Il est légitime de se demander, comme chrétiens et chrétiennes, si la lecture de l’Ancien Testament est encore nécessaire. Pourquoi lire ces récits si peu édifiants ? Comment justifier le comportement des deux filles de Lot, neveu d’Abraham, le père des croyants, qui saoulent leur père pour obtenir de lui une descendance (Genèse 19, 30-38) ? Comment accepter que le roi David, choisi par Dieu, ordonne le meurtre d’Urie, le mari de Bethsabée (2 Samuel 11, 1-17) ? Et pourquoi Dieu ne réagit-il pas à la ruse malhonnête de Jacob et de sa mère Rébecca qui a permis de détourner la bénédiction d’Isaac (Genèse 27, 1-29) ?
Comme chrétiens, n’est-il pas difficile parfois de reprendre les psaumes et les cantiques bibliques pour en faire sa prière ? Comment comprendre un Dieu qui frappe les ennemis à la mâchoire et qui brise les dents des méchants (Psaume 3, 8) ? Comment peut-on proclamer ce cantique biblique qui met ces mots dans la bouche de Dieu : « Je les ai foulés dans ma colère, je les ai piétinés dans ma fureur. Leur jus a giclé sur mes habits, taché tous mes vêtements. » (Isaïe 63, 1-5, AT 31) Dieu est-il « tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité » (Exode 34, 6) ou est-il un Dieu vengeur? : « C’est un Dieu jaloux et vengeur que Yahvé ! Il se venge, Yahvé, il est riche en colère ! Il se venge, Yahvé, de ses adversaires, il garde rancune à ses ennemis. » (Nahoum 1, 2, traduction de la Bible de Jérusalem)
HISTOIRES À ÉLIMINER OU HISTOIRE DE L’HUMANITÉ ?
L’Ancien Testament intimide, indispose ou indiffère. À cause de sa diversité et des difficultés de lecture qu’il présente, certains en abandonnent la lecture au profit du seul Nouveau Testament. Ce refus de la violence de l’Ancien Testament n’est-il pas révélateur du refus de la violence qui nous habite ? L’Ancien Testament n’est-il pas le miroir de notre humanité ?
L’Ancien Testament est constitué de récits d’hommes et de femmes qui ont tenté de servir Dieu au gré de leur obéissance et de leurs infidélités, de leur loyauté et de leurs trahisons, de leur amour et de leur haine. L’Ancien Testament parle de nous : l’être humain se retrouve dans la foi d’Abraham (Genèse 15, 6), dans les passions du roi David (2 Samuel 11, 2-5), dans le sentiment d’indignité de Jérémie (Jérémie 1, 6), dans la détresse de Job (Job 3, 11-23). Au-delà des crimes et des trahisons vétérotestamentaires, il y a toujours ce Dieu qui veut bénir et se faire proche de son peuple, malgré une certaine violence apparente. Le lecteur de l’Ancien Testament doit être capable de nuances, pour déceler le symbolique et le métaphorique des récits épiques.
L’Ancien Testament est aussi l’histoire de l’être humain qui tente de dire Dieu. On y retrouve, en certains passages, une théologie de la rétribution : Dieu bénit les justes et châtie les impies. Mais Jésus est venu raffiner la compréhension humaine de Dieu. Le Dieu de Jésus Christ, qui est le même que dans l’Ancien Testament, est un Père miséricordieux (Luc 15, 11-32). C’est la façon de parler de lui qui est différente.
UN GUIDE POUR COMPRENDRE LE NOUVEAU TESTAMENT ?
Négliger l’Ancien Testament signifie se priver d’une multitude de références qui aident à mieux comprendre le Nouveau Testament. La venue de Jésus s’inscrit dans l’histoire du salut d’Israël. Les apôtres et les disciples de Jésus attendaient un Messie qui les délivrerait du joug de l’occupation. Mais Jésus est mort en croix, une malédiction de Dieu aux yeux des Juifs (Deutéronome 21, 23 ; Galates 3, 13). Pour trouver réponse à ce qui leur arrivait, les premiers chrétiens ont puisé dans les Écritures ; ils y ont reconnu le Christ.
Osons l’admettre : notre non familiarité avec les textes de l’Ancien Testament se double de notre difficulté à l’interpréter. On ne sait que dire de ces textes ; alors, on les ignore. Éliminer les récits compromettants de l’Ancien Testament résoudrait-il toutes les difficultés? Je ne le crois pas. Alors que, par crainte et par malaise, on se prive de lire l’Ancien Testament, une plus grande familiarité avec lui pourrait permettre une meilleure compréhension du Nouveau Testament. Comme dans l’épisode de Philippe et de l’eunuque éthiopien (Actes 8, 26-35), l’Ancien Testament ne pourrait-il pas devenir un guide dans notre lecture du Nouveau ? Pour que l’Ancien Testament devienne ce guide de lecture, il faut d’abord oser le lire, préférablement avec d’autres, tout comme l’Éthiopien qui comprend mieux avec Philippe. Ainsi nos lectures s’éclaireront mutuellement.
Les diverses saveurs du Nouveau Testament ne se dévoilent pleinement qu’en ayant goûté à l’« aigre-doux » de l’Ancien Testament. Comment comprendre le deuxième acte d’une pièce de théâtre si on a manqué la première partie ? Le premier acte n’est pas complet sans le deuxième acte, tout comme le deuxième acte ne se comprend pas sans le premier. Ancien et Nouveau Testament sont les deux actes d’une même histoire : l’histoire de l’humanité qui cherche à reconnaître le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus dans leur vie.
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1. Isaac, en accordant la bénédiction à Jacob, lui lègue ses droits. Jacob devient le successeur légitime d’Isaac, alors que ce droit revenait au fils aîné, Ésaü.
2. Un condamné, qu’il soit pendu à un arbre (Deutéronome) ou crucifié sur une croix, était une malédiction de Dieu.
Bonjour,
merci pour ces commentaires. Catholique relativement convaincu, je ne peux m’empêcher depuis quelques années (j’ai 77 ans) quand je m’interroge sur ma foi de buter sur cette histoire de La Bible, que l’on a raconté à nos parents comme “une histoire sainte” et dont les historiens et exégètes lèvent le voile. Avec eux je m’interroge sur la réalité d’Abraham, de Moïse, de Salomon. Si ce sont des personnages plutôt mythiques comment comprendre l’ enseignement que l’on fait à partir de leurs existences inventées?
Cordialement.
Jean Muller