Provision de route
La foule s’en aperçut et le suivit. Il leur fit bon accueil ; il leur parlait du règne de Dieu, et il guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger : ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons… à moins d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde. » Il y avait bien cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante. » Ils obéirent et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit douze paniers.
Commentaire :
Au sujet du signe de la multiplication des pains, l’exégète anglican A.M.Hunter donne deux interprétations possibles : « Penser que Jésus, fils éternel de Dieu, multiplie effectivement les pains et les poissons ; ou dire que tout le récit est historique, mis à part le fait de la foule rassasiée et les restes de la nourriture ; donner alors à l’épisode le sens d’un grand sacrement en plein air au cours duquel Jésus offre à chacun un morceau de pain, gage donné à ceux qui après avoir partagé sa table dans l’obscurité de sa vie terrestre la partageront dans la gloire. »
Dans cette section de l’évangile de Luc (9,10-50), la multiplication des pains, la profession de foi de Pierre, la Transfiguration et les quatre épisodes qui suivent forment un cycle complet auquel l’évangéliste donne une valeur essentielle dans l’ensemble de son évangile. Luc parle ici non à titre d’historien, mais de théologien. Il définit le contexte dramatique de la multiplication des pains : fin du ministère en Galilée, atmosphère de crise et perspective de la passion ; mais il en donne également le sens.
Six récits évangéliques racontent cette multiplication des pains : Mt.14,13-21 et 15,32-39 ; Mc. 6,30-40 et 8,1-10 ; Lc. 9,10-17 et Jn. 6,1-15. Selon les exégètes, il ne peut s’agir ici de six événements différents, mais seulement de deux. En vérité, ce sont deux catéchèses autour d’un seul incident rapporté en fonction de la pratique sacramentelle de l’Église primitive, de sa foi et de ses célébrations cultuelles. Il s’agit là d’un acte assez significatif pour que tous puissent y reconnaître un gage des temps nouveaux, une action dont le sens profond ne pourra être perçu que dans la lumière de la foi pascale. De fait, le « signe «, pour reprendre l’expression de Jean, suscite dans la foule un enthousiasme messianique. À nous de toujours lire l’évangile non comme un grand livre d’histoire, mais comme une catéchèse, mémoire de la résurrection du Christ.
Les foules ont suivi Jésus et ce dernier les accueille. C qui ressort en premier lieu de l’événement est que la bonté de Jésus répond à l’attente et à la recherche des hommes. Leçon pour les futurs missionnaires ! La foule se trouve rassemblée dans une communauté de table, signe du peuple nouveau et du banquet final où « les pauvres mangeront et seront rassasiés ». Il importe de retenir que ce passage de Luc est certes plus apparenté au merveilleux épisode des disciples d’Emmaüs (24,13-34) qu’à l’institution de l’Eucharistie. Jésus est passé parmi nous en nous offrant sa Parole en nourriture, « pain de vie », il nous rassasie de la connaissance de Dieu et en donne des signes et des gages de ce qu’il apporte. Les Écritures rendent témoignage au Christ, ce qui n’empêche l’Eucharistie de demeurer le lieu de rencontre privilégié du Ressuscité.
Au moment où nous évoquons l’Eucharistie, fête du Saint Sacrement, centre de la vie chrétienne, Luc présente les exigences d’un engagement à la suite du Maître : service fraternel dans l’humilité et fidélité de chaque jour. Mais avant tout, il importe de prendre place au repas sur l’herbe auquel Jésus nous convie pour ouvrir nos cœurs et nos esprits à sa bonté, redécouvrir le sens incommensurable de sa présence et retrouver le force de reprendre avec lui la montée vers Jérusalem : « Nul n’a plus d’amour que celui qui donne sa vie pour ceux qu’il aime ». Telles sont les provisions de route dont il faut nous munir.