Presque chaque jour, je jette un coup d’oeil sur les notices nécrologiques du journal. Il ne s’agit pas d’un goût morbide chez moi. Depuis que j’ai appris trop tard la mort de bons amis, j’ai choisi de me tenir au courant des départs pour l’au-delà, au moins ceux que me communique le journal.
Souvent, lors de ce rite matinal, je songe aux discours que l’on tient dans les salons funéraires et parmi les gens qui côtoient régulièrement la mort. Je pense en particulier au rôle que l’on fait jouer à Dieu en ces dramatiques circonstances. «Dieu est venu le chercher.» «Le bon Dieu l’aimait trop. Il voulait le rendre parfaitement heureux auprès de lui.» «Dieu ne pouvait pas le laisser souffrir plus longtemps.» «Dieu éprouve ceux qu’il aime.»
Je ne peux m’empêcher de me sentir mal à l’aise quand on attribue à Dieu un rôle aussi sordide. On en fait une sorte de bourreau sadique qui s’amuse en nous envoyant des malheurs. C’était la pensée des mythologies grecque et latine. Les dieux se défoulaient sur le dos des humains. Or, le christianisme s’est objecté. Il a combattu les divinités païennes principalement pour que le Dieu de Jésus Christ soit reconnu comme l’unique, et l’unique Amour. Dieu n’est qu’Amour et ne peut châtier ses créatures. Sinon, il n’est pas Dieu!
De plus, nous devons reconnaître que Dieu ne manipule pas les événements ni les personnes. L’histoire de l’humanité se construit jour après jour à même les décisions humaines. Dieu n’a pas inventé la maquette de l’univers comme un petit train électrique que l’amateur aménage à sa guise. Nous ne sommes pas les robots que Dieu programme de toute éternité.
Nous sommes des êtres libres. Nous sommes voulus libres par Dieu. Et libres, nous construisons notre histoire. Nous nous servons de notre intelligence et de notre volonté pour agir, penser, inventer, décider, etc. Nous vivons des événements qui nous arrivent par un concours de circonstances où l’intelligence humaine intervient au moins autant sinon davantage que les hasards de l’existence ou les lois de la nature.
Demander à Dieu d’intervenir et de contrôler le moindre de nos gestes serait une sorte d’affront à l’oeuvre qu’il a créée et qu’il maintient dans l’existence en harmonie avec les humains libres. Ces êtres qu’il veut à son image et à sa ressemblance (Genèse 1, 27), il les veut autonomes à son image. Le plan de match qu’il leur a tracé tient compte de leur liberté et les appelle à cette liberté: «Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la.» (1, 28)
Ainsi donc, lorsque nous mourons, nous mourons parce que nous avons attrapé une maladie mortelle, parce que nous sommes les victimes d’un accident grave. Une cause naturelle est à l’origine de notre mort. Une cause terrestre et parfois même une cause banale.
Dieu n’est donc pas responsable de notre mort. Cependant, il n’en est pas indifférent. La mort de son Fils nous révèle l’attention de Dieu, sa miséricorde, sa tendresse pour toutes les victimes que peut faire la mort. Le Christ n’a pas évité la mort. Il l’a vécue parce que la mort fait pleinement partie de la condition humaine. Mais le Seigneur a donné un sens à la mort. Il en a fait une mort pour les autres. Il a donné sa vie. Toute sa vie, y compris sa mort.
Tout au long de notre existence terrestre, nous pouvons à notre tour donner notre vie et même faire de notre mort un don. Nous n’avons pas le pouvoir de fuir la mort mais nous pouvons lui donner le sens que le Christ a donné à la sienne.