Les vents ont commencé à refroidir le temps. Les arbres réagissent. Ils perdent de plus en plus leurs chaudes couleurs. Le teint blafard, leurs branches à demi dénudées s’élancent vers le ciel comme dans une intense supplication. Finis les longs après-midi à flâner dans les parcs ou à faire du lèche-vitrine. Le boulot et les échéances ont repris droit de cité. Finies les balades en manches courtes dans les bois ou au bord du fleuve. Finies les soirées à bavarder au balcon en guettant les étoiles. Le signal est donné. Nous allons bientôt entrer en hibernation. Nous n’aurons pas le sommeil aussi intense que celui des ours, mais une sorte de léthargie va s’emparer de la ville et de la campagne. Pendant que les oiseaux gagnent le sud, nous nous réfugions à l’intérieur. Les bermudas cèdent la place aux chandails et aux bas de laine.
L’hiver fait le bonheur des enfants et des amateurs de sport, mais il déprime beaucoup de personnes, surtout les plus âgées et les malades. Car la saison froide rend les communications plus difficiles. Pour beaucoup, les prochains mois sont synonymes de solitude et d’isolement. Les amis viendront moins souvent. Les proches seront occupés ailleurs. Le silence, vide comme l’absence, vide comme l’indifférence!
L’hiver est la saison pour tester la profondeur de nos attachements. Nous aimons-nous assez pour ne pas laisser le mauvais temps dresser entre nous une distance infranchissable? Nos amours sont-elles assez fortes pour résister à l’intensité du froid, certains jours de décembre ou de janvier?
Rupture et solitude font route ensemble. Distance les accompagne. Loin des yeux, loin du coeur. En hiver, la solitude fait vieillir plus vite. Et par conséquent, l’écart entre les âges s’agrandit. Les uns s’enferment dans leurs souvenirs. Ils n’ont plus la chance de faire du neuf avec d’autres. Seuls devant leurs rides, ils ne peuvent pas compter sur les autres pour réveiller l’ardeur qui sommeille en eux. Leur génération s’est décimée; ils ont parfois l’impression d’avoir été oubliés dans un univers de plus en plus étrange, de moins en moins compréhensible, une planète inhospitalière.
Chez d’autres, la blessure est plus profonde. Ils n’arrivent pas à profiter de leur solitude. Sans la présence des autres, ils voient monter à la surface de leur rivière des souvenirs qui font mal, des scènes qu’ils n’arrivent pas à regarder sereinement. D’autres s’ennuient parce qu’ils ne savent pas occuper leur temps. Ils n’ont pas l’imagination créatrice.
Mais la solitude la plus atroce, c’est de ne plus rien attendre, ne plus rien espérer. Croire que la soif ne sera jamais apaisée. S’imaginer que l’amour n’aura plus de vis-à-vis. Désespérer de compter pour quelqu’un. Éteindre la lampe, tirer les rideaux en pensant que plus personne ne viendra.
La solitude est un défi. Elle provoque en duel. Prendre la fuite, c’est s’avouer vaincu avant de se battre. Subir la situation, se laisser faire, c’est abdiquer. Au contraire, relever les manches, regarder l’adversaire dans les yeux et foncer: voilà l’attitude qu’il faut prendre. La démission est une mort prématurée. L’audace, un prélude à la victoire, un tremplin pour dépasser l’obstacle. Faire de sa solitude un chantier de construction plutôt qu’un champ de ruines. Les autres peuvent s’intéresser à nous si nous-mêmes nous intéressons à eux. L’indifférence ne se combat que par l’intérêt, l’attention aux autres. Seul l’amour appelle l’amour.
Transformer la solitude pour en faire un temps de croissance personnelle. La saisir comme une occasion de faire le point sur soi-même. En profiter pour mettre de l’ordre en soi. En faire un tremplin vers la liberté. Voilà un programme pour plusieurs d’entre nous qui appréhendent la saison de la solitude.