Une famille en mouvement
Après le départ des mages, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils. Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et reviens au pays d’Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. » Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et rentra au pays d’Israël. Mais, apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen.
Commentaire :
Marie, Joseph et Jésus fuient en Égypte puis reviennent dans leur pays. Matthieu présente cet aller-retour avec trois éléments qui reviennent : d’abord le rêve et le message de l’ange (v.13.19.22); puis le récit des déplacements (v.14.21.22); et enfin, l’accomplissement des Écritures (v.15.23), le refrain qui donne sens à l’ensemble.
Matthieu écrit pour des chrétiens qui sont surtout d’origine juive et qui sont préoccupés des relations entre leur foi en Jésus Messie et leurs traditions religieuses. Ici, comme dans tous ses récits sur l’enfance de Jésus, Matthieu met donc en lumière la réalisation des Écritures et établit des liens entre ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien et le Nouveau Testament. Le déplacement de Bethléem à l’Égypte à Nazareth montre un Messie qui rencontre l’adversité dès les débuts; ce n’est pas surprenant, il finira sur une croix. Mais cela montre Jésus qui connaît des difficultés et exils, comme Moïse, dont il va en un sens prendre la suite. Plus tard, en Matthieu, Jésus donnera sur la montagne la Loi nouvelle (Mt 5-7), comme un nouveau Moïse.
Joseph, présenté dimanche dernier comme un juste qui met en pratique la parole, continue de répondre activement à l’appel venant de Dieu. Un aspect intéressant est présent dans ces appels: les rêves comme moyens de révélation. Nous sommes ici dans un texte riche de symboles et de correspondances, de liens et de suggestions.
Ainsi, en ce dimanche de la Sainte Famille, l’évangile nous présente une famille à première vue bien étrange : un fils unique sur lequel on tient des propos étonnants, une mère qui a mis au monde ce fils sans père, un homme qui prend soin du fils et de la mère et qui écoute ses rêves. De plus, cette petite unité familiale est jetée sur la route, fuyant l’oppression et la violence. Et comble de surprise, c’est à travers cette errance, cette attention à la voix profonde des rêves, cette aventure incertaine, que les Écritures sont accomplies, que le projet de Dieu se réalise.
Finalement, cette famille n’est peut-être pas si étrange : bien des familles aujourd’hui sont composées d’éléments disparates et connaissent cette itinérance en quête d’accueil et de paix. Bien des enfants, dans notre monde actuel comme au temps de Jésus, apprennent vite que la vie n’est pas facile et que survivre ne va pas de soi.
Le mystère de l’incarnation, célébré à Noël, continue de se déployer dans ces récits de Matthieu. Jésus a pleinement partagé notre condition incertaine et risquée, dès le point de départ de sa vie. Si nous voulons marcher à sa suite, il serait illusoire de notre part de nous imaginer que nous pouvons échapper aux soubresauts et déplacements de l’existence. La foi, l’espérance et l’amour sont des voies pour y faire face, résolument, et non pour les esquiver.
En relisant ces histoires anciennes, des questions actuelles peuvent surgir. Entre mes Bethléem et mes Égyptes et mes Nazareths, quel déplacement suis-je invité-e à vivre, dans mon aventure intérieure ou extérieure, en cette fin d’année? Quelle voix suis-je appelé-e à entendre et à écouter, qui me révèle un mystère, qui me convie à un dépassement?