées de cellules, qui sont le produit d’intervention illicite contre la vie et contre l’intégrité physique de l’être humain. Le lien avec l’action injuste peut être immédiat ou médiat, vu qu’il s’agit généralement de cellules qui se reproduisent facilement et en abondance. Ce « matériel » est parfois commercialisé ou bien distribué gratuitement dans les centres de recherche par les organismes publics habilités par la loi. Tout cela suscite différents problèmes éthiques en termes de coopération au mal et de scandale. Il convient donc d’énoncer les principes généraux à partir desquels, les opérateurs ayant une conscience droite, peuvent juger et résoudre les situations dans lesquelles ils pourraient éventuellement être impliqués au cours de leur activité professionnelle.
Il faut d’abord rappeler que le même jugement moral sur l’avortement « est aussi à appliquer aux formes récentes d’intervention sur les embryons humains qui, bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le meurtre. C’est le cas de l’expérimentation sur les embryons, qui se répand de plus en plus dans le domaine de la recherche biomédicale, et qui est légalement admise dans certains Etats […]. L’utilisation des embryons ou des fœtus humains comme objets d’expérimentation constitue un crime contre leur dignité d’êtres humains, qui ont droit à un respect égal à celui dû à l’enfant déjà né et à toute personne »[54]. Ces formes d’expérimentation constituent toujours un grave désordre moral [55].
35. Un autre cas de figure à prendre en considération est lorsque les chercheurs utilisent du « matériel biologique » d’origine illicite, produit en dehors de leur centre de recherche ou qui se trouve dans le commerce. L’Instruction Donum vitae a formulé le principe général à observer en ces cas: « Les cadavres d’embryons ou fœtus humains, volontairement avortés ou non, doivent être respectés comme les dépouilles des autres êtres humains. En particulier, ils ne peuvent faire l’objet de mutilations ou autopsies si leur mort n’a pas été constatée, et sans le consentement des parents ou de la mère. De plus, il faut que soit sauvegardée l’exigence morale excluant toute complicité avec l’avortement volontaire, de même que tout danger de scandale »[56].
A ce propos, demeure insuffisant le critère d’indépendance formulé par certains comités d’éthique, à savoir l’affirmation selon laquelle l’utilisation du « matériel biologique » d’origine illicite est éthiquement licite à condition qu’il y ait une séparation claire d’une part entre ceux qui le produisent, font congeler et font mourir les embryons et d’autre part les chercheurs qui développent des expériences scientifiques. Le critère d’indépendance ne suffit pas pour éviter une contradiction dans l’attitude de celui qui dit ne pas approuver l’injustice commise par d’autres, mais qui, dans le même temps, accepte pour son travail le « matériel biologique » que d’autres obtiennent par le biais de cette injustice. Quand ce qui est illicite est approuvé par les lois qui régissent le système sanitaire et scientifique, on doit se dissocier des aspects iniques de ce système, afin de ne pas donner l’impression d’une certaine tolérance ou d’une acceptation tacite des actions gravement injustes [57]. Cela contribuerait de fait à favoriser l’indifférence ou la faveur avec laquelle ces actions sont perçues dans certains milieux médicaux et politiques.
Parfois on objecte que les considérations précédentes semblent supposer que les chercheurs de bonne conscience auraient le devoir de s’opposer activement à toutes les actions illicites menées dans le domaine médical, élargissant ainsi leur responsabilité éthique de manière excessive. Le devoir d’éviter la coopération au mal et le scandale touche en fait leurs activités professionnelles courantes, qu’ils doivent orienter de manière droite et à travers lesquelles ils sont appelés à rendre témoignage à la valeur de la vie, en s’opposant aux lois gravement injustes. C’est pourquoi il convient de préciser que le devoir de refuser ce « matériel biologique » -même en l’absence de tout lien étroit des chercheurs avec les actions des techniciens de la procréation artificielle ou de ceux qui ont pratiqué l’avortement provoqué, et même en l’absence d’un accord préalable avec les centres de procréation artificielle- découle du devoir de se dissocier, dans l’exercice de sa propre activité de recherche, d’un cadre législatif gravement injuste et d’affirmer avec clarté la valeur de la vie humaine. Par conséquent, le critère d’indépendance ci-dessus indiqué est nécessaire, mais il peut être, du point de vue éthique, insuffisant.
Dans ce cadre général, il existe naturellement des responsabilités différenciées et des motifs graves qui peuvent être moralement proportionnés pour justifier l’utilisation de ce « matériel biologique ». Par exemple, face au danger pour la santé des enfants, les parents peuvent autoriser l’utilisation d’un vaccin pour la préparation duquel on s’est servi de lignées cellulaires d’origine illicite, restant sauf le devoir de tous d’exprimer leur propre désaccord à ce sujet et de demander que les systèmes de santé mettent à leur disposition d’autres types de vaccins. D’autre part, on doit tenir compte du fait que dans les entreprises qui utilisent des lignées de cellules d’origine illicite, la responsabilité de ceux qui décident de l’orientation de la production n’est pas la même que la responsabilité de ceux qui n’ont aucun pouvoir de décision.
Dans le contexte de l’urgence de la mobilisation des consciences en faveur de la vie, il faut rappeler aux professionnels de la santé que « leur responsabilité est aujourd’hui considérablement accrue; elle puise son inspiration la plus profonde et trouve son soutien le plus puissant justement dans la dimension éthique des professions de santé, dimension qui leur est intrinsèque et qu’on ne peut négliger, comme le reconnaissait déjà l’antique serment d’Hippocrate, toujours actuel, qui demande à tout médecin de s’engager à respecter absolument la vie humaine et son caractère sacré »[58].