Entre montagne et mer
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : « C’est un fantôme », et la peur leur fit pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant qu’il y avait du vent, il eut peur ; et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Commentaire :
En ce dimanche, nous quittons la foule pour nous retrouver avec Jésus et ses disciples, dans un moment intense de leur relation. Cet évangile présente des visages de Jésus qui sont impressionnants. Mais aussi, comme celui de la semaine dernière sur les pains multipliés, il nous parle de l’Église et de la vie de disciple, à la suite de Jésus.
Le premier visage de Jésus est celui de l’homme de prière, qui sait se retirer loin de la foule et des disciples, sur la montagne, pour renouveler son lien intime avec le Père. La montagne, dans les Écritures, est le lieu d’une rencontre du Dieu vivant dans son mystère et sa puissance créatrice. Le prophète Élie et Moïse en ont fait eux aussi l’expérience. Jésus est homme d’action, enseignant et guérissant, prenant soin des gens et de ses proches. Mais, pour cela même, il a besoin d’aller à l’écart pour retrouver son souffle, pour se resituer dans le vaste horizon du Royaume. La montagne, celle de la Bible et celle de nos vies, qui n’est pas nécessairement un lieu physique, est l’endroit privilégié pour une telle rencontre.
Le deuxième visage de Jésus est lié à un autre lieu symbolique de la Bible, la mer. Celle-ci est vue dans les Écritures comme un lieu dangereux et menaçant, rempli de forces hostiles. Seul Dieu a pouvoir sur la mer et peut contrôler ces forces. Or Jésus, ici, marche sur la mer et maîtrise le vent. On ne peut mieux dire que Jésus est plus qu’un prophète ou un sage. Matthieu raconte plus qu’une anecdote. Dans sa catéchèse sensible aux liens entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, il nous dit qu’en Jésus, la puissance du Dieu créateur est présente. La confession de foi des disciples, à la fin, exprime clairement cette saisie: Jésus vraiment est le Fils de Dieu.
Les disciples sont dans la barque, qui évoque la communauté ecclésiale vivant des crises et des passages difficiles. Elle connaît le doute et la peur et elle est appelée à une confiance plus grande dans le Christ ressuscité, vraiment présent et agissant au cœur de son histoire. On peut aussi lire l’expérience de Pierre comme une sorte de portrait du cheminement spirituel que chacun de nous connaît, avec son mélange d’élan et d’enthousiasme, de doute et de désespoir, d’appel au secours et de salut venant finalement de la main de Jésus, qui nous tire hors de la mer dangereuse où nous risquons de couler. À la fois communautairement et personnellement, comme les disciples, nous passons de la peur au peu de foi et à la pleine foi en Jésus Fils de Dieu.
Nous pouvons nous reconnaître de plusieurs manières en ce récit. Comme Jésus, nous avons besoin d’aller sur la montagne, dans la solitude, pour laisser l’Esprit du Dieu vivant nous toucher de l’intérieur et renouveler notre engagement. Quelle est pour moi cette montagne où il me serait bon de retourner ou d’aller pour la première fois? Comme la communauté des disciples, nous passons à travers des moments de crise et de confusion et nous avons besoin d’avancer dans notre confiance au Christ vivant, en la puissance de son amour, et de proclamer clairement notre foi. Quelle crise, vécue avec d’autres dans une même barque, m’a aidé déjà à développer cette confiance et à l’exprimer? Comme Pierre, notre parcours croyant est hésitant, entre audace et écroulement, et nous avons besoin de crier : Seigneur, sauve-moi. À ce moment de ma vie, pour quelle difficulté me serait-il salutaire de reprendre cette prière de Pierre?
Ce récit se passe à la fin de la nuit. Déjà se lève une lumière, celle du Christ ressuscité.