Le goût du présent
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé. A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra. Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.
Commentaire :
Quand l’avenir est incertain en tant de domaines, du travail à la famille, du gouvernement à l’environnement, comment vivre le présent? Plusieurs attitudes sont possibles. On peut s’accrocher au passé et à ses souvenirs. Ou se concentrer sur ses tâches immédiates, son traintrain quotidien, ses émissions et ses petits tracas. On peut aussi fuir dans un futur imaginaire ou encore chercher à vivre une intensité de l’instant pour donner de la saveur à nos journées banales. Et pour le reste, le sens de nos vies, leur orientation et leurs enjeux, remettre à plus tard, ou y renoncer. Ou ne pas même en prendre conscience.
Notre façon de voir et d’attendre l’avenir conditionne notre aujourd’hui. L’Évangile de Matthieu aborde cette question en ce premier dimanche de l’Avent, en ce début d’une nouvelle année liturgique. Jésus y parle de la venue du Fils de l’Homme et de l’accomplissement du Royaume comme horizon final de l’histoire humaine. Mais s’il indique les traits de cette venue, c’est pour inviter à des attitudes dans l’aujourd’hui. Cette venue, nul n’en connaît le moment. Elle sera soudaine, imprévue, inattendue, comme le déluge (v. 37-39) ou comme un voleur en pleine nuit (v. 43). Elle ne sera pas neutre, sans conséquences : elle comporte un tri, un jugement (v. 40-41). Tout cela, Jésus l’indique pour appeler à une façon particulière de vivre le présent : Veillez donc (v. 42), tenez-vous prêts (v. 44).
Mais qu’est-ce que veiller? Son contraire pourrait être de vivre dans l’inconscience, complètement absorbés par notre quotidien, sans dimension plus profonde à nos vies. Face à ce risque, Jésus nous invite à une prise de conscience : réveillez-vous, sortez de votre léthargie spirituelle. La vie humaine n’est pas qu’une série d’activités sans portée, ou un jeu indifférent, vide ou plaisant. Elle a une densité, elle porte des enjeux de vie et de mort. Veiller, c’est sortir de l’indifférence ou de la fascination de l’immédiat. C’est découvrir la profondeur de la vie et de ses enjeux. C’est faire des choix et les tenir dans nos modes de vies, nos valeurs, nos relations, notre travail. Veiller, c’est devenir adulte et affronter l’existence avec ses questions de fond, en refusant de régresser et de s’endormir dans l’agitation ou dans la fermeture sur son petit monde immédiat.
L’avenir reste incertain et les tâches quotidiennes demeurent avec leurs nécessités. Mais si nous sommes en état de veille, le présent devient lieu de joies profondes et de responsabilités exigeantes. Il acquiert une densité et un horizon qui sont ceux du Royaume de Dieu. La vie prend saveur et consistance. Au lieu de scruter les nuages, d’être en nostalgie du passé, de nous réduire à un immédiat banal ou de nous enfuir en quête de sensations, nous devenons des veilleurs : ni résignés ni excités, ni inconscients ni angoissés, mais éveillés et attentifs aux signes de vie dans l’ordinaire et soucieux de les faire grandir, avec ténacité et espoir.
Entrer en Avent, c’est entrer dans l’attente d’un avènement. Entre en état de veille, dans l’ouverture à l’avenir et le goût du présent. Ainsi, en veillant au présent, un avenir pourra surgir qui ressemble au visage de Dieu.