L’intransigeance et le rigorisme seraient-ils, dans le passé et le présent, l’apanage des religions et, en particulier, des monothéismes ? C’est ce que la littérature et le cinéma semblent vouloir dire. Mais leur discours est forcément unilatéral car il part de présupposés, partagés par le grand public, radicalement différents de ceux qui pratiquent ce type de foi. Pour qui cherche à comprendre, le discernement est difficile et doit faire la part des choses, d’autant plus que les arts se servent du biais de la fiction et peuvent ainsi forcer le trait.
Le cas du cinéma israélien est particulièrement intéressant. Voici un pays qui vit dans le contraste perpétuel entre une population fortement sécularisée mais unie, en dépit de tous les clivages, autour de sa propre identité nationale (qui comporte nécessairement une dimension religieuse) et des courants du judaïsme orthodoxe et même ultra-orthodoxe, dont les membres mènent leur vie de communauté. Quand on se promène dans Jérusalem ou dans Tel-Aviv, on est immédiatement frappé par cette diversité qui s’exprime d’abord par l’allure vestimentaire.
Le très vivant cinéma de ce pays ne pouvait que tirer parti de cette situation. The Bubble d’Eytan Fox manifestait la liberté des mœurs, tandis que le cinéaste Amos Gitaï, dans Kadosh, dénonçait avec virulence l’asservissement des femmes dans l’univers du judaïsme orthodoxe. Deux films récents apportent avec talent leur vision.
My Father, My Lord, de David Volach
My Father, My Lord (Mon père, mon Seigneur) a été réalisé par David Volach, un tout jeune cinéaste issu lui-même des milieux ultra-religieux venus d’Europe de l’Est. Rabbi Abraham, chef prophétique d’une communauté de ce type, sa femme et leur fils Menahem, âgé d’une dizaine d’années, en sont les protagonistes. Pour autant que la volonté paternelle et la ritualité minutieuse talmudique soient respectées, l’harmonie règne dans cette famille restreinte.
C’est par les yeux de Menahem, à la fois docile et curieux de tout, que nous découvrons le monde : il est particulièrement intéressé par les animaux, oiseaux ou poissons, dont le spiritualisme juif ne semble pas tenir grand compte. Nous le voyons étonné lorsque son père sépare une tourterelle de ses oisillons pour obéir à une énigmatique prescription de la Bible (Dt 22,6-7).
C’est sans doute aussi parce qu’il veut remettre son poisson rouge dans la mer que Menahem se noiera au cours de l’excursion que le père a consenti à lui offrir. Femmes et hommes étant séparés pour se baigner et n’étant plus surveillé par sa mère, Menahem échappe à l’attention du Rabbi, occupé par la prière du soir en plein air. Une surenchère tragique est alors proposée par le cinéaste qui nous montre Abraham, responsable de la synagogue, s’inclinant devant la « volonté de Dieu » et justifiant le primat de la prière. La mère se révolte silencieusement contre le père et Seigneur, qui est à la fois son époux auquel elle s’est soumise pendant tant d’années, et le Dieu d’Israël.
L’œuvre a une singulière puissance, un peu schématique cependant. Le récit de l’immolation d’Isaac par Abraham (Gn 22) que Menahem doit réciter en hébreu et en yiddish sous-tend le film. Mais Isaac est épargné, tandis que le petit garçon disparaît mystérieusement dans la mer. Une manière de dire sans doute que l’interprétation puritaine et rigoriste du texte révélé ne peut qu’apporter le malheur aux hommes.
Les Sept Jours, de Ronit et Shlomi Elkabetz
Succédant à Prendre femme, réalisé en 2004, Les Sept Jours, de Ronit et Shlomi Elkabetz, se situe sur un autre registre. Ce film semble prendre acte en quelque sorte de la diversité de la société israélienne à l’intérieur même des groupes qui la composent.
A la mort du père, une famille se plie à la coutume juive d’habiter ensemble la maison du mort, durant une semaine, sans se laver, sans coucher dans un lit, sans manger de viande, pour honorer la mémoire du défunt. Ce huis-clos relatif – car les hommes doivent quand même vaquer au commerce – devient le révélateur des tensions, des refoulements et des frustrations qui habitent les sept frères et sœurs et leurs conjoints.
Le film excelle à indiquer leurs relations complexes, qui vont d’un paroxysme à l’autre avec les règlements de comptes, les explications et les réconciliations dans la surexcitation ou le délire, dans les conflits d’intérêt autour de l’héritage, alors que la famille devrait se sentir unie dans la perte du défunt. Mais ce qui intéresse aussi, ce sont les clivages dans l’exigence religieuse des coutumes, des plus orthodoxes aux plus libres, des plus sincères aux plus conformistes, qui donnent sans doute un tableau, vraisemblable jusque dans la caricature, de la société juive en Israël.
Comme on peut s’y attendre, c’est autour de Ronit Elkabetz, co-réalisatrice avec son frère, que se cristallise le film. Cette actrice qu’on avait vue en femme moderne et libérée dans l’amusante comédie de Eran Kolrin, La visite de la fanfare (2007), donne ici à son personnage, Viviane, une dimension plus revendicatrice. Elle a quitté son mari et veut divorcer alors qu’elle doit attendre son consentement. Les sept jours de deuil révèlent les contradictions d’une société inquiète et menacée, dont les masques à gaz précipitamment mis sur le visage au cimetière dans la dernière scène sont le signe. En dépit de l’humour juif et de l’autodérision, le cinéma d’Israël donne une sombre image de sa société.
Guy-Th. Bedouelle o.p., Angers (FR)
Recteur de l’Université catholique de l’Ouest