Un beau matin, courir et croire!
Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine se rend au tombeau de grand matin, alors qu’il fait encore sombre. Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il voit que le linceul est resté là ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Commentaire :
De grand matin. voici que des gens courent autour d’un tombeau vide. Ces courses mènent à des réactions différentes. Marie-Madeleine aboutit à un constat d’ignorance et de surprise : nous ne savons pas. Pierre ne voit qu’un tombeau vide et des objets sans signification : il ne comprend pas. L’autre disciple voit autrement ces mêmes réalités : ces signes le mettent en marche sur la route de la foi ; il commence à croire, lui qui justement courait plus vite.
Ces gens s’agitent autour d’un tombeau vide où ne se trouvent que des bandelettes posées et un linge roulé: peu de choses, des signes qui donnent à penser et à croire, signes à la fois d’une absence et d’un ordre nouveau, indices d’une rupture dans l’ordre habituel du monde.
Ce drôle de récit est à la fois familier et étrange. Nous connaissons la course, nous qui courons d’un lieu à l’autre, d’une expérience à l’autre, dans nos quêtes de biens, de relations et de sens à nos vies. Nous qui courons souvent en rond, autour de morceaux de nos vies, de souvenirs décousus, de projets fragiles, d’événements inattendus, dont nous ignorons la portée et que nous ne comprenons pas. Pourtant, dans le récit de Jean, ce qui interroge le regard pour qu’il s’ouvre, ce qui provoque à croire, ce sont des signes ténus, des presque rien déconcertants. Ils viennent briser l’ordre prévisible et appellent à voir autrement, par-delà les horizons habituels qui nous enferment dans la résignation ou l’indifférence. Quels signes de ce genre nous entourent, nous invitant à dépasser l’incompréhension et la désespérance pour entrer, comme l’autre disciple, dans un nouvel horizon, celui de la foi?
Dans des réalités souvent ordinaires et non évidentes, une vie nouvelle s’annonce, discrètement, à qui veut s’ouvrir les yeux et l’accueillir : une parole échangée, un deuil, une vie donnée, une relation fragile, un beau plans qui s’écroule, un départ qui interroge, un engagement vécu dans l’incertitude, une conscience soudaine du vide sur lequel nous avons bâti notre vie, une lutte ardue… Ces expériences sont-elles signes d’absence et de mort ou indices d’une vie nouvelle vraiment possible? Il n’y a pas d’évidences immédiates qui nous éviteraient une démarche humaine profonde qui engage le cœur et l’esprit.
Ces ruptures dans notre univers familier peuvent nous appeler à voir autrement. Mais pour voir une vie nouvelle dans des événements ordinaires qui dérangent notre ordre, il faut avoir fouillé, ruminé l’Écriture, qui aide à ouvrir le regard. L’Écriture ou toute parole vraie, qui rend libre, qui noue des liens, qui travaille de l’intérieur, qui appelle au dépassement. La Parole devient source de lumière face à l’événement, au presque rien qui s’offre à notre compréhension. Et voici que notre course peut prendre un sens inespéré et aboutir quelque part, là où la vie surgit des signes de mort, là où l’espérance se relève, debout.
Célébrer notre foi dans le Ressuscité, à quoi cela nous appelle-t-il? Pas seulement à être ensemble et à célébrer, pas seulement à nous agiter ensemble en courant d’un projet à l’autre, d’un signe à l’autre, sans comprendre, les yeux fermés sur nos défaites. Le récit de Jean nous appelle à voir autrement, à former des communautés où la parole est fouillée, partagée, approfondie, afin d’apprendre à voir. II invite aussi à regarder ensemble des événements qui nous déconcertent, des presque rien inattendus, pour y lire la nouveauté de la vie et la présence du Christ vivant. Vers où courons-nous, et quand nous y sommes, que voyons-nous ?
Certaines personnes courent plus vite, entraînées par l’amour, comme l’autre disciple. Elles savent découvrir dans des détresses cachées, dans des coins du monde périphériques, dans des visages travaillés par la vie, les traces d’un relèvement. Fêter Pâques, c’est laisser nos yeux s’ouvrir, nos esprits se réveiller, nos mains se décrisper, et nos pieds se déplacer, pour accueillir une Bonne Nouvelle et courir l’annoncer, de grand matin, alors qu’il fait encore sombre. Une Bonne Nouvelle surgie de nos fragilités et relevant notre espérance : Le Seigneur est ressuscité, alléluia !