La vie n’est pas facile pour bien des gens. Des films québécois racontent avec brio les histoires de Josh (TOUT EST PARFAIT) puis de Kiki (BORDERLINE), tous deux écorchés par le suicide de proches ou par l’éclatement de la famille. Ces productions constituent de véritables odes à la vie malgré tout ce qui la rend pénible.
TOUT EST PARFAIT
Le québécois Yves Christian Fournier frappe fort avec ce premier long métrage, qui constitue une véritable plongée dans l’univers des adolescents. Un univers si refermé sur lui-même, et par nature si hostile à celui des adultes, qu’on se demande par quel miracle le cinéaste et son scénariste, l’écrivain Guillaume Vigneault, sont parvenus à le définir de façon aussi crédible.
Quelques semaines après le suicide de leur ami Sacha, trois adolescents de 16 ans, Thomas, Alex et Simon, s’enlèvent la vie. Dans leur banlieue industrielle sous le choc, ainsi qu’à l’école secondaire qu’ils fréquentaient, tous se demandent si Josh, le plus proche ami des quatre défunts, savait quelque chose de ce pacte de suicide et connaissait les raisons pour lesquelles ses auteurs ne se sont pas justifiés par lettre. Avare de réponses, le garçon se replie sur lui-même, refuse la main tendue de ses parents et du psychologue de l’école, ne baissant la garde que devant Mia, ex-petite amie de Sacha, et Henri, le père de Thomas. Auprès d’eux, les souvenirs des événements qui ont précédé le drame resurgissent dans le désordre.
Tournant résolument le dos au cinéma de croissance sociale, les auteurs ont privilégié un traitement réaliste et sans pathos, observant avec une rare finesse le phénomène du suicide depuis l’intérieur de la fratrie adolescente. Ce parti-pris inhabituel, qui interdit toute tentative d’explication rassurante ou d’analyse éclairante, n’est pas sans rappeler le cinéma de Gus Van Sant (ÈLÈPHANT et PARANOID PARK). En dépit d’un montage un peu large, TOUT EST PARFAIT se révèle une réalisation solide aux accents poétiques réussis. Les jeunes acteurs, bien dirigés, entourent un Maxime Dumontier habité et émouvant dans le personnage de Josh.
BORDERLINE
Pour ses débuts au grand écran, la québécoise Lyne Charlebois signe une ambitieuse adaptation de deux romans de Marie-Sissi Labrèche (Borderline et La Brèche). Le scénario habile, écrit par ces deux femmes, manipule avec adresse les ellipses et les retours en arrière, créant chemin faisant d’étonnants effets de miroir et de correspondances.
Entre son mémoire de maîtrise dont elle peine à terminer l’écriture et son directeur de recherche dont elle est la maîtresse, Kiki se sent la proie permanente de tous les fantômes de son lourd passé : sa mère, internée dans un hôpital psychiatrique; sa grand-mère, qui l’a élevée et semble sur le point de tirer sa révérence; son père qu’elle n’a pas connu et enfin tous les amants et amantes qui ont séjourné dans son lit. Tandis que Kiki cherche à l’aveugle un moyen de tirer un trait sur son passé, elle se laisse surprendre par les attentions d’un jeune boulanger qui ne semble pas trop effrayé par le « danger intime » qu’elle représente pour les autres.
Issue de l’école du vidéoclip et de la publicité, Lyne Charlebois signe une mise en scène qui, bien qu’efficace et en phase avec la folie du personnage, se révèle ici et là ostentatoire et appuyée. Qu’à cela ne tienne, on sent planer sur BORDERLINE l’influence bénéfique de Robert Lepage (notamment dans les plans où le passé et le présent se télescopent) et de Léa Pool (dans le symbolisme et le thème central de l’affranchissement). En outre, Charlebois se révèle être une excellente directrice d’acteurs. Isabelle Blais, qui trouve ici son plus beau rôle à ce jour, se donne sans compter, mais c’est Angèle Coutu, en grand-mère courage, qui nous frappe de plein fouet.
Gilles Leblanc