La bonne nouvelle annoncée aux riches
Jésus traversait la ville de Jéricho. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il n’y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l’interpella : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur. » Mais Zachée, s’avançant, dit au Seigneur : « Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
Commentaire :
Zachée est une figure paradoxale. Il est à la fois riche et marginal, puissant et exclu. Il est non seulement un collecteur d’impôts mais aussi un dirigeant de ces entreprises financières qui travaillent pour l’occupant romain et s’enrichissent. Le peuple le déteste, les Pharisiens le méprisent. Malgré sa richesse, Zachée est mis ainsi hors du cercle de la rectitude sociale et religieuse : c’est un pécheur, un impur. Et pourtant, Jésus va loger chez lui, brisant des frontières sacrées, choquant les politiquement corrects de son temps.
Aujourd’hui, quand on lit des textes où Jésus se fait proche des malades, des plus pauvres, des exclus, cela ne nous choque plus vraiment : c’est là l’évangile, fait de solidarité et de libération. Mais ici, avec Zachée, c’est autre chose : Jésus se fait proche d’un exploiteur du peuple. Notre réaction serait probablement la même que celle de la foule dans le récit : elle est scandalisée. Cette image de Jésus allant chez Zachée vient briser en nous des catégories toutes faites, enfermant les gens dans des positions fixes. Mais ce Zachée est lui aussi un exclu, d’une exclusion qui n’est pas économique mais culturelle et religieuse et qui le met à distance de Dieu et des autres.
Quand Jésus se fait proche de quelqu’un, une transformation advient, ce que la Bible appelle le salut. C’est ce qui arrive à Zachée : aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison. Ce salut n’est pas une réalité purement intérieure ou un beau thème. Dans ce récit de Luc, il prend plusieurs formes. Zachée décide de partager ses biens avec les pauvres et de réparer les torts : partage et justice, voilà le salut présent pour un riche. Et Jésus affirme que Zachée est lui aussi un fils d’Abraham : il le réintègre dans le réseau des relations humaines, comme membre du peuple de Dieu. Zachée n’est plus à l’écart, isolé et objet de mépris. Un salut qui touche ainsi les réalités les plus quotidiennes : le monde des relations humaines et de la circulation des biens.
Zachée a su accueillir Jésus et entrer dans une vie réconciliée. Cela ne lui arrive pas purement de l’extérieur. Au début de son itinéraire, il y a chez lui une quête. Il voulait voir Jésus et, pour y réussir, il a vaincu les obstacles. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais l’initiative de Jésus l’a relancée. Encore là, Zachée aurait pu se contenter d’un accueil festif, mais il est allé plus loin : il assume ce salut dans sa vie personnelle, il refait des choix différents qui touchent son rapport aux biens et aux pauvres. Ainsi, même pour un riche, le salut est possible.
Plus tôt en Luc, un autre riche, en quête de vie éternelle, s’est approché de Jésus (18,18-23). Ce notable n’est pas un exclu, méprisé, mais un honnête homme, respectueux de la Loi et de ses exigences morales et religieuses. Mais devant l’appel à partager ses biens avec les pauvres et à suivre Jésus, il préfère ses biens. Ce récit est suivi d’une discussion entre Jésus et les disciples sur la possibilité pour les riches d’être sauvés. Zachée est la réponse à cette question. Il n’est pas surprenant que Luc mentionne la joie de Zachée, en contraste avec la tristesse du notable. Avec le salut, vient la joie.
Ce salut est concret mais il a d’abord un visage : car c’est Jésus qui est entré dans la maison de Zachée. Le salut est d’abord quelqu’un, qui s’invite chez nous et vient bouleverser notre rapport au monde et à autrui, qui vient remettre les choses à l’endroit : les biens sont faits pour être partagés et non monopolisés; les êtres humains, dans leur dignité, sont faits pour vivre ensemble. Et ce salut n’est pas seulement pour hier ou demain : il advient aujourd’hui.
Quel que soit l’état de notre maison, l’opinion que les gens en ont, l’aujourd’hui de Dieu en Jésus vient nous visiter. Une visite attendue ou imprévue, qui invite à une transformation et qui laisse la marque de son passage. Elle brise la distance qui nous sépare du Dieu vivant et les uns des autres. Cette distance a des sources diverses. Elle peut être l’effet de nos choix, centrés sur l’accumulation et l’intérêt, comme aussi des règles qui régissent les rapports sociaux et nous placent à la marge de la famille humaine et du peuple de Dieu. Zachée illustre bien ces deux aspects. Mais la Bonne nouvelle en Luc nous dit que ces choix et ces règles ne sont pas des prisons où nous serions enfermés définitivement. Ils sont œuvres humaines et peuvent être transformés pour qu’une vie nouvelle advienne. En langage chrétien, cela s’appelle le salut, oeuvre de la liberté humaine dans sa quête et de la grâce de Dieu qui vient nous visiter. Comme Zacharie le chante déjà en Luc : Béni soit le Seigneur qui visite et délivre son peuple.