Une Grande Fête inter-générationnelle
Jésus disait à ses disciples: « Restez en tenue de service, et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller.
« Amen, je vous le dis: il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. S’il revient vers minuit, ou plus tard encore, et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils!
Vous aussi, tenez-vous prêts: c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Commentaire :
En ce 2 novembre, nous faisons mémoire de tous les fidèles défunts, cette foule immense incluant des gens de tous les âges, connus et inconnus, qui nous ont précédés dans la maison du Père. La veille, le 1er novembre, nous fêtons tous les saints, ces figures reconnues et admirées qui ont témoigné de l’Évangile. Mais aujourd’hui, nous fêtons tous les autres, ces fidèles anonymes qui ont transmis l’Évangile jusqu’à nous et qui en ont montré, au quotidien, la fécondité.
Nous nous rappelons de tant de visages, de tant de vivants. Plusieurs ont été proches de nous, par les liens de la famille, du travail ou de l’amitié, dans nos communautés de foi et nos réseaux d’espérance, dans la vaste complicité de la charité, qui brise toutes les frontières. La célébration de la mémoire des défunts, c’est une grande fête inter-générationnelle, inter-culturelle, inter-religieuse, et bien d’autres « inter » qui bâtissent des ponts plutôt que des murs, dans la communion de tous les vivants, dépassant les frontières temporelles.
Pour souligner ce rassemblement, l’Évangile qui nous est proposé peut sembler étonnant. Il nous présente des paraboles et des exhortations de Jésus qui tournent autour du service et de l’attente vigilante. Les images y abondent : la tenue de service (la ceinture autour des reins), les lampes allumées, le retour des noces, la porte à ouvrir, l’heure inconnue,…
Il contient aussi deux béatitudes touchant les serviteurs qui veillent, et même qui veillent tard! Heureux sont-ils : c’est un bonheur qui est promis à ces veilleurs, dont le désir est resté ouvert.
Ces paroles de Jésus sont adressées à ses disciples, ces hommes et ces femmes qui se sont mis à sa suite. Les lecteurs de Luc, nouvelles générations de disciples venues à la foi après le départ de Jésus, s’interrogent maintenant sur la venue prochaine du Christ ressuscité, qui viendra les emporter dans son Royaume. Viendra-t-il? Quand? Cela se rapporte à la rencontre du Christ lors de la parousie, des derniers temps, mais aussi à sa rencontre plus proche lors de la mort individuelle.
L’évangile y répond en insistant sur les attitudes pour se préparer. Il s’agit avant tout de développer une attente attentive et active, un cœur disponible, un sens du service. Sans exaltation surexcitée, sans peur du lendemain, sans fuite dans l’immédiat des gains.
Au cœur de ces paroles et nous offrant une inspiration, se trouve le visage de Celui qui vient. Il est d’abord qualifié de Seigneur, de Maître revenant des noces, car il est le Vivant qui a épousé l’humanité. À la fin, il est appelé le Fils de l’homme, figure mystérieuse des derniers temps, mettant en relation l’humanité et le Dieu créateur. Mais il est présenté aussi comme le Serviteur, celui qui viendra servir ses serviteurs, comme il l’a fait durant sa vie donnée. Plus loin en Luc, à la dernière Cène, cette figure va revenir : « Je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert à table (Lc 22,27).
Un Maître Serviteur, attentif et aimant, voilà celui qui viendra frapper à notre porte, au moment que nous ignorons. Mais nous pouvons nous préparer en nous tenant prêts, dans la confiance et l’attente d’un bonheur.
Célébrer la mémoire de nos morts, c’est nous inscrire dans une longue lignée de disciples, de serviteurs. Notre vie est un don reçu d’un Autre, et de plusieurs autres; nous ne sommes pas nos propres auteurs. Notre visage porte des traits uniques mais aussi des traits hérités. Cela vaut pour la vie physique mais aussi pour notre vie spirituelle et relationnelle, pour notre vie intellectuelle et nos engagements. Il vaut la peine de s’en rappeler au moins une fois par année.
Commémorer les fidèles défunts, c’est aussi nous rappeler notre propre mortalité. Nous faisons partie de cette vaste humanité, douée et vulnérable. Cette fragile pèlerine est appelée à se tenir prête, dans la précarité, pour entrer dans le mystère d’une joie partagée. Avant d’entrer dans ce cortège, nous portons des inquiétudes et des cicatrices. Mais une certitude peut nous habiter : le bonheur promis dépasse tous nos calculs et craintes et se donne déjà à voir dans le visage d’un serviteur, portant notre faiblesse et annonçant notre transfiguration.