Un jour de toi, Père!
Un jour, Jésus se trouvait sur le bord du lac de Génésareth ; la foule se pressait autour de lui pour écouter la parole de Dieu. Il vit deux barques amarrées au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques, qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’éloigner un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait la foule. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » Ils le firent, et ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. À cette vue, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus, en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. » L’effroi, en effet, l’avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient prise ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, ses compagnons. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.
Commentaire :
Cette section de l’évangile de Luc (5,1-11) suit la description des débuts du ministère de Jésus. Dans un certain isolement (4,14-44), Jésus se consacre à une activité apostolique très étendue. Luc porte alors toute l’attention sur ses principaux collaborateurs, surtout sur Simon-Pierre, chef des apôtres. Jésus enseigne seul (5, 1-3), sa lumière couvre son action (5, 4-7) et la promesse à ses apôtres (5, 8-11) manifeste sa souveraineté. Toute l’initiative lui appartient. La préoccupation de Luc, historien et annonciateur de la bonne nouvelle, est ici de fonder sur la volonté expresse de Jésus, le pouvoir attaché à la primauté et à la mission confiée aux apôtres. Il va désigner comme « pêcheurs d’hommes » ceux qui deviendront les « apôtres » (6,13). Intentionnellement, Luc cite ici les trois apôtres dont il associera les noms plus d’une fois (8, 51 ; 9,28). Son intérêt cependant porte davantage sur la place et le rôle que tiendra Simon-Pierre dans l’Église. Enfin, cette Église aura comme fondations (Eph.2,20) des hommes qui ont tout abandonné et consacré leur vie à l’activité apostolique. Voyons davantage dans le détail les diverses sections de ce passage (5,1-11).
Dans la foulée du Christ, sans trop préciser la chronologie des événements, chose assez étonnante de la part d’un historien renseigné, Luc insère son récit dans un grand ensemble. L’important pour lui est de bien situer la promesse faite à Pierre et l’appel lancé aux trois principaux disciples. Jésus, sur le rivage, utilise la barque de Simon comme chaire, et s’adresse à la foule disposée à l’écouter. L’enseignement de l’Église a commencé par Jésus et la prédication apostolique ne se fera par la suite que dans le prolongement de celle de Jésus.
Suivent alors l’invitation lancée par Jésus à Simon et le miracle de la pêche miraculeuse. Si la pêche de nuit avait été infructueuse, celle du jour ne serait vraisemblablement pas plus efficace. Simon, séduit par l’enseignement de Jésus et sa puissance, opte donc pour l’obéissance malgré l’expérience qu’il possède de la mer. L’évangéliste souligne l’aspect paradoxal et la grandeur du miracle qui va se produire : une « grande quantité de poissons », « des filets qui se rompent » et deux barques remplies au point d’enfoncer. Ce récit du miracle chez Luc, à la différence de Jean (21,1-14), est destiné à souligner la transposition de l’activité des pêcheurs sur un tout autre plan : je ferai de vous des pêcheurs d’hommes.
Suit alors la promesse faite à Simon Pierre. Ce dernier et ses compagnons, saisis de frayeur plus que d’étonnement, se trouvent inopinément en face d’une action divine inouïe, et ce, dans le domaine de la vie quotidienne. Jésus alors de réconforter Simon tout comme il le fera après sa résurrection : « Cesse de craindre ». Il n’enjoint pas Simon de le suivre, mais il prophétise l’activité apostolique de Pierre : ce dernier devra abandonner son métier de pêcheur et s’occuper désormais des humains. « Désormais » : l’accomplissement de cette déclaration de Jésus commence dès l’instant présent à s’effectuer, le miracle de Jésus et sa parole déclenchent un engagement pour toute une vie. La réaction de Pierre et de ses compagnons ne se fait pas attendre : « Abandonnant leurs filets, ils laissèrent tout pour suivre Jésus ». Pas d’appel, aucune invitation, mais une promesse que Simon et ses compagnons reçoivent et les détermine à suivre Jésus. La pêche miraculeuse constitue un prélude à la tâche apostolique. Luc veut faire comprendre de quelle manière des hommes ont pu être amenés à tout laisser et consacrer leur vie à une activité missionnaire.
Nous avons lu ce récit avec le regard de Luc. La version des autres évangélistes pourra nous paraître différente quant à son objectif, mais celle de Luc mérite pleine considération. C’est souvent pour ne point dire toujours dans l’activité quotidienne et le trait marquant de notre personnalité que l’appel de Jésus se fait entendre. Ce qui n’empêche que nous devrons au Seigneur les forces nécessaires à l’accomplissement de cette tâche missionnaire.
« Un jour nouveau commence, et toujours un jour reçu de toi, Père.»