Le jeune réalisateur français Emmanuel Mouret n’hésite pas, dans des films à petit budget, à nous présenter, presque à chaque fois, ce qu’on doit bien appeler des variations sur un même thème, au moins apparemment. Un garçon, dans la trentaine, que joue le cinéaste lui-même, hésitant, maladroit, compliqué plus que complexé, va tomber dans une aventure amoureuse qu’il n’avait pas du tout prévue.
Un baiser, s’il vous plaît, d’Emmanuel Mouret
Dans Changement d’adresse, le personnage était aux prises avec les affres de l’hésitation amoureuse. Promène-toi donc tout nu ! en 1999, dont le titre est le pendant ironique de la comédie de Feydeau, mettait en scène un jeune timide qui, précisément, ne veut pas se déshabiller devant celle dont il est amoureux et se résout à exciter expérimentalement sa jalousie. Dans Un baiser, s’il vous plaît, c’est une femme mariée consentant à embrasser son meilleur ami qui se sent frustré et solitaire, sans mesurer les conséquences sur leur psychologie amoureuse et leurs sentiments réciproques. Le cinéaste construit un effet de miroirs en plaçant l’histoire, un peu mince il est vrai, dans le reflet de la conversation d’un autre couple de rencontre qui a envie de s’embrasser.
On saura à la fin le lien qui unit ces deux histoires, selon une technique bien connue du retour à l’origine, exploitée par Max Ophuls à la fois dans La Ronde, d’après Schnitzler (1950), ou Madame de, adaptation du court roman de Louise de Vilmorin (1953). C’est que, pour ce film, les réminiscences abondent, depuis Marivaux sans doute jusqu’à Truffaut (Domicile conjugal, 1970), et évidemment Rohmer (Conte d’été, 1996). Mais en fait, c’est de Woody Allen que Mouret est le plus proche, sans la posture juive et psychanalytique.
Comme Woody, Emmanuel Mouret se met en scène lui-même dans le rôle du protagoniste embarrassé et maladroit, aussi attiré qu’effrayé par les femmes, dans un comique de situations et de dialogues jamais grossiers. Etre maladroit, le savoir et en rire, c’est l’expression lucide de notre condition terrestre, bien qu’entouré de gens qui nous veulent du bien, ce qui est le cas du héros de Mouret. Mais cette situation est aussi tragique, même si on doit la prendre à la légère. Cette oscillation entre le grave et l’aérien est exprimée par la musique de Schubert qui ponctue le film.
Bien sûr, il y a beaucoup de fausse naïveté dans ces scènes : ce sont des jeux auxquels s’amusent pour notre plaisir des acteurs. Il n’y a qu’à considérer les gestes de Mouret pour voir qu’il ne cherche pas à être crédible, pas plus que Woody Allen ne se veut vraisemblable ni dans les situations qu’il décrit, ni dans les mimiques qu’il fait. Leur cinéma n’est nullement psychologique et Mouret se distingue ici de la « tradition française ». Il a l’air de nous dire : « Voyez comme on s’amuse quand on est comédien », et en ce sens il se rapproche de la comédie classique. Ce cinéma de divertissement est fait pour nous consoler, nous aussi, d’être si maladroits.
Actrices, de Valeria Bruni Tedeschi
Valeria Bruni Tedeschi, dont Actrices est le deuxième film, partage avec Mouret le fait d’être la principale interprète de ses propres œuvres, qui s’établissent aussi dans le registre comique. Mais la jeune femme nous entraîne vers l’autre versant du métier de comédien, celui de l’angoisse, de la frénésie et du dédoublement.
Marcelline, actrice réputée, a été engagée par un metteur en scène dramatique, au génie tyrannique (joué par Matthieu Amalric), pour le rôle de Natalia Petrovna, l’héroïne d’Un mois à la campagne de Tourgueniev, qui se ronge d’un amour secret pour le jeune précepteur de son fils. Cette situation de théâtre correspond d’une certaine manière à celle de Marcelline, célibataire qui vient d’avoir quarante ans et se désespère de ne pas avoir d’enfant.
Tournant autour du jeune acteur au regard ténébreux, pas du tout intéressé ; désorientée par une vieille amie, assistante du metteur en scène, dont la jalousie se fait perfide et qui finalement prendra le rôle ; malmenée par sa propre mère qui, elle, ne connaît pas la dépression, Marcelline va plus ou moins s’identifier au malheur de son personnage et sombrer dans ces maladies depuis longtemps répertoriées de la persécution et du dédoublement. Sans doute est-ce cela qui donne à son interprétation de Tourgueniev cette fièvre, cette folie théâtrale qui rendent Marcelline inoubliable dans ce Théâtre des Amandiers où Bruni Tedeschi a aussi joué ! En quelque sorte le malaise, le déséquilibre sont devenus des atouts, au moins pour quelques soirs, mais ils prolongent et développent le désarroi.
Dans cette œuvre complexe, au burlesque douloureux, se fait jour le rapport de l’actrice à son corps et à sa vie professionnelle. Les scènes médicales sont nombreuses, comme les entretiens avec la gynécologue qui tournent vite à la confession psychanalytique, sur un mode comique que ne désavouerait pas non plus Woody Allen. Mais il y a heureusement ces respirations que constituent les longueurs à la piscine et qui l’apaisent, sauf lorsqu’elle est chassée du bassin parce que c’est « le jour des enfants »…
Le film est une brillante variation sur le paradoxe du comédien quand le jeu de l’acteur l’envahit, faisant de la fiction une vie et de la vie une fiction. Le léger malaise que ressent le spectateur devant ce film hybride et excessif apporte sans doute la preuve qu’il a touché juste.