Il y a quelques années, René Angelil, le mari de Céline Dion, a connu des déboires de santé. Au cours d’une entrevue, il a fait le point sur sa maladie et a déclaré: «Maintenant nous ne voulons plus planifier la vie, nous voulons la vivre»!
Dans la bouche d’un homme aussi engagé dans le travail, le propos est agréablement surprenant. Vivre sa vie plutôt que de la planifier! Combien d’autres bourreaux de travail ne devraient-ils pas parvenir à ce brin de sagesse? Acharnés de la besogne ou non, pouvons-nous tourner le dos, refuser le bien fondé d’une telle déclaration?
C’est juste: il faut vivre sa vie! La vivre et surtout pas la subir! La vivre et surtout pas l’emprisonner dans un carcan, fut-il aussi noble que la réalisation d’un projet de grande envergure!
Mais que peut bien vouloir dire: vivre sa vie? Peut-être faut-il retourner au temps des vacances pour deviner le sens de cette expression. Quand nous faisons relâche et que soudain le chant d’un oiseau attire notre attention. Ou quand nous prenons plaisir à voir une fleur danser avec le vent. Ou que nous savourons doucement une tarte aux fraises. Ou que tout-à-coup le petit dernier que l’on croyait encore un enfant se dresse devant nous avec toute l’arrogance de ses premiers élans d’adolescent! Et combien d’autres discrets trésors qui coulent en douce au fil du quotidien.
Prendre le temps de goûter, c’est peut-être ça vivre sa vie! Savourer cette galaxie d’étoiles qui pleuvent sur nos jours et que nous ne remarquons pas suffisamment. Accepter de nous laisser distraire non seulement par les coups de clairon qui bouffent nos journées mais aussi par la flûte délicate des petits riens de la vie. Les peintres vous le diront: souvent quelques coups de pinceaux nuancent le tableau et disparaissent pour laisser place au chef d’oeuvre.
Et pourtant le bonheur se nourrit de ces petits fruits. Il en fait son menu quotidien. L’amour s’exprime par petites touches beaucoup plus souvent qu’il ne surgit en grande pompe. Des attentions minuscules peuvent nous bouleverser alors que les déclarations solennelles nous laissent froids.
Goûter le quotidien, voilà donc une bonne façon de vivre sa vie plutôt que de la subir. Mais une telle attitude n’est pas incompatible avec une vie bien remplie. Nous rencontrons souvent de gros travailleurs, des porteurs d’agenda noirci d’engagements. Il arrive parfois que nous trouvions parmi eux des gens qui vivent pleinement leur vie. Le fleuve de leur quotidien a beau dévaler en cascades, ils laissent l’eau les pénétrer et irriguer leur vie.
Il est possible de vivre sa vie même quand nous sommes contraints par le boulot ou les responsabilités. Il est possible de rester attentifs aux petits bonheurs, de les déguster à petites doses. Et de nous trouver privilégié de vivre une vie ensoleillée.
La vie est terne et sans saveur quand nous la subissons, quand nous ne trouvons pas de joie à rouler notre bosse. Une vie mal assumée, c’est comme un oiseau sauvage qu’on cherche à domestiquer. La nostalgie des grands espaces demeure au fond de la mémoire comme une blessure. Vivre sa vie, c’est peut-être tout simplement se prendre en main, décider par soi-même, accueillir la lumière qui se faufile par les fenêtres du quotidien. Libre, tout simplement libre!