Février est le mois des remises de prix, notamment celle des Oscars. La filmographie de l’année 2006 abonde de portraits de femmes aux antipodes les uns des autres : des stars de DREAMGIRLS à la mignonne LITTLE MISS SUNSHINE, des femmes d’une banlieue américaine de LITTLE CHILDREN aux enseignantes à la vie secrète de CHRONIQUE D’UN SCANDALE. Toutefois, ce sont les femmes des productions de Pedro Almodovar et de Stephen Frears qui ont le plus retenu notre attention. Examinons-les plus attentivement.
VOLVER
S’inscrivant dans la lignée de PARLE AVEC ELLE, la tragi-comédie généreuse et articulée VOLVER du réalisateur espagnol Pedro Almodovar est une œuvre exquise qui manifeste hors de tout doute sa maturité artistique.
Au moment où sa sœur Sole lui fait part du décès de leur tante, Raimunda, jeune mère ouvrière, s’affaire à dissimuler le corps de son mari, que sa fille adolescente vient de tuer après qu’il eut tenté de l’agresser sexuellement. Incapable de faire face aux deux situations en même temps, Raimunda demande à Sole de se rendre seule aux obsèques, dans leur village natal. À son retour, elle découvre dans le coffre de sa voiture, le corps d’Irene, sa défunte mère. Tandis que Sole vaque à ses occupations de coiffeuse en gardant secrète la présence d’Irene chez elle, Raimunda, qui a repris la direction du restaurant voisin à l’insu de son propriétaire, rend visite à son amie Agustina. Avant de mourir du cancer, celle-ci aimerait faire la lumière sur la disparition mystérieuse de sa propre mère. Laquelle coïncide avec la mort d’Irene.
Cette histoire douce et folle, émouvante et drôle, est mise en scène de main de maître et soudée par un formidable quintette d’héroïnes. En plus de traiter de maternité et de fraternité féminine, VOLVER est aussi un film sur la mort, et sur les femmes qui en surveillent la frontière à grands coups de secrets et de superstitions. Les actrices choisies constituent une admirable distribution, dominée par Carmen Maura, la vénérable muse d’Almodovar et par la surprenante Penélope Cruz, en nomination aux Oscars 2007.
SA MAJESTÉ LA REINE
Plutôt que de soumettre Élizabeth II aux rigueurs d’une satire, Stephen Frears a choisi pour son film SA MAJESTÉ LA REINE le chemin plus accidenté de la chronique douce-amère teintée d’ironie.
Lorsque survint la mort tragique de lady Diana Spencer, le 30 août 1997, le premier ministre travailliste Tony Blair était au pouvoir depuis à peine trois mois. Élizabeth II, en revanche, régnait sur la Grande-Bretagne depuis 45 ans. Lui, encore novice dans les questions de protocole et de gestion de crise, et elle, traditionaliste et hostile aux effusions publiques, ont réagi à ce drame de façon contraire. À l’avantage de Blair, encensé pour sa compassion par les médias qui, du même souffle, reprochaient à la souveraine son indifférence. Or, dépassée par la tragédie, plus encore par l’immense affection du public pour la défunte, celle-ci a préféré se replier avec ses proches au château de Balmoral, en Écosse. Au bout de cinq jours, Blair réussira à la convaincre d’en sortir.
Le ridicule et le caractère archaïque de la monarchie n’échappent pas au réalisateur Frears, mais son respect pour la descendante de Victoria, et pour la fonction que l’hérédité l’a fait assumer, le conduit à nuancer le traitement. Il est aidé en cela par Helen Mirren, magistrale en reine d’un autre temps, réfugiée dans le protocole autant que prisonnière de celui-ci. (Gageons qu’elle méritera l’Oscar de la meilleure interprétation féminine dans un rôle principal). À l’inverse, Tony Blair, bien défendu par Michael Sheen, incarne le renouveau et la modernité, même si le brillant scénario de Peter Morgan, très drôle par moments, révèle par petites touches l’opportunisme du politicien. La presse britannique est de loin la plus sévèrement critiquée dans ce film à la mise en scène sobre et retenue, opposant le mutisme obstiné de la reine au délire médiatique, d’une sottise affolante.
Gilles Leblanc