Je garde un attachement profond à mon village natal. Je l’ai quitté il y a longtemps. Mais je reste lié à ce minuscule coin de terre. Il existe de plus beaux patelins, des endroits plus dynamiques, des lieux pleins d’avenir. Mais mon village est mon village! Dans cet attachement, il y a une bonne dose de nostalgie. Je garde de précieux souvenirs de mon enfance dans ce paysage pour moi unique.
Mon affection ne s’arrête pas là cependant. Nous sommes tous attachés à nos origines. Elles nous marquent. Surtout, elles contribuent à fabriquer notre identité. Elles font partie de notre définition. La ville ou le village où nous sommes nés forme une source qui coule dans la rivière de notre histoire personnelle. Malgré les années, l’eau originelle continue de nous alimenter et de colorer nos allées et venues.
À côté des enracinés comme moi, il existe sur cette terre, dans presque tous les pays, des hommes et des femmes, des enfants et de vieillards sans attache. Ils sont apatrides. Aucun état ne les reconnaît comme siens en vertu de sa législation. C’était le cas des juifs dans l’Allemagne nazie. C’est le cas aujourd’hui des musulmans au nord du Myanmar ou des montagnards de Thaïlande. Plus connus, les palestiniens constituent un groupe important d’apatrides depuis la création de l’État d’Israël en 1948. Pendant les quatre premier mois de la présente année, le Népal a accordé la citoyenneté à 2,6 millions d’apatrides! Autant de monde dans un seul pays! Que dire du reste de la planète!
Dure situation que ce déracinement, comme le laisse deviner ce témoignage d’une apatride: «M’entendre dire “non” par le pays ou je vis, m’entendre dire “non” par le pays où je suis né, m’entendre dire “non” par le pays dont mes parents sont originaires. J’ai l’impression de n’être personne; je ne sais même pas pourquoi je suis en vie. Lorsqu’on est apatride, on est sans cesse habité par un sentiment d’inutilité.»
Au livre de l’Exode dans la Bible, les hébreux, apatrides eux aussi, reprennent leur liberté et partent à la recherche d’une terre, leur terre. Ils la considèrent promise par Dieu. Cette poignée d’anciens esclaves est devenue l’ancêtres de tous les sans pays et sans papier à qui Dieu promet une terre que d’autres leur confisquent.
Nous cherchons des accommodements raisonnables pour faciliter nos intégrations mutuelles dans les villes et les villages que nous habitons. La planète devient de plus en plus petite. Les distances physiques se rétrécissent. Les distances psychologiques prennent plus de temps à changer cependant. Mais il faut apprendre, et apprendre rapidement, à partager nos patries et à nous considérer citoyens les uns auprès des autres.
Apatride, mon concitoyen, tu as droit à ta place sur terre. Tu as droit à tes enracinements. Tu as droit à une source où tu peux boire ton identité et la faire goûter aux autres. Tu as même droit à l’impatience quand nous sommes lents à nous laisser apprivoiser par toi.
Note: ce billet a été inspiré par la revue Réfugiés, numéro 147, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.