Novembre, c’est le mois des morts. Au plan collectif, on peut penser aux massacres ethniques et au plus personnel, on peut s’interroger sur la mort des êtres qui nous sont chers. De façon différente mais aussi émouvante, deux films récents abordent ces questions : l’un sur une tuerie collective et l’autre sur la détresse d’un couple face à la maladie d’Alzheimer.
J’AI SERRÉ LA MAIN DU DIABLE
Pour sa part, le réalisateur canadien Roger Spottiswoode signe avec le drame historique J’AI SERRÉ LA MAIN DU DIABLE une adaptation compétente et consciencieuse de l’autobiographie du général Roméo Dallaire. À ce jour, il s’agit de l’œuvre la plus aboutie sur le génocide rwandais.
On est à Kigali au printemps 1994. Commandant en chef des Casques bleus de l’ONU, le général Dallaire pressent la menace d’un conflit ethnique. L’écrasement de l’avion du président rwandais déclenche le massacre organisé par la majorité Hutu contre la minorité Tutsi, après qu’un siècle de colonialisme eut défavorisé la première au détriment de la seconde. Mal armé et sans pouvoirs, Dallaire tente de convaincre le Conseil de sécurité de l’ONU d’envoyer des hommes pour l’aider à mettre en échec le Hutu Power, gouvernement intérimaire qui supervise le génocide. Mais les instructions qu’il reçoit sont formelles : interdiction d’ouvrir le feu sur les assassins et, quelques jours plus tard, ordre de retirer les troupes de Kigali. Au péril de sa vie et de celle de ses hommes qui comme lui refusent de partir, Dallaire désobéit.
Parfois didactique, le récit est soutenu par le point de vue omniprésent de ce dernier, les faits étant racontés rétrospectivement par lui à sa psychiatre. Tant sur le plan de la narration que sur celui de la mise en scène, il n’y a rien ici de transcendant, sauf quelques scènes saisissantes comme celle des fantômes des trépassés apparaissant à Dallaire et celle des cadavres découverts sous le tablier d’une passerelle. En revanche, la performance époustouflante de Roy Dupuis élève d’un cran la qualité intrinsèque de cette production. Rarement a-t-on vu un acteur aussi «habité» par son personnage. Le film, à maints égards, lui doit presque tout.
LOIN D’ELLE
Bien que le récit s’organise autour du schéma de la maladie, LOIN D’ELLE n’est pas un film clinique, ni misérabiliste. L’état de dégénérescence du personnage central est certes éprouvant à regarder, mais le scénario parvient à extraire du malheur quelques beaux instants de grâce. Parallèlement, à travers la maladie d’Alzheimer, le film explore la nature de la mémoire, évoque le poids du temps et dépeint la tragédie d’oublier et d’être oublié.
Grant (Gordon Pinsent) n’a pas toujours été un mari exemplaire pour Fiona (Julie Christie). De fait, il l’a souvent trompée au cours de leurs 45 années de mariage. Or, depuis que son épouse est atteinte de la maladie d’Alzheimer, il lui est plus dévoué que jamais. Il lui rend visite tous les jours dans le centre de soins spécialisés où il a dû la placer, malgré le fait que la septuagénaire semble les avoir oubliés, lui et son amour. Même quand elle tombe amoureuse d’Aubrey, un autre patient, le désir de Grant d’être près d’elle demeure intact. Lorsque Aubrey quitte le centre, l’état de Fiona se détériore. Convaincu que ce dernier détient la clé du mieux-être de son épouse, Grant part à sa recherche…
À la barre de son premier long métrage, l’actrice canadienne Sarah Polley fait preuve d’une maturité surprenante. Privilégiant une approche visuelle sobre mais expressive, avec plusieurs touches lyriques, ainsi qu’un usage sensible de la lumière et de l’interminable hiver canadien, la jeune cinéaste marie admirablement forme et contenu. De plus, ce film bouleversant tire profit de la longue relation que les cinéphiles entretiennent avec Julie Christie, beauté éternelle qu’on s’attriste de voir flétrir de l’intérieur, de façon si convaincante. À ses côtés, Gordon Pinsent est tout aussi impressionnant.
Gilles Leblanc
PRESENCE Magazine