Mon ministère de prêtre m’amenait l’automne dernier à rencontrer une dame septuagénaire que sa profession d’infirmière rendait particulièrement sensible à son état personnel de santé. « Je sens que je n’en ai plus pour longtemps », me disait-elle. « Je veux mettre ordre à mes affaires. » Et nous avons abordé ensemble des arrangements funéraires, la démarche spirituelle et religieuse qu’elle souhaitait vivre, les détails de la liturgie des défunts qu’elle voulait, etc. Elle m’a paru tellement sereine en toutes ces procédures. Mais aussi tellement sûre d’elle-même et avertie dans ce qui lui arrivait. Lorsque, au hasard de notre conversation, je lui ai fait part de certains symptômes personnels préoccupants, elle m’a recommandé très vivement d’explorer en profondeur mon état général de santé. C’était une femme libre assez d’elle-même pour s’intéresser profondément à l’autre et lui donner des conseils judicieux.
Je me suis bientôt mis en route pour cet examen général dont elle me parlait. Une jeune professionnelle de la santé du CLSC m’a vigoureusement pris en charge. Il s’avère maintenant que je souffre d’une sténose spinale (niveau lombaire) sévère. Je suis passé par les tests avancés que sont la résonance magnétique, la scintigraphie osseuse et d’autres analyses dont les rapports complètent maintenant un épais dossier. L’étape suivante semble devoir être une chirurgie d’appoint qui devrait m’enlever les symptômes inquiétants dont je parlais au début.
Dans ma longue démarche il y a eu des décisions à prendre. Il me fallait d’abord contrer mon refus de prendre conscience de la gravité de mon état. Combattre aussi mon désir de ne rien changer à ma vie, de continuer mon travail comme avant, de suivre mes routines établies. On m’a conseillé de bien considérer l’intérêt, l’urgence et la nécessité de déléguer davantage mes tâches. J’ai dû m’avouer à moi-même que je n’étais pas si indispensable. Dès lors les décisions se prennent et s’enchaînent. Je me sens responsable d’harmoniser mon contexte de travail et de présence au monde avec mon état de santé et d’accepter la pause qui s’impose dans ma vie.
En tout ce processus, je sens naître en moi un vif sentiment de reconnaissance devant tout ce déploiement de compétences qui s’amènent à mon secours. Quelle chance de pouvoir en profiter ! Il m’arrive maintenant de circuler à loisir dans l’immense champ intérieur de mon être pour la liberté d’un abandon, d’une confiance, d’un dialogue. Je vois que j’ai la chance de vivre un ajustement de mes valeurs, de relativiser bien des sujets et détails de ma vie. Tout se met en meilleure place : amitiés, conflits interpersonnels, rêves et réalité, sens de la vie, espérance et prière. Un bilan santé qui m’est l’occasion d’un grand ménage au-dedans et au-dehors de moi-même.