Du bouleversement au consentement
L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille, une vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. »
A cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »
Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu’Élisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait : ‘la femme stérile’. Car rien n’est impossible à Dieu. »
Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »
Alors l’ange la quitta.
Commentaire :
Cette scène de l’Annonciation, nous l’avons souvent entendue ou lue. Et aussi nous l’avons souvent vue. La plupart des grands artistes, et bien d’autres, l’ont peint ou sculptée. C’est sûrement une des scènes d’évangile les plus représentées dans l’art, tout autant, sinon plus peut-être, que celle des mages.
Avec toutes sortes d‘anges des plus splendides et colorés aux plus discrets, certains se demandant peut-être ce qu’ils font là. Et des figures de Marie très variées : parfois une noble dame, somptueusement vêtue et retirée dans ses appartements pour lire; ou une simple jeune fille concentrée dans son expérience d‘étonnement. Le bienheureux Fra Angelico, peintre dominicain et patron des artistes, en a fait lui-même plusieurs tableaux, en divers lieux, différents par leur approche, selon le public visé; certains sont plus ornés avec des détails explicites, d’autres plus dépouillés. Il nous présente habituellement une figure de Marie recueillie et méditative. Un autre peintre dominicain, le fr. Gaston Petit qui vit au Japon, a fait un grand paravent de l’annonciation, dans un style très moderne et japonais par sa symbolique, où l’accent est mis plutôt sur le « réjouis-toi ».
Voici donc une scène de l’Évangile que chaque époque et chacun de nous peut reprendre à sa manière, car elle est très riche. Pour mieux entrer dans l’esprit de l’Avent, de l’attente active de la venue de l’Emmanuel, un aspect dans l’attitude de Marie vaut d’être souligné
Souvent, nous retenons surtout la finale de ce récit : le oui de Marie. C’est vrai, c’est le sommet, mais il est le point d’arrivée d’une démarche, d’un parcours croyant qui peut ressembler aux nôtres, inspirer les nôtres. Ce oui ne vient qu’à la toute fin. Avant cela, Marie a passé à travers plusieurs étapes, qui montrent une femme qui se tient, qui ne se laisse pas impressionner facilement par la visite d’un ange et qui s’interroge.
Tout commence non par Marie elle-même mais, comme dans toute nos annonciations, dans tout signe de la venue de Dieu dans nos vies, tout commence par l’initiative de Dieu, qui nous dit sa bienveillance personnelle. Et la première réaction de Marie face au messager de la grâce de Dieu est celle qui est normale, quand Dieu nous rend visite. Elle est bouleversée, troublée, comme bien d’autres personnages de la Bible devant une visite imprévue, un avènement du Dieu vivant par une parole ou un signe : Hérode lui-même est bouleversé par l’arrivée des Mages, les disciples par la marche de Jésus sur les eaux, ceux d’Emmaüs par les événements de la pâque à Jérusalem; et juste avant Marie, Zacharie aussi a été troublé par la visite d’un messager lui annonçant un fils. Un événement, un avènement, qui dit que Dieu va nous rendre visite, qu’il est plus présent que nous croyons, que quelque chose de neuf peut advenir. Et Marie, comme nous, est bouleversée.
Mais elle n’en reste pas là. Elle cherche ensuite à comprendre : qu’est-ce que cela veut dire? Pourquoi? Elle entre alors dans une quête du sens de cette réalité mystérieuse qu’elle entrevoit, qui vient à elle. Comme ces convertis qui font l’expérience d’une sorte de visite intérieure bouleversante, puis qui se mettent en recherche, voulant saisir ce qui les a saisis.
L’ange ici doit alors fournir des premières explications. Le pauvre, peut-être ne savait-il pas dans quoi il s’engageait : il pensait qu’il n’aurait qu’à dire Ave Maria, et elle dirait oui, allons-y! Ce n’est pas si facile. Alors il donne le sens de ce qui s’annonce dans l’annonciation : la visite du Dieu vivant parmi nous par une naissance, celle d’un fils qui sera Messie. Et elle-même, Marie, va porter cette visite de Dieu; elle y sera engagée personnellement.
Maintenant, cette visite s’éclaire, un horizon de sens est présent. Mais cela ne suffit pas à Marie; ce n’est pas encore le oui. Elle a besoin de plus d’explications, cette fois-ci non sur le sens, le pourquoi, mais sur le comment. L’ange est peut-être étonné de tout ce travail qu’il doit faire : ces humains, il faut tout leur expliquer. Alors il précise : le rôle de l’Esprit, du souffle même de Dieu qui fait toutes choses nouvelles. Et enfin il atterrit, il offre un signe un peu plus concret, accessible, pour dire que l’Esprit de Dieu peut faire advenir du neuf, un signe proche de Marie : sa cousine Élisabeth, stérile, est enceinte. Un signe de fécondité, d’un don de la vie : quand Dieu rend visite, quand il fait demeure parmi nous, il s’agit de vie en abondance.
Au bout de cette longue recherche et de ce dévoilement progressif, finalement, Marie dit son oui, son consentement.
Marie, figure de l’Église, de nos communautés chrétiennes, figure de chaque croyant et croyante, Marie qui se laisse bouleverser, qui se pose des questions, qui cherche à saisir peu à peu ce que signifie cette venue de Dieu avec nous et comment cela peut advenir. Et du début à la fin de cet accueil de la Parole, Marie est personnellement engagée, non extérieure à la démarche. Elle montre l’expérience croyante et espérante comme éminemment personnelle, portée et déployée personnellement, car c’est ainsi que le Christ peut naître, que nous pouvons être féconds, comme individu, comme communauté et comme Église.
L’Avent est un temps d’écoute de la Bonne Nouvelle qui nous touche; puis, un temps du regard qui médite, qui s’interroge sur le pourquoi et le comment; et puis un temps d’accueil consentant et personnel de notre propre participation à la venue de Dieu parmi nous, à l’enfantement d’une vie nouvelle.
Une fresque de Fra Angelico, dans une cellule de frère, est la plus dépouillée : ni décor ni symbole, seulement un ange, Marie, et un témoin. Et sur un fond blanc, où il ne reste que l’essentiel, Marie à la fois étonnée et recueillie, scrutant et acquiesçant. Une femme qui cherche et qui accueille.